Je publie cet article à l’honneur de Younoussa Hamara qui a écrit « Le nord Mali, entre crises et constructions de paix aux éditions La Sahélienne, regards sur une crise, 2018 ». Le rappel historique sur la crise actuelle est d’une grande utilité, car il s’agit bien de l’origine des tensions. Ces mêmes tensions qui perdurent et qui se complexifient après chaque crise.
Le mystère autour du nom de la ville ancienne de Gao
L’origine exacte du nom de cette vieille ville carrefour reste, aujourd’hui encore, un grand mystère. En évoquant, l’historique de ce nom, on ne cesse de naviguer entre les écrits arabo-berbère et les interprétations, parfois hasardeuses de certains intellectuels étrangers de l’époque. On parle de tantôt de kawkaw avec Kwarismi en 969 Après J.C, de kawkaw, toujours, avec El Idrissi en 1150 après J.C, de Gao avec Al Bakri en 1067 après J.C, de Garho, toujours en 1067 après J.C, de koukou avec Yakout en 1220 après J.C. Dans tous les cas, aucune précision claire n’existe autour de l’origine exacte du nom de cette ville. Par ailleurs, les historiens s’accordent à dire que la ville a été fondée en 960. C’est notamment le cas de Delafosse dans on Tome 1.
Les premiers songhays furent des étrangers dans l’espace qui deviendra le songhay
« J’ai entendu dire par mon maître Chambarouch que l’ancêtre des songai, l’ancêtre des Ouakaoré, des Ouagara étaient des frères de père et de mère, l’un fut roi du Yémen et s’appelait Tara Ben Haroun, le second de ces hommes était Songai Ben Taras, c’est lui qui fut l’ancêtre de la tribu des songai ».Tarikh al Fettach, P. 41. Ce postulat historique de l’origine des songhays admet que les songhays ont été des étrangers sur la terre qu’ils dirigeront pendant plusieurs décennies. Mais est-ce réellement utile de le souligner dans le contexte actuel de crise au nord du Mali ? Oui et non en même temps. Non pour dire que la terre et les espaces ont été toujours occupés, même par d’autres espèces. Et que tous les peuples sont venus d’ailleurs quelque part pour se stabiliser quelque part. Oui également, pour toujours donner une place au rappel qui aura pour fonction de relativiser les velléités autour de la domination par l’histoire et le pouvoir d’une communauté sur l’autre. Les peuples ou communautés qui vivent actuellement dans le songhay sont toutes venues d’ailleurs. Elles ont donné une importance historique à deux grandes villes qui sont devenues les deux lieux historiques du pouvoirs songhay, Koukiya et Gao plus tard.
De la stabilité du pouvoir sorko à la solidité de la dynastie des sonnis
Le pouvoir sorkos. Les Sorkos sont des pêcheurs qui sont venu s’installer dans la zone de la vallée du Bentia à Gao.L’espace songhoy fut tout d’abord dirigé par les sorkosjusqu’à l’an 1010. Ces premiers étrangers étaient divisés en deux clans, les sorkosfono et les sorkos Faren. Et FaranMakanBotéfut le grand guerrier de ce dernier clan. Ils ont régné plusieurs années sur la vallée de Bentia à Gao. LesDia al Yémen ou Za al Yémen, ledeuxième grouped’étrangers mettront fin à la domination sorko. Le pouvoir des Za al Yémen ou Dia al Yémen de l’an 1000 à l’an 1335. Leur histoire commença avec l’arrivée de deux aventuriers dans la ville de Koukiya selon le tarikh es Soudan (P. 6et 7) qui cite » deux aventuriers, avides de connaitre le reste du monde qui ont échoué à Koukiya, en piteux état. Ils avaient, pour ainsi dire, perdu toute forme humaine tant ils étaient sales et épuisés, et leur nudité était caché que par des lambeaux de peaux de bêtes jetées sur le corps. Comme on leur demandait d’où ils sortaient, l’aîné répondit : « ils vient de Yémen» :dja men el Yémen ». Les za, par le biais de Sa-el-Yémeni fondera alors à Koukiya la dynastie desSa. Les za ont été une communauté forte et très bien organisée et qui s’est mélangé avec d’autres communautés du royaume. On ignore encore exactement comment ils ont pris le pouvoir au sorkos mais quand ils ont succédé au Sorkos, les za ont transféré le pouvoir à Gao, devenu capital sous le règne de Za kosseye (le jeune). Les historiens s’accordent sur le fait que la « mort du poisson sacré de koukiya », tarikh es soudan P. 8 et Tarikh el fettach P. 50, a été une étape qui a conduit à la fin de la dynastie des Za dont l’un des rois les plus célèbres reste le père des jumeauxSonni Ali Ber 1er (Sonni le grand) et SouleymanNar, les deux futurs otages des mansas du Mandé en 1325 dans le but de caser toute tentations de révolution contre Niani. Le troisième pouvoir, celle des Sonni ou des Chi. Après s’être échappés de Niani où il a appris l’art de la guerre, sonni Ali Ber fondera la dynastie des Sonni ou des Chi et régneront de 1335 à 1492.Pendant tout le règne des sonni Gao était la capitale du songhay. Sonni fonda une armée partisane et fait de la dynastie de sonni la dynastie des grands conquérants de toutes les dynasties de l’espace songhay. La dynastie s’éteignit avec lamort et la fin du règne de sonniAliBer. Son fils Chi Barou le succéda mais le pouvoir sera repris rapidement par le lieutenant de son père, Mohamed Touré, avec l’aide et la pression des oulémas de Tombouctou qui voulaient un musulman comme chef du songhay. Mohamed Touré fonda la dynastie des Askias Chi Barou se réfugia à Bara et où il mourra.
Du rayonnement d’askia Mohamed Touré à la dispersion du pouvoir songhay
Le quatrième pouvoir songhay, les Askias de 1493 à 1591. La reprise de la royauté par Mohamed Touré va rompre durablement et inéluctablement la succession au pouvoir songhay inscrite dans une vieille tradition. Le songhay brillera cependant pendant tout le règne de Askia Mohamed Touré. Mais l’immense héritage et l’immense pouvoir de sonni Ali Ber et d’Askia Mohamed seront fragilisés après Askia Mohamed Touré avec des déchirements entre ses quatre enfants, son neveu et ses quatre petits-fils. Pendant les 30 ans du règne d’Askia Daoud, une instabilité liée à des vengeances existait au sein de sa famille. Après son décès, l’opposition entre ses propres fils vont porter un coup dure à la suite de la dynastie. Et la dynastie tombera avec l’arrivée des marocains et la reprise du pouvoir par les arma. Le cinquième pouvoir songhay, les arma ou le pouvoir né d’une agression extérieure, celle des marocains de 1591 à 1760. L’appellation Askia a été utilisée sous les arma et pendant tout le règne des pachas. Le dernier Askia sous les arma était Mahmoud, fils du Kourmina-fari Amar, fils du Kourminafari Abdrahamane le 2 novembre 1748. Les arma vont se montrer particulièrement belliqueux et désordonnés. Ils provoqueront des querelles et des affrontements entre les deux clans issus de l’implantation des divisions marocaines, la division de Fès et la division de Marrakech. L’instabilité du pouvoir était telle que les pachas ne duraient que peu de temps au pouvoir. Cette instabilité va finalement provoquer ou permettre l’indépendance totale de plusieurs villes comme Gao où se trouve le pouvoir central, Bamba et Djenné. Cependant, ce pouvoir des arma prendra fin en 1760 avec l’occupation définitive du songhay par les Ouillimeden. On pourrait avec beaucoup de précaution évoquer que la dispersion des songhays, du pouvoir songhay et l’installation hasardeuse des songhays un peu partout ailleurs a commencé sous Askia Daoud et a perduré sous les arma. Cette dispersion du pouvoir et de la communauté serait une conséquence de la mauvaise gestion du pouvoir des derniers askias et surtout du manque d’organisation du pouvoir arma.
Vers une nouvelle configuration pour faire face aux nouveaux défis de l’espace songhay
Le sixième pouvoir songhay et Gao, le pouvoir des Ouillimeden, de 1770 à 1916. Gao restera la capitale pendant tout le règne des Ouillimeden. Pendant cette période les familles KelKhoumed s’installèrent rapidement un peu partout autour de Gao, les KelTadjiwal à Katadjiwal, les KelAhara proches de forgho, bastion arma, d’autres vers Gabéro. Des grands chefs, conquérants et résistants sont liés au pouvoir des Ouillimeden comme Kawa, qui fut le conquérant Ouillimeden de tous les temps, il y a eu Madidou et puis Firhoun le résistant à la pénétration coloniale française qui a mis en échec pendant près de dix ans l’armée coloniale française. Ces six pouvoirs évoqués, quel pourrait être donc la plus-value des dynasties dans la gestion de la crise actuelle ? Le constat de six pouvoirs en échec est malheureusement plus visible qu’autres choses, tant les acteurs de ces six dynasties sont méconnus des populations nationales, relégués à un second plan à visée exécutive. Et d’autres part, on pourrait toujours se demander si la concertation de ces acteurs dans la stabilisation de la zone serait réellement utile pour plusieurs raisons dont deux essentielles : l’espace songhay a-t-il encore un sens aujourd’hui dans la gestion de cette crise ? Et les pouvoirs de l’espace songhay ont-ils encore des finalités de cultures, de vivre-ensemble et de paix depuis le déchirement des askias ? Une chose reste certaine, les différentes dynasties et communautés qui ont régnées sur le songhay ont chacune une place et un rôle dans l’espace songhay. Ce serait un pas en avant si ces communautés acceptent de s’unir et de mettre en avant le vivre ensemble. Il existe cependant des précautions. Il faudra accepter d’inclure les acteurs de bonne façon et de veiller à ce que l’histoire soit utilisée comme leitmotiv de l’avènement d’une nouvelle stabilité et non des questions de dominations. Car, il existe des réticences, des rancœurs, des désirs de vengeances et parfois des fiertés totalement en déphasage avec la réalité sociopolitique dominante et les questions géopolitiques d’aujourd’hui. Mais il semble être du rôle des historiens, des sociologues et des intellectuels avertis d’apporter ces réalités sans risquer de créer de nouvelles tensions.