Du Mali au Tchad en passant par la Guinée et le Burkina, des militaires se sont royalement installés au pouvoir sous les acclamations grandioses de la rue. Bien que le contexte sociopolitique soit différent d’un Etat à l’autre à bien des égards, on pourrait tout de même remarquer une certaine similitude dans l’analyse et l’enchainement des causes ayant conduit à la rupture démocratique dans ces pays susmentionnés.
En effet, la mauvaise gouvernance et la détérioration rapide du climat sécuritaire sont, indiscutablement, les deux dénominateurs communs que partagent presque tous les Etats de l’Afrique subsaharienne, en l’occurrence ceux du grand Sahel. La gestion laxiste de la question sécuritaire s’inscrivant dans un contexte global de faille de gouvernance a été, sans doute, un enjeu déterminant dans le renversement des régimes issus des urnes jugés « incapables » et « incompétent » pour changer la donne. Cela a justifié le départ forcé du président Ibrahim Boubacar Keita du Mali, du président Alpha Condé de la Guinée et du président Roch Marc Christian Kaboré.
La situation était bien différente au Tchad où l’on a assisté, après le décès héroïque du président Idriss Déby sur le champ de bataille, à une passation dynastique du pouvoir accompagnée de la grâce et de la bénédiction de la communauté internationale, la même qui condamne de toute ses forces, la prise illégale du pouvoir par des militaires au Mali, au Burkina et en Guinée. Que révèlent ces évènements sur la santé démocratique de l’Afrique ?
Le coup d’Etat pour rectifier les errances des démocraties fantoches ?
Il n’est un secret pour personne que la démocratie en Afrique ne l’est qu’en façade. Derrière le rideau doré qui sert à embellir majestueusement la scène et à donner un fond de toile éclatant au spectacle, il se passe de combines et de jeu d’alliance contre nature qui extirpe de la démocratie de toute sa substance.
Entre volonté des Chefs d’Etat de se maintenir au pouvoir et l’ambition des opposants de conquérir le pouvoir par tous les moyens, les Etats africains se déchirent de l’intérieur et les élections deviennent sources de fractures politiques. C’est bien en Afrique que les périodes électorales sont perçues comme de forts moments d’anxiété et d’inquiétude par les populations. En effet, les contestations post-électorales comme celle de la Cote d’ivoire en 2010 ou encore celle du Mali en 2018 à la suite des législatives controversées servent d’exemples patents pour illustrer les conséquences désastreuses d’élections instrumentalisées en Afrique. Or, l’élection apparait comme le mode de désignation le plus adapté au contexte spécifique de la démocratie moderne. A ce titre, elle devrait participer de la stabilisation des institutions démocratiques et de la paix sociale, ce qui n’en est visiblement pas le cas.
Par ailleurs, il est imprimé dans la conscience collective que la démocratie dans sa pratique quotidienne aurait été la source de tous les maux de gouvernance liés à la corruption, à la délinquance financière, au népotisme, au favoritisme, etc. Toutes choses qui ont contribué à casser le ciment de confiance entre la base et le sommet de l’Etat.
Au-delà des frontières, l’ensemble de ces problèmes de gouvernance et de sécurité ont été mobilisés pour justifier les coups d’Etat et faire adhérer les masses populaires au projet politique des militaires. A en croire certains proches ou alliés du pouvoir, les militaires ont irruption sur la scène politique afin de redresser la démocratie en Afrique et redonner au continent sa souveraineté et son indépendance. Du Mali au Burkina-Faso en passant la Guinée, ce constat est partagé.
Le coup dans le coup, la méthode est-elle bonne ?
Dans un autre registre, le Mali et le Burkina font exception dans cette dynamique de colonélisation du pouvoir en Afrique de l’Ouest. Ce sont les deux seuls Etats ayant connu un coup d’Etat dans un autre coup d’Etat. En d’autres termes, les deux pays ont consommé deux coups d’Etat en l’espace d’une année. La raison ? Rectifier le tir !
Bon, admettons qu’à chaque fois qu’il y a désaccord idéologique sur la conduite des affaires publiques, que les uns prennent des armes contre les autres, nous allons tomber dans le cercle infernal de crises interminables. Les conséquences de « coup dans le coup » pourraient in fine s’avérer plus désastreuses que celles de démocraties fantoches.
L’urgence est donc à la sécurisation des frontières et à la concrétisation de réformes institutionnelles pouvant conduire à une stabilisation politique durable et au développement socioéconomique des populations locales. La démocratie est loin d’être un luxe pour l’Afrique pourvu que l’on sache s’en servir et l’adapter à notre contexte socioculturel et historique.
Ballan DIAKITE, Politologue.