A l’heure où les autorités maliennes de transition tentent de normaliser leur relation avec la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) par la publication du chronogramme du référendum constitutionnel, un rapport de l’Organisation des Nations Unies (ONU) rendu public il y a quelques jours risque de relancer à nouveau les tensions entre le Mali et la communauté internationale.
Une semaine après la sortie du rapport des Nations unies (ONU) sur Moura, le Ministre malien des affaires étrangères et de la coopération internationale a rencontré le Corps diplomatique et consulaire ainsi que les Représentants des Organisations internationales accrédités dans le pays.
Un pays coincé entre des vents opposés
Depuis le second coup d’Etat, les autorités maliennes ont décidé de changer de références linguistiques. Plusieurs expressions sont alors apparues et font désormais partie de l’environnement linguistique et politique malien. De l’expression « Malikura » à “l’intérêt supérieur du peuple malien”, les autorités maliennes ont créé un nouveau langage politique et populaire avec comme objectif de rompre avec les pratiques des régimes précédents. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Critiqué sur la scène internationale pour des pratiques dites populiste, le président de la transition, figure symbolique de la transition en cours, est adulé par les maliens. Ce constat a été d’ailleurs confirmé par la récente enquête d’opinion “Mali-Mètre” de la Fondation Friedrich-Ebert-Stiftung. Cette étude révèle en substance que 80 % des Maliens font confiance au président de la Transition.
De l’intérêt du peuple malien à l’intérêt commun diplomatique
Pour le Ministre malien des affaires étrangères, il n’y a rien de paradoxal et d’inapproprié d’évoquer un intérêt commun diplomatique. Une lecture qui s’illustre à travers la thématique de la rencontre avec le Corps diplomatique le jeudi dernier et le besoin de miser sur une diplomatie dans « l’intérêt commun au plan national, à l’échelle sous régionale, régionale et internationale ».
La question sécuritaire et son impact sur la situation des droits de l’homme
Pleinement mise en cause dans le rapport dit de “Moura” par les Nations unies, la diplomatie malienne tente de rassurer ses partenaires et de rappeler les contours du processus de paix et les perspectives concernant la MINUSMA. En effet, ces dernières semaines, la Minusma vit des moments particulièrement difficiles et son maintien dans le pays semble de plus en plus compromis. En juin prochain, la mission onusienne saura si elle reste dans le pays au ou si elle doit finalement quitter le pays. Dans tous les cas, rien ne semble indiquer qu’elle réussira à disposer d’un déploiement qu’elle juge “idéal” dans le pays.
Une trajectoire véritablement irréversible ?
Devant le Corps diplomatique présent au Mali, le chef de la diplomatie malienne a “souligné avec satisfaction la trajectoire irréversible empruntée par le Mali pour un retour à un ordre constitutionnel apaisé et sécurisé dont le premier pas important marqué dans ce domaine est la convocation du collège électoral pour le référendum du 18 juin”. Ce discours du Ministre Abdoulaye Diop reste dans la continuité de ce qu’a toujours rappelé le gouvernement malien à savoir tenir coûte que coûte aux idéaux prédéfinis dans lesquels la transition aura échoué. Mais alors, cette trajectoire est-elle réellement irréversible ? A bien des égards, tout semble indiquer que “oui” du côté malien. Le gouvernement malien compte tenir à son agenda propre tout en gardant ses partenaires au plus près. Mais l’autre question est de savoir si les partenaires suivront. Dans tous les cas, le Ministre a rappelé qu’il y “n’aura aucune incidence sur le respect du chronogramme de la Transition”.
L’ouverture diplomatique reste un objectif
Lors de son intervention, le chef de la diplomatie malienne a invité les partenaires à “accompagner la dynamique enclenchée” par le Mali et la perspective de “normalisation de la gouvernance politique”. Une volonté d’ouverture qui ne peut passer inaperçu. En effet, le pays a besoin de ses partenaires pour mettre en œuvre sa stratégie diplomatique et sortir du cycle actuel. Côté partenaires, la situation reste délicate et la dynamique géopolitique actuelle constitue un blocage pour plusieurs représentations diplomatiques. C’est d’ailleurs ce qui nous a été confirmé par un responsable consulaire africain qui a préféré rester anonyme. La guerre en Ukraine, la polarisation des enjeux géopolitiques, contraignent presque les gouvernements à des choix.
Le Mali est face aux limites de la réponse internationale sur le plan sécuritaire
Après être sortie du G5 Sahel pour des raisons de souveraineté et après avoir indexé le “deux poids, deux mesure” en écho à la présidence tchadienne du G5 Sahel, le Ministre Diop a insisté sur le fait que “le Gouvernement a pris toute sa responsabilité pour assurer la sécurité du territoire malien en fournissant des efforts importants dans le renforcement des capacités opérationnelles des Forces de défense et de sécurité”. Ces propos ont une signification particulière dans une période marquée malgré tout par une baisse importante des attaques djihadistes qui est à relier au partenariat avec la fédération de Russie, la République populaire de Chine ainsi que la Türkiye. Malgré les graves accusations autour du respect des droits de l’Homme dans le pays, le Ministre assure que les “Forces de défense assument désormais, en toute autonomie, leur rôle régalien de sécurisation des personnes et de leurs biens”.
Le respect des droits de l’Homme : un sujet épineux
Dans son intervention devant le Corps diplomatique présent au Mali, le chef de la diplomatie malienne à d’office “déplorer la campagne hostile de certains Etats et Organisations internationales contre le Mali, en instrumentalisant la question des droits de l’homme”. Il a également fustigé le rapport des Nations Unies sur les évènements de Moura, au centre du pays. Il a dénoncé dans ses propos, “son caractère fictif”, “léger”, “partial et dangereux” “du fait, d’une part, de l’affirmation, sans fondement, de 500 personnes tuées, sur une population d’environ 4.000 personnes, soit 12,5% de la population de Moura. Selon le chef de la diplomatie malienne, le rapport des Nations unies sur Moura constitue une “opprobre jeté sur l’institution militaire et étatique, sans aucune précaution d’usage en matière d’enquête”. Pour rappel, ce rapport publié le 12 mai dernier, a été réalisé par une mission onusienne composée de 12 chargés des droits de l’homme et de 4 experts de la police des Nations Unies (UNPOL). Cette mission spéciale d’établissement des faits aurait “conduit ses travaux, conformément à la méthodologie du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, sur une période de sept mois, soit du 1er avril au 30 octobre 2022 à Bamako, Douentza, Mopti, Ségou et Sikasso”. Le rapport précise que “157 entretiens individuels avec une variété de sources, y compris des victimes de viol et autres formes de violences sexuelles, des membres des communautés peule, rimaibè et bozo venant de 18 localités”. Ce sujet épineux est loin d’être à son dénouement. Dans cette perspective, le chef de la diplomatie malienne précise que ledit rapport “n’est qu’un dossier politique visant à punir le Mali pour ses choix politiques, à saper la montée en puissance de nos Forces de défense et de sécurité et à perturber la dynamique engagée pour le retour à un ordre constitutionnel au Mali”.
Amadou K. analyste politique