La république Centrafricaine (RCA) a fait le choix de la décentralisation depuis les années 80. Après plusieurs décennies, le bilan reste peu flatteur. Com- ment redynamiser donc le processus de décentra- lisation en RCA ? L’une des pistes de solution de- meure certainement l’implication et la valorisation des chefs de villages/quartiers dans le cadre de la gouvernance locale.
La décentralisation en République centrafricaine est une meilleure garantie d’une bonne gouvernance avec des meilleures perspectives de développement et surtout du renforcement de la sécurité dans le pays. Cette note évoque quelques enjeux et des pistes de compréhension de la décentralisation dans le pays, renvoyant à la valorisation du pouvoir des légitimités traditionnelles, ensuite, évoque quelques perspectives de recommandation devant permettre aux pouvoir publics d’améliorer l’implication de ces acteurs publics.
ENJEUX ET COMPRÉHENSION
La chefferie traditionnelle a assuré bien avant l’administration moderne, la gestion des terroirs et de peuples, se créant au fil des siècles une place d’importance capitale aux yeux des populations sur le continent africain. Cependant, après les indépendances, les chefs traditionnels ont été relégués au second plan et la gestion placée sous l’autorité des agents de l’administration héritée de la colonisation. Aujourd’hui, plusieurs interrogations persistent et renvoient à des questionnements sur la pertinence du rôle actuel des chefferies traditionnelles. Avec la perspective d’une nouvelle Constitution, il semble pertinent de se questionner sur l’insertion d’une disposition permettant de réaffirmer et de valoriser cette modalité de gouvernance locale.
EXISTENCE JURIDIQUE, PRÉROGATIVES ET FONCTIONNEMENT DES CHEFS DE QUARTIERS ET VILLAGES EN RCA (RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE)
Les chefs de quartiers et de villages ont eu leur existence juridique depuis 1988 par les ordonnances n°88.005 et n°88.006 portant création des collectivités territoriales et des circonscriptions administratives. Ces deux ordonnances ont permis de définir leur rôle, leur mode d’élection et de gouvernance. Or ces chefs ont toujours existé dans l’histoire de la Centrafrique et des pays africains.
Dans les ordonnances n°88.005 et n° 88.006 du 5 février 1988, statuant du statut juridique des chefs de village et de quartiers, il leur a été donnée comme prérogatives : l’exécution des décisions de l’autorité administrative et des autorités de la commune ; la protection des cultures et des récoltes, à la propreté de l’agglomération et à la tranquillité publique dans le ressort de leurs circonscriptions ; le signalement aux autorités administratives et judiciaires compétentes, de tout incident, infraction, délit et crime constaté dans le ressort de leurs circonscriptions; auxiliaires des services techniques chargés de l’entretien des voies
publiques. A ce titre, ils prennent toutes dispositions nécessaires pour que soient assurées la sécurité et la permanence de la circulation; la conciliation entre les parties en matière de justice civile et commerciale; la déclaration, dans les délais réglementaires, des naissances, décès et mariages au centre d’état-civil de rattachement; l’appui à la mise en œuvre des directives nationales en matière d’éducation et de formation.
Selon l’ordonnance n°88.005 et n° 88.006 de 1988 statuant sur le fonctionnement et le mode de désignation des chefs de quartiers et de villages, ceux-ci sont élus par l’ensemble des électeurs et ce pour une durée de 10 ans renouvelable. Ils sont élus au suffrage direct par les habitants mais sous l’autorité du maire ou du ministre de l’action territoriale.
L’INCOHÉRENCE DÉMOCRATIQUE
La démocratie est définie comme le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple. Ainsi, le pouvoir du peuple est confié à des représentants élus, qui porteront des actions au nom de leurs électeurs et pour les intérêts de ces derniers. Dans le cas d’espèce, les chefs de quartiers sont d’une part élus par l’ensemble des habitants et représentent de facto ces derniers ; d’autre part selon l’article 14 de l’ordonnance n°88.005 et n° 88.006 de 1988 relative à l’organisation des collectivités territoriales, le chef de village ou de quartier est tenu de prêter serment devant le juge d’instance en présence du conseil de village.
Cependant les chefs de villages et de quartiers n’ont aucune reconnaissance constitutionnelle. Or ils sont d’une part institutionnalisés de fait par la présence du mât de drapeau dans leur résidence. D’autre part, ils ont de larges prérogatives (citées en haut). Enfin, ils sont institutionnalisés dans les faits car ce sont les garants des traditions conformément au rôle donné par l’Etat à l’article 24 de la Constitution.
Les chefs de quartiers sont sous la tutelle soit du maire ou du ministre de l’administration du territoire. Il semble intéressant de définir les rôles de chaque autorité afin de parfaire l’organisation des collectivités. Définir les rôles et les compétences permettra de régler les problèmes récurrents de vente de terrain à plusieurs propriétaires.
RESTAURER ET VALORISER LE POUVOIR DES CHEFS DE QUARTIERS ET DE VILLAGE
La restauration et la valorisation du pouvoir des chefs de quartiers et de villages est une nécessité afin d’acquérir la cohésion sociale tant attendue. La valorisation se traduit : D’une part, par la reconnaissance institutionnelle. En effet, la constitutionnalisation des chefferies dites traditionnelles à l’instar du Ghana, de l’Afrique du Sud, de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso apportera la légitimité aux us et coutumes et aux actions des chefs traditionnels. D’autre part, par la montée en compétences des chefs via des formations afin de rendre plus efficaces leurs actions de proximité et leur permettre de répondre aux attentes nouvelles de la société sur la justice de proximité, la valorisation des us et coutumes et la lutte contre l’insalubrité.
Afin d’apporter plus de légitimité dans les actions des chefs traditionnels, il serait intéressant de :
• les rattacher au Conseil Économique et Social, afin de constituer un organe chargé des enquêtes en relation avec le Ministère de l’Administration du Territoire;
• les rattacher au Parlement constituant ainsi une chambre basse chargée également des enquêtes; • les rattacher au Tribunal d’instance ou de grande instance de leur juridiction dans le cadre de leurs activités de conciliation; les inclure au sénat en tant que représentants des collectivités territoriales.
La possibilité de changement de la Constitution est une opportunité de restaurer le rôle des chefs traditionnels et consolider la cohésion sociale.
PANDI Bertin Junior, directeur Aliber Conseil Centrafrique, consultant sur les dynamiques économiques en zone CEMAC ; NDIAYE Ousseynou Mbaye, juriste, professeur de Droit à Bangui – République Centrafricaine ; Dr. Youssouph Sané, directeur du cabinet Aliber Conseil au Sénégal, géographe spécialisé en aménagement, urbanisme et décentralisation à l’Université Amadou Mahtar Mbow au Sénégal