Une semaine après la remise officielle du projet de la nouvelle constitution au président de la transition, Assimi Goita, le gouvernement a décidé du report de la date du référendum constitutionnel prévu initialement pour le 19 mars 2023. Qu’est-ce qui explique ce report ? Pourquoi l’organisation des élections prend autant de retard ? Les militaires ont-ils une intention non avouée ?
Peu après le premier coup d’État, en août 2020, Assimi Goïta déclarait qu’un « délai raisonnable » suffirait à l’organisation des élections. Les Maliens ne se sont pourtant pas déplacés aux urnes une seule fois depuis cette « intervention ». La remise tardive du projet de Constitution de la IVe République et le report de la consultation visant à recueillir l’avis des citoyens sur ce texte font mentir le chef de la junte et confirment son but unique : conserver le pouvoir. La stratégie de l’évitement qu’il a mise en place provoque un désordre constitutionnel, qui aggrave lui-même la situation politique.
LA STRATÉGIE DE L’ÉVITEMENT
Le report du référendum sur le projet de Constitution de la IVe République n’étonne pas les Maliens, ni les juristes et les politistes habitués à analyser l’action de la junte au pouvoir, cette manœuvre dilatoire ayant touché la mise en place des Assises nationales de la réfondation, en 2021, ou la tenue des élections initialement prévues en 2022. Le 19 mars 2023, les citoyens Maliens n’iront donc pas voter. Aucune date ultérieure n’a été donnée par le ministre de l’Administration, Abdoulaye Maïga, dans le communiqué lapidaire annonçant l’ajournement du scrutin. Deux raisons l’expliqueraient : permettre à l’Autorité indépendante de gestion des élections (Aige) d’organiser le référendum et vulgariser le texte. Deux prétextes. D’abord, parce que l’Aige, installée depuis janvier 2023, avait tout le temps de se préparer étant donné que 80 % du Mali est occupé par des islamistes, ce qui réduit l’étendue de son travail ; ensuite, parce que la volonté de rendre accessible le texte aux citoyens n’a rien de crédible. Jusqu’à présent, en effet, les colonels ne s’étaient pas préoccupés que leurs compatriotes comprennent ou non l’Acte fondamental, la Charte de la Transition ou ses nombreuses révisions ! Il est curieux que le souci de clarifier la syntaxe et le lexique s’impose au moment où la place de la langue de Molière est désormais réduite au statut fantaisiste de « langue de travail » (article 31) ! Les putschistes cherchent à provoquer la communauté internationale au nom de la souveraineté prétendument retrouvée du Mali et, ainsi, mesurer leur popularité auprès des Maliens, puisque l’enjeu du vote est moins l’instauration d’une nouvelle Constitution que leur maintien à la tête du pays. Ils cherchent à gagner du temps, en repoussant le résultat d’un plébiscite dangereux, même si cela aggrave le désordre constitutionnel.
UN DÉSORDRE CONSTITUTIONNEL SUPPLÉMENTAIRE EN PERSPECTIVE
Dans le projet de Constitution, les titres XIII, Des dispositions transitoires, et XIV, Des dispositions finales, comptent deux articles, qui annoncent la poursuite de ce procédé grossièrement ménagé. Si le projet était adopté – ce qui ne fait pas de doute, au vu de la créativité de l’armée pour imposer ses choix –, l’ordre constitutionnel ne serait pas enfin rétabli, comme l’affirme pourtant le communiqué de l’ancien premier ministre intérimaire. En effet, les articles 190 et 191 indiquent trois étapes à l’issue d’un scrutin favorable au projet de Constitution : la proclamation du résultat, la promulgation du texte « dans les huit jours » et la mise en place des nouvelles institutions. En admettant que la proclamation soit faite aussitôt, dans l’intervalle qui suit, aussi court soit-il, la « législation en vigueur demeure valable dans la mesure où elle n’est pas contraire à la présente Constitution et où elle n’est pas l’objet d’une abrogation expresse » ; et « jusqu’à la mise en place des nouvelles institutions, les institutions établies continuent d’exercer leurs fonctions et attributions ». Autrement dit, la Constitution de la IIIe République, la Charte de la Transition et la Constitution de la IVe République coexisteraient. En somme, le désordre institutionnel se prépare. Toutefois, ce ne sont-là que les prémices d’autres bouleversements en cascade.
MIEUX VAUT TARD QUE JAMAIS ?
Le report du référendum va automatiquement repousser les élections législatives, prévues pour 2023, et l’élection présidentielle, censée se tenir en 2024. Déjà, au mois de janvier, Abdoulaye Maïga et le président de l’Aige préparaient les Maliens à une modification du « chronogramme ». Le délai supplémentaire que s’octroie la junte aux commandes du Mali pose un lourd problème pour la démocratie, le non-respect de la parole donnée aggravant la défiance du peuple à l’égard de leurs dirigeants. La Transition, qui ne devait pas durer plus deux ans, va se poursuivre au-delà d’un terme qui continue de s’éloigner. Cela est d’autant plus inquiétant que l’élection des représentants des territoires au sénat – l’article 95 du projet de Constitution créant cette seconde chambre – risque d’avoir lieu aux calendes grecques. Le retard de cette mesure, prévue dans l’Accord d’Alger, dont l’application a elle-même été repoussée maintes fois, devrait détériorer les relations exécrables entre Bamako et le nord du Mali et les rendre bientôt innommables. Enfin, la portion minime du territoire encore relativement préservée de l’instabilité pourrait encourir le pire plus tôt que nous le pensons.
Balla CISSÉ, Docteur en droit public, Avocat au Barreau de Paris, Diplômé en administration électorale