Mohamed MAIGA, consultant sur les questions socioéconomiques de territoires
Dr. Youssouph SANE, Enseignant-chercheur en Aménagement, Urbanisme et Décentralisation
- Situation malienne vue du Sénégal – Rétrospective
Les Sénégalais n’ont pas été véritablement surpris par le coup d’Etat du 18 août au Mali, lorsque les militaires ont déposé le Président Ibrahim Boubacar KEITA. Durant des semaines, ils ont observé avec intérêt les manifestations du M5-RFP sous la houlette de l’imam Mahmoud DICKO. Plusieurs sentiments se sont dégagés dans l’appréciation du mouvement et des manifestations. D’une part, pour beaucoup de Sénégalais, la réaction de la rue était appropriée face à la situation sécuritaire, politique, économique et sociale du Mali. D’autre part la crainte de voir le Mali sous l’emprise de religieux suscitait des inquiétudes. Par ailleurs, on a noté une certaine incompréhension à organiser les élections législatives dans un contexte sanitaire incertain avec la propagation de la Covid-19, mais le plus grave résidait dans le fait que ces élections soient autorisées alors que le principal opposant au régime du Président malien, Soumaila CISSE en l’occurrence était pris en otage par des terroristes. Beaucoup de Sénégalais ont eu le sentiment que rien n’a été fait pour le faire libérer et que dans tous les cas, des élections ne devaient pas être organisées dans ce contexte. Pour les Sénégalais, l’insécurité notamment au Nord, la mal gouvernance, le mépris de la volonté populaire, la confiscation du vote d’une partie des électeurs, la corruption des élites qui semblent déconnectés des enjeux de la société malienne, sur un fond de paupérisation des populations ont engendré un ressentiment qui ne pouvait que s’exprimer dans la rue, et non dans les urnes. C’était un mécontentement généralisé des Maliens parfaitement légitime aux yeux des Sénégalais. Raison pour laquelle, le Président sénégalais, Macky SALL, tout en condamnant le coup de force, n’a pas souhaité de sanctions de la CEDEAO contre le Mali, car pour lui ce serait le peuple malien qui allait souffrir davantage. Cette prudence et retenue de Macky SALL a été très appréciée par ses concitoyens qui étaient largement favorables à un changement au Mali. Qui plus est, sans effusion de sang. En plus des liens géographiques, historiques, socioculturels et familiaux, le Mali est le premier partenaire commercial du Sénégal. En 2019, 23% des exportations sénégalaises sont dirigés vers le Mali … Abonnez-vous pour lire l’analyse complète
- Manifestation contre le régime du président Ibrahim Boubacar KEITA par le M5-RFP (mouvement de contestation)
Après plusieurs mois de contestations populaires dans la capitale malienne, Bamako, contre le régime du Président Ibrahim Boubacar KEITA, les actions du Mouvement du 5 juin, sous l’« autorité morale » de l’imam Mahmoud DICKO ont finalement été clôturées par un coup d’Etat militaire.
- Coup d’Etat militaire et installation d’une junte militaire au pouvoir
Après avoir déchu le Président Ibrahim Boubacar KEITA, le 18 août, les militaires, à l’origine du coup d’Etat, essentiellement des « colonels » de l’armée, ont gardé de facto le pouvoir au sein de la région militaire de Katy, à environ 15 kilomètre de Bamako. Le Colonel, Assimi KOITA, chef des forces spéciales maliennes est devenu quelques heures après le coup d’Etat,le chef de la junte militaire. Autour de lui, des vice-présidents l’accompagnent dans l’exercice du pouvoir. Parmi ces vice-présidents, le colonel Malick DIAW, premier vice-Président. Le 27 août dernier, la junte publie au Journal Officiel un document dénommé « Acte fondamental du Comité National pour le Salut du Peuple » Cet acte, vivement critiqué par une bonne partie de la classe intellectuelle malienne pour « ses insuffisances, notamment juridiques », ne suspend pas la constitution malienne du 25 février 1992 – Art. 41 « Avant l’adoption d’une Charte pour la transition, les dispositions de la constitution du 25 février 1992 s’appliquent tant qu’elles ne sont pas contraires ou incompatibles avec celles du présent acte. » Cet aspect a notamment été soumis à différentes interprétations avec la question suivante sur le plan juridique : un acte de ce type ne serait-il pas à l’origine d’un conflit de normes ? … Abonnez-vous pour lire l’analyse complète
- Pression de la CEDEAO et de la communauté internationale
Juste après ce coup d’Etat, la CEDEAO, via les chefs d’Etat, a « condamné » le dépôt du Président Ibrahim Boubacar KEITA par des moyens militaires. Certains chefs d’Etat de l’organisation régionale ont été parfois « très fermes » dans les condamnations. C’est le cas du Président nigérien Mahamadou Issoufou et du Président ivoirien Alassane Dramane Ouattara. Il s’en était rapidement suivi des « sanctions » contre le Mali, état membre de la CEDEAO, conformément au Protocole de la CEDEAO A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. Il s’en est alors suivi des sanctions économiques notamment de la Côte d’Ivoire. Certaines de ses sanctions n’ont « jamais » pu être effectives sur le plan opérationnel. C’est le cas pour la fermeture de frontières. Pour certains analystes, cette « ligne dure » contre le coup d’Etat malien est défendue par des Chefs d’Etat qui « risquent » le même sort dans les mois à venir. En effet, des tensions existent déjà en Guinée Conakry depuis plusieurs mois avec les contestations contre un nouveau mandat du Président Alpha Condé. Pour le cas, ivoirien, après le décès du Premier Ministre Amadou Gon COULIBALY, le Président Alassane Dramane OUATTARA s’est « trouvé » dans une position délicate. Il a donc « décidé » de se présenter pour un troisième mandat « successif ». Mais cette candidature est contestée dans les rues ivoiriennes. Enfin, l’une de ses figures « anecdotiques » de ligne dure contre le Mali est le Président nigérien, chef d’Etat en exercice de la CEDEAO, Mahamadou Issoufou, possible candidat pour un nouveau mandat dans son pays. Il risque également de faire face à une forte opposition populaire qui se dessine déjà. Cette « ligne dur » peut donc être interprétée comme un « exercice de dissuasion », car le « cas malien », « la contestation populaire » est susceptible de se répéter. Outre cette ligne dure au sein de la CEDEAO, il y a également une ligne « flexible ». Cette dernière est incarnée jusqu’ici par le Président sénégalais Macky SALL et le Président bissau guinéen Umaro Sissoco EMBALO. Ce dernier aurait même mis en cause la question des « troisièmes mandats » et réagi à des propos « inconvenables du Président OUATTARA ». Ces tensions internes au sein de l’organisation peuvent être une « marge de manœuvre » pour le Mali avec des négociations plus « intenses » avec la ligne « flexible ». Cette situation de tensions entre le Mali et l’organisation contient différents enjeux dont trois plus essentiels à ce jour : 1) négocier la levée des sanctions, 2) éviter de nouvelles sanctions supplémentaires et 3) rassurer la communauté internationale pour un retour rapide à une situation normale … Abonnez-vous pour lire l’analyse complète
- Cohabitation « grinçante » entre le M5-RFP et le CNSP (junte militaire)
Plusieurs raisons rendent à ce jour la cohabitation entre le M5-RFP et le CNSP difficile. Il y a tout d’abord, le problème de base « non dit ». Le CNSP est venu « clôturer » le 18 août le résultat d’environ quatre mois de contestations du pouvoir du Président Ibrahim Boubacar KEITA. L’action finale du CNSP est arrivée « au crépuscule de la fin du pouvoir du Président KEITA » pour les militants du M5-RFP. Une analyse « compréhensive et circonstancielle » permet d’arriver au constat selon lequel, le M5-RFP ne se sent pas à sa place. Un militant de premier rang nous disait ceci « … on devrait être au même niveau que le CNSP… ils ne devraient pas avoir seuls autant de pouvoirs, eux seuls alors que c’est notre combat. » D’autre part, cette analyse compréhensive permet de constater que le leadership du CNSP est contesté au sein du mouvement de contestation. Mais l’enjeu de perdre davantage du pouvoir face au CNSP conduit le M5-RFP à « faire avec ». Par conséquent, on perçoit d’une part une méfiance du CNSP à l’égard du M5-RFP et un désir de « ne pas les laisser trop s’approcher d’eux (CNSP) » par précaution. La difficulté est que ce principe de précaution constitue « un frein à la main » problématique face aux enjeux de « rapidité » dans cette phase pré-transition. La confiance entre le CNSP et le M5-RFP est « incontournable » face à un risque d’échec « grandissant » chaque jour dans le chemin d’une transition politique « solide ». En outre, on comprend relativement bien que l’implication de la CMA (Coordination des Mouvements de l’Azawad) est surtout une fenêtre d’équilibrage stratégique pour le CNSP. Mais cette implication est aussi un couteau à double tranchant. D’une part, si elle n’est pas « stratégiquement maitrisée », elle peut amener les militants du M5-RFP à une rébellion « difficilement maitrisable » par les leaders du mouvement, y compris l’imam DICKO. Cette rébellion pourrait facilement être motivée par le « constat » pour le M5-RFP d’un « rééquilibrage des pouvoirs » entre le CNSP, la CMA et le M5-RFP. Une implication plus forte de la CMA jusqu’à la fin du processus de transition devrait être scrupuleusement maitrisée sous peine de créer d’autres tensions. Cette même donne concernant la CMA est valable quant à l’implication d’autres acteurs comme l’ancienne majorité présidentielle et le Haut Conseil Islamique par exemple. Les propos de l’imam Mahmoud DICKO, lors de son intervention au palais de la culture, appuient cette analyse compréhensive et circonstancielle (Ndlr « … les militaires doivent savoir qu’ils n’ont pas carte blanche… »). D’autre part, le couteau est à double tranchant car il peut se retourner contre le CNSP. La CMA peut facilement mettre en difficulté le CNSP sur des positions en lien avec l’accord d’Alger. Si l’implication d’autres acteurs n’est pas sérieusement maitrisée, elle peut affaiblir rapidement le CNSP et le pays risque de se retrouver dans une situation beaucoup plus complexe avec l’émergence d’un mal déjà bien connu : le populisme … Abonnez-vous pour lire l’analyse complète
La gangrène de la corruption et le risque d’un « populisme fatal »
Pourquoi à ce jour, le « populisme » risque de poser plus de problème ? Il s’agit davantage d’une question de « leadership » d’abord. Quand une société ne peut plus favoriser l’émergence de « leaders idéologiques » de façon naturelle, elle passe alors par « la propulsion populiste ». Cette dernière est dangereuse et est souvent fatale. Le mécanisme a longtemps existé en Amérique latine et dans le centre de l’Afrique. Les trente dernières années au Mali ont été marquées par une carence de leadership au sein des institutions maliennes. La société malienne était devenue un cercle opaque et hermétique quant à la favorisation de l’expression idéologique « sereine ». La précarisation de la population, certaines pratiques sociales et « religieuses », la chute du niveau scolaire et universitaire ont fait tomber le pays dans l’« asservissement intellectuel », « l’asservissement physique », et l’explosion de la corruption. Dans le schéma malien sur les trente dernières années, la corruption a été un frein à l’émergence de nouveaux leaders « idéologiques ». Par conséquent, on remarque assez aisément l’extrême faiblesse active et idéologique des partis politiques maliens et de la société civile. La première journée des concertations a permis de déceler cette « faiblesse caractérisée » … Abonnez-vous pour lire l’analyse complète
- Tensions autour de la méthode d’organisation des concertations devant mener à la validation des termes de références
Les étapes à venir sont cruciales mais les attentes sont déjà très fortes. Pendant ce temps, plusieurs tensions existent autour de la « validité » des conseillers du CNSP. Le conseil a déjà fait du « reculons » sur sa décision de ne pas convier le M5-RFP aux consultations, il y a une semaine. Il a également été critiqué après la publication de l’« Acte fondamental », il a ensuite été critiqué pour ses rencontres avec certaines personnalités dont l’ancien Président Moussa TRAORE. Et aujourd’hui, il est critiqué pour le choix méthodologique pour mener les concertations. Pendant la première journée des consultations au CICB (Centre International de Conférence de Bamako), les tensions ont été vives au moment de l’ouverture. Certains discours étaient véritablement « inflexibles » par exemple sur l’implication de certaines personnes et groupes … Abonnez-vous pour lire l’analyse complète
Pistes de réflexions :
- Affiner la méthodologie des concertations et revoir l’exclusivité pour adoucir les tensions
- Désigner et peser pour un chef de la transition en lien fort avec le corps militaire
- Rééquilibrer les rôles et les places entre les acteurs incontournables
- Mettre en place des mesures dissuasives pour prévenir des troubles provenant de certaines personnalités « mécontentes »
- Œuvrer positivement « main dans la main » avec la CEDEAO
- Eviter un lien très « affiché » avec les religieux
- Rester attentif aux mouvements d’enseignants et de magistrats
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