Le Mali est à nouveau au cœur d’une nouvelle polémique, celle relative à la problématique des droits de l’Homme dans le pays. D’un rapport à un autre, l’Etat malien est incriminé et est donc poussé à se justifier. Toute chose qui laisse présager un nouveau bras de fer entre les autorités maliennes au pouvoir et la communauté internationale.
Le 31 mars 2023, l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali a présenté son rapport devant le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies lors de sa 52ème session ordinaire. Quelques jours plutôt, c’était le Bureau de la Démocratie, des Droits de l’Homme et du Travail du Département d’Etat des Etats-Unis d’Amériques qui publiait sur son site internet le rapport annuel 2022 sur les pratiques des droits de l’Homme au Mali. Ces deux rapports à l’instar des précédents publiés dépeignent un tableau plus que sombre du respect des droits de l’homme au Mali. En réponse à ces rapports, le Gouvernement du Mali déplorent une politisation de la question des droits humains au Mali et une approche d’ensemble à charge visant essentiellement à ternir l’image du pays. Il reproche surtout à la communauté internationale et aux organisations de défense des droits de l’homme de ne pas tenir compte du contexte de guerre asymétrique que mène le Mali depuis plus d’une décennie, ainsi que sur les énormes efforts faits par le Gouvernement dans le cadre de la promotion et la protection des droits de l’Homme sur toute l’étendue du territoire.
A l’analyse, il est évident que d’importants efforts devraient être davantage fournis dans le domaine de la protection des droits humains au Mali. Toutefois le traitement de la question par la communauté internationale s’apparente également à de l’acharnement contre le Mali, surtout, depuis le changement de partenaire stratégique opéré en matière de défense et lutte contre le terrorisme par le Mali. En effet, beaucoup d’autres situations alarmantes de violations des droits de l’homme en Afrique et dans le monde, passent pratiquement sous silence de la communauté internationale et souvent avec la bénédiction de certains pays qui aiment se présenter comme les champions ou les gardiens de la protection des droits de l’homme.
L’expert indépendant a mis en garde le Mali et la communauté internationale sur l’instrumentalisation politique des droits humains qui rend leur travail, celui de la société civile, des défenseurs des droits humains, et des organisations internationales de plus en plus difficile.
Droits de l’Homme, un concept à géométrie variable
Le traitement de la question des droits humains au Mali par la communauté internationale remet à jour le débat sur un concept des droits de l’homme à géométrie variable et constitue l’exemple parfait du deux poids deux mesures des pays occidentaux sur l’état des droits de l’homme dans le monde. Pour s’en convaincre, en octobre 2022, les forces de sécurité tchadiennes ont fait usage de la force pour disperser une manifestation interdite appelant à une transition plus rapide vers un régime démocratique et entrainé la mort d’une cinquantaine de personnes et plus de 300 blessés. La réaction de la communauté internationale à cette répression a été plus légère que celle qu’on aurait pu attendre s’il s’était d’un pays comme le Mali. Pourquoi ? Peut-être parce que les manifestants brulaient le drapeau français ? Que dire du manque déplorable d’actions dignes de ce nom face aux graves violations commises par certains alliés des pays occidentaux, comme l’Arabie saoudite dans le conflit au Yemen avec de l’armements acquis auprès de pays tels que la France ou les Etats-Unis ; l’Égypte où la liberté d’expression n’existe pratiquement plus et Israël qui n’hésitent pas à jeter des bombes sur les populations palestiniennes sans distinction aucune entre les femmes, les enfants ou les combattants ?
Le Conseil des droits de l’homme a créé un mandat de rapporteur spécial sur la situation des droits humains au Mali ou en Russie et un mécanisme d’enquête sur l’Iran à la suite de la répression meurtrière des manifestations dans ce pays, mais il a décidé par un vote de ne pas enquêter davantage ni même de débattre au sujet des éléments recueillis par les Nations unies elles-mêmes indiquant que des crimes contre l’humanité pouvaient avoir été commis dans le Xinjiang (Chine).
Ainsi, Amnesty international a dénoncé ce qu’elle a appelé « l’hypocrisie des États occidentaux, qui ont réagi avec force à l’agression russe en Ukraine mais ont fermé les yeux sur de graves violations commises ailleurs, voire en ont été complices », lors de la publication de son bilan annuel 2022 de la situation des droits humains à travers le monde.
Par ailleurs, nous pouvons nous poser la même question concernant le traitement « atroce » subi par des migrants interceptés en Méditerranée et envoyés de force dans des centres de détention en Libye, avec l’aide « honteuse » des Etats européens.
Au regard de ce qui précède, nous sommes amenés à nous poser la question de savoir si les droits de l’homme sont universels ? Si oui ! ils doivent être protégés de la même manière partout dans le monde que les victimes soient maliennes, syriennes, ukrainiennes, tchadiennes ou palestiniennes. Tel n’est pas le cas à l’évidence aujourd’hui. Pour les Américains, ils servent souvent de menace contre des régimes dont ils aimeraient changer le comportement. En France, l’extrême droite ne cesse de parler de valeurs occidentales, c’est pour mieux montrer que les musulmans ne partagent pas ces valeurs. Si des Américains approuvent le «muslim ban » interdisant certains musulmans à se rendre aux Etats-Unis, c’est parce qu’ils ont une vision xénophobe de l’islam et qu’ils se sentent menacés en tant que communauté nationale. C’est là qu’on parle des droits de l’homme comme d’une arme non pas pour promouvoir une attitude tolérante et compassionnelle, mais pour diaboliser des groupes sociaux. Alors de plus en plus d’observateurs sont tentés de remettre en cause la notion même d’universalité des droits de l’Homme.
De l’universalité des droits de l’Homme
En effet, il est aisé de constater que les puissances occidentales sont promptes à se cacher derrière un concept universaliste des droits humains pour mieux promouvoir et défendre leurs intérêts nationaux. L’invasion de l’Irak par les Etats Unis, la pratique de la torture dans les geôles d’Abou Ghraib, la zone de non-droit de la prison de Guantanamo, l’intervention de la France et du Royaume Uni en Lybie non justifiée par des considérations humanitaires, mais par des considérations d’ordre politique ou économique ou encore l’utilisation des drones qui tuent sans distinguer les combattants des civils, constituent autant de contradiction entre leur discours sur les droits de l’homme et la réalité. L’impunité occidentale, accompagnée de son discours moralisateur, pousse les autres régions du monde à s’affranchir d’un universalisme vu comme profondément impérialiste. Pendant que les Européens sont les principaux soutiens de la Cour Pénale Internationale au point que celle-ci apparaît comme une institution européenne de plus à La Haye, les Etats africains se retirent du Statut de Rome et plusieurs grands pays asiatiques (Chine, Inde, Indonésie) refusent d’y adhérer. Les Etats Unis, grands champions de la lutte contre la violation des droits de l’homme refusent d’adhérer au statut de Rome et mieux signent des accords bilatéraux avec les Etats membres du statut de Rome pour aucun américain, même coupable de crimes de guerre ou crime contre l’humanité ne soit jamais amené devant la CPI.
En conclusion, la politisation reste un défi majeur pour la réalisation universelle des droits de l’homme. Une mise en œuvre politicienne du droit international des droits de l’homme, au détriment de la promotion et protection des droits de l’homme, et de leur universalité, constitue un frein à leur avancement et un obstacle à la coopération internationale dans ce domaine. Ainsi, l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali a souligné « qu’il faut éviter que le basculement géopolitique que nous connaissons à l’heure actuelle puisse avoir un impact négatif sur la coopération entre le Mali et la communauté internationale », exhortant la communauté internationale à maintenir les liens avec Bamako et de les renforcer. « Parce que garantir la sécurité du Mali, épicentre de la menace terroriste, c’est garantir la sécurité régionale ».