La Cour constitutionnelle du Mali a entériné le coup de force des militaires en désignant le vice-président de transition président dans sa décision du 28 mai 2021. Cette décision de la Cour est inquiétante.
Ce mercredi 26 mai, le président Bah N’Daw et son premier ministre Moctar Ouane ont présenté leur démission. Dans quelles conditions ? Nul ne le sait. Dans une déclaration lue à la télévision nationale, le conseiller spécial du colonel Assimi Goïta a informé les Maliens des circonstances qui ont poussé les putschistes à mettre « hors de leurs prérogatives » les deux figures du pouvoir.
Dans cette situation confuse, imprévue et non prise en compte par la Charte de transition, la Communauté internationale à travers la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et les acteurs locaux cherchent une sortie de crise. C’est alors que la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt sur la vacance du pouvoir.
Raccourci
Dans sa décision du 28 mai 2021, la Cour surprend autant sur la forme que sur le fond. Les motivations de sa décision sont autant discutables qu’insuffisantes. Dans la Constitution du 25 février 1992, la vacance du pouvoir, c’est-à-dire de la présidence de la République, est prise en charge par l’article 36.
Le juge constitutionnel a refusé de réguler la situation d’espèce par l’article 36 de la Constitution, et en même temps a reconnu que la Charte de la transition est muette sur cette question. D’une part, la Cour constitutionnelle use de son pouvoir de régulation du fonctionnement régulier des institutions pour déclarer recevable la requête du directeur de cabinet du vice-président Assimi Goïta, qui n’a pas qualité pour la saisir. D’autre part, elle fait fi de l’article 4 de la Charte de la transition qui parle du mode de désignation du président : « Le président de la ttransition remplit les fonctions de chef de l’État. Il veille au respect de la Constitution et de la Charte de la ttransition. Il est choisi par un collège de désignation mis en place par le Comité national pour le salut du peuple ».
En omettant expressément cet article de la Charte, le juge constitutionnel s’est arrogé les pouvoirs de ce collège, en donnant les prérogatives du président de la transition au vice-président, comme l’indique l’article 2 de son arrêt : « Le vice-président de la transition exerce les fonctions, attributs et prérogatives de président pour conduire le processus à son terme ».
Elle motive cette décision par l’article 7 de la Charte, qui dispose que le vice-président seconde le président de la transition. Mais, le raccourci de la Cour est étonnant, car en se référant au décret relatif aux attributions du vvice-président de la transition et à l’organisation de son cabinet, il est très clair que ce dernier ne peut pas remplacer le président en cas de vacance.
Garant des libertés publiques
En définitive, une démission obtenue dans des conditions que presque tout le monde ignore, à par les principaux concernés, ne doit pas prospérer chez le juge constitutionnel, qui est le seul à pouvoir déclarer la vacance du pouvoir. Pire, ni la Charte ni la Constitution ne donnent le pouvoir de dissolution du gouvernement au président. Par conséquent, le décret de dissolution du gouvernement auquel la Cour fait allusion pour résoudre le problème de sa saisine est illégal.
Le juge constitutionnel malien, ces dix dernières années, a fait recours à l’article 85 de la Constitution pour combler certains vides juridiques comme la prorogation des mandats des députés en 2018. Mais, il faut reconnaître que c’est ce même article qui fait de lui le garant des libertés publiques. L’article 85 de la Constitution donne d’énormes prérogatives aux juges pour protéger les droits fondamentaux : « La Cour constitutionnelle est juge de la constitutionnalité des lois et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ». Le juge constitutionnel malien est devenu presque expert en «bricolage juridique». Son aisance à s’habituer aux changements anticonstitutionnels des régimes est patent. Avec une jurisprudence presque indéchiffrable, l’on se demande si la Cour est gardienne ou agresseuse de la Constitution.