L’affaire Sonko tient le Sénégal en haleine depuis plus de deux ans. M. Sonko a reconnu être allé se faire masser pour apaiser des douleurs de dos chroniques pendant le couvre-feu en vigueur lors de la pandémie de Covid-19. Mais il a toujours réfuté les viols et les menaces dont il est accusé. Une condamnation contrecarrerait encore davantage sa candidature à la présidentielle.
En effet, Ousmane Sonko a été condamné courant mai à six mois de prison avec sursis pour diffamation contre un ministre, un autre coup fourré selon lui. Cette peine à elle seule pourrait le priver de son éligibilité. De son côté, le président Macky Sall compte s’accrocher sur un troisième mandat très contesté.
Ousmane Sonko et ses rendez-vous manqués avec la justice …
Les rendez-vous de M. Sonko avec la justice ont régulièrement donné lieu à des incidents ou paralysé Dakar. Ses adversaires l’accusent de s’en remettre à la rue pour échapper à la justice, ou d’être un agitateur fomentant un projet « insurrectionnel ». Or il est clair qu’en dehors de son discours patriotique, révolutionnaire aux couleurs Sankaristes, qui à véritablement séduit la jeunesse, les actions indirectes du gouvernement sénégalais ont beaucoup contribué au sentiment d’injustice à l’égard de l’opposant – et – à sa grande notoriété. Cette même notoriété qui enflamme les rues de Dakar et de Ziguinchor et qui empêche les procès jugés « injustes ».
Un complot contre l’opposant de 48 ans selon ses partisans
L’homme politique de 48 ans devait se présenter mardi devant une chambre criminelle à Dakar pour viols et menaces de mort sur une employée d’un salon de beauté de la capitale. Réfutant ces accusations, l’opposant dénonce un coup monté du pouvoir pour l’empêcher de concourir à la présidentielle de 2024. Pour les partisans de l’opposant, Ousmane Sonko est victime d’un complot piloté par le gouvernement sénégalais. Pressenti comme un sérieux prétendant à la victoire finale de la prochaine présidentielle, le premier opposant au président Macky Sall est à un tournant décisif sur le plan politique. Et il ne compte « rien lâcher ». Ses partisans, survoltés depuis plusieurs semaines sont prêts à en découdre pour qu’il puisse participer à la prochaine présidentielle. Les violentes images des dernières manifestations illustrent l’intensité de cette lutte politique au Sénégal.
Un repli tactique à Ziguinchor
Ousmane Sonko, se trouve à plusieurs centaines de kilomètres de là à Ziguinchor, capitale de la Casamance, ville dont il est le maire et où il s’est retiré il y a quelques jours, a dit le porte-parole de son parti, Ousseynou Ly. Des groupes de jeunes hommes déterminés à empêcher qu’on vienne le chercher pour le traîner de force devant la cour ont affronté les forces de sécurité une grande partie de la journée du lundi, les tirs de gaz lacrymogènes répondant aux jets de pierres. Le mardi, toutes les rues menant au domicile de M. Sonko sont restées bloquées par des manifestants résolus, et exaltés pour nombre d’entre eux. Des jeunes, le visage masqué, barre de métal ou cailloux à la main, montaient la garde aux coins de rue de la ville.
Des heurts sporadiques ont également été rapportés lundi à Dakar et dans sa région. Un incendie a totalement détruit une vingtaine de véhicules dans un dépôt de la compagnie nationale de bus à Keur Massar, dans la banlieue de Dakar, a constaté un journaliste de l’AFP. La presse a rapporté des attaques contre deux magasins de l’enseigne française Auchan, cible habituelle de tels actes.
Ousmane Sonko ne s’est, au final, pas rendu au tribunal. Il dit « ne pas avoir reçu de convocation » et aussi « qu’il a craint pour sa sécurité » après avoir été malmené à trois reprises par les forces de l’ordre lors de déplacements antérieurs au Palais de justice, a dit à la presse un de ses avocats, Me Cheikh Khoureyssi Ba. « C’est une question de vie ou de mort maintenant pour Sonko de venir au tribunal », a-t-il déclaré. Il n’a pas confirmé la présence de M. Sonko à la barre le 23 mai, mais l’a envisagée comme possible.
La stratégie du silence
Habituellement très communiquant, M. Sonko se tait depuis plusieurs jours. Il risque d’être arrêté s’il persiste dans son refus de se présenter devant la chambre criminelle. Il avait annoncé qu’il ne répondrait plus aux convocations de la justice, instrumentalisée selon lui. Son accusatrice, Adji Sarr, jeune femme d’une vingtaine d’années, et la co-accusée de M. Sonko, Ndèye Khady Ndiaye, patronne du salon de beauté de Dakar dans lequel les faits se seraient produits, étaient bien présentes, dans un palais une nouvelle fois placé sous haute protection policière.
« Je suis en forme. J’ai confiance. On va gagner. C’est dommage qu’après une attente de deux ans pour un procès, il (Sonko) ait fui », a déclaré Adji Sarr, en robe blanche, avant l’ouverture de l’audience.
Renvoi du procès de l’opposant dans un Contexte trouble
C’est dans un contexte de trouble à travers le pays que le procès pour viol contre l’opposant et candidat déclaré à la présidentielle de 2024 a été renvoyé au 23 mai après s’être brièvement ouvert mardi en son absence à Dakar. La cour a ordonné le renvoi de l’affaire au bout de quelques minutes.
La veille, lundi, des affrontements entre jeunes supporteurs de Ousmane Sonko et forces de sécurité avaient eu lieu à Ziguinchor (sud), fief de l’opposant, et dans la région de Dakar. Les autorités ont fait état de trois morts, sans les lier directement aux troubles mais en évoquant un contexte propice selon elles aux violences. Des heurts ont repris mardi en milieu de journée à Ziguinchor, malgré l’ajournement du procès, ont constaté des journalistes de l’AFP.
L’Université Cheikh-Anta Diop, un théâtre de contestation
Sous la tension politique, l’Université Cheikh-Anta-Diop est surveillée comme du lait sur le feu. Depuis Mai 68, la plus grande université du pays est au centre des contestations. Dans les travées du campus dakarois, le torchon brûle entre les militants du camp présidentiel et la jeunesse acquise à Ousmane Sonko, alors que le procès pour viols de l’opposant politique devait s’ouvrir ce mardi 16 mai.
Dans les travées de l’Université Cheikh-Anta-Diop (Ucad), la chambre 45 du bâtiment G est pleine à craquer. Encore plus que d’habitude dans ce dortoir qui accueille, chaque nuit, 21 pensionnaires pour 12 lits disponibles. Les membres de la Jeunesse patriotique du Sénégal (JPS) se sont réunis pour faire le point sur la condamnation le 8 mai de leur leader, Ousmane Sonko, à six mois de prison avec sursis pour « diffamation » et « injure publique ». Une peine qui pourrait entraîner son inéligibilité pour la présidentielle de février 2024. Arrivé troisième à l’élection présidentielle de 2019, cet ancien inspecteur des impôts âgé de 48 ans est aujourd’hui considéré comme le principal challenger de l’actuel président Macky Sall, soupçonné de vouloir briguer un troisième mandat, pourtant proscrit par la Constitution.
La popularité de l’opposant et le puissant soutient dont il bénéficie, est un couteau à double tranchant car elle est la conséquence des frustrations d’une grande partie de la population qui veut voir leur situation changer. Ce dévouement est aussi le fruit de l’espoir qu’il a fait naitre chez le peuple sénégalais. Si ces derniers voient leurs espoirs brisés ils pourraient se retourner contre lui avec plus de violence que celle avec laquelle ils s’étaient battus pour lui au paravent.
Kadiatou Camara, journaliste à l’ADS