A la télé comme à la radio, dans les écoles comme sur les panneaux publicitaires ; des hommes et des femmes sont mobilisées pour faire campagne pour le « oui » au referendum constitutionnel en perspective. Prévu pour le 18 juin prochain, ledit référendum plus qu’il ne rassemble. Les différentes forces politiques de la nation prennent position et se divisent entre le camp du « oui » et celui du « non ».
La philosophie politique part du postulat que l’existence d’un Etat se justifie par l’élaboration d’un « contrat » devant bénéficier de l’adhésion de l’ensemble des citoyens qui, en acceptant les clauses dudit contrat aliènent volontairement une partie de leur liberté au profit d’un tiers (Etat), chargé d’assurer et de garantir pour l’ensemble de la collectivité sociale la Paix ; la Sécurité ; la Stabilité et la protection de la Propriété privée. Dans le langage moderne, ce souverain « contrat » entre gouvernants et gouvernés, est ce que nous appelons aujourd’hui : Constitution.
Du point de vue du droit constitutionnel, la constitution apparait comme, un texte juridique à double sens. Définie comme la Loi fondamentale du pays, son tout premier sens est de servir de statut juridique pour l’Etat et ; dans un second temps, permettre juridiquement la limitation des pouvoirs tout-puissants de l’Etat. En tant que statut juridique de l’Etat, la constitution détermine les institutions de la République ; leur organisation ; ainsi que les différents rapports devant exister entre elles. Bien qu’elle soit considérée comme la loi fondamentale, placée au sommet de la hiérarchie des normes, la constitution n’a pas pour vocation à être considéré comme un dogme ni comme un texte révélé. En tant que produit d’un travail humain, elle est susceptible de révision, de modification et de changement. La constitution est en ce sens appelée à s’adapter aux évolutions du contexte sociopolitique.
La vie constitutionnelle au Mali
Au Mali, la constitution du 25 février 1992 consacrant la troisième République est, au fondement du droit positif malien. C’est la troisième constitution du pays après celle de 1960 et la Loi fondamentale de 1974. Après plus de deux décennies d’existence, et trois tentatives de révision, l’actuelle constitution est en passe de ne plus être en mesure de répondre, efficacement, aux défis socio-politique et sécuritaire de plus en plus grands de la société malienne. En tant qu’institution-mécanisme, la constitution doit être en mesure d’anticiper des situations, d’être en phase avec la réalité et de pouvoir apporter des réponses lorsque viennent à se présenter des situations de crises d’ordre socio-politique et institutionnel. Par contre l’incapacité du gouvernement à extirper le Mali de cette situation de crise multidimensionnelle qui dure depuis 2012 laisse apercevoir des vides juridiques quant à l’emploi de certains moyens administratifs (décentralisation avancée) ; juridico-budgétaires (cour des comptes) et institutionnelles (bicamérisme) pourtant nécessaire pour le renforcement de la démocratie et la résolution des conflits sociopolitiques.
Par ailleurs, la prééminence incontestable du président de la République sur les autres institutions dans l’architecture institutionnelle laisse voir, dans la pratique politique, la quasi-négation du principe de séparation des pouvoirs dans la vie politico-institutionnelle malienne.
Face à ces multiples défis le gouvernement décide de se lancer dans un projet de révision de la constitution. Si la nécessité de la révision demeure un sentiment partagé parmi les intellectuels et les politiques, la question du « timing » c’est-à-dire le moment choisi pour opérer cette révision suscite controverse et soulève par contre le problème de la conformité constitutionnelle de cette révision. L’article 118 de la constitution actuelle en vigueur interdit en effet, formellement, toute procédure de révision constitutionnelle lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité territoriale du pays. Or, il apparait de toute évidence que la souveraineté de l’Etat ne couvre pas, à ce jour, l’ensemble du territoire national.
Une révision constitutionnelle sous pressions extérieures
Dans le contexte actuel marqué par l’insécurité généralisée et par l’absence du contrôle souverain de l’Etat sur les régions du Nord et du Centre, n’est-ce pas une atteinte à l’article 118 de la constitution que de vouloir réviser celle-ci alors que le pays est en proie au chaos ? A partir du moment où le processus de « DDR » (Démobilisation-Désarmement-Réinsertion) peine à être effective depuis pourtant la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation signée à Alger en 2015 ; est-ce possible de dire que l’intégrité territoriale est intacte au Mali alors que plusieurs fractions de rebelles refusent jusqu’ici de déposer les armes ? Peut-on croire à la viabilité d’une réforme institutionnelle alors que l’administration publique est loin d’être effective sur l’ensemble du territoire national ?
Le dialogue étant au point mort entre l’Etat malien et les groupes séparatistes rebelles depuis belle lurette, la communauté internationale sous les auspices de l’ONU a dû rappeler à table les différents protagonistes en vue de signer un pacte dans lequel les parties s’engagent à respecter la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation. A défaut de sanctions contraignantes, la communauté internationale menace, en cas de négligences constatées, de prendre des mesures et décisions qui s’imposeront bon gré mal gré aux deux parties (Gouvernement et Rebelles).
L’expérience a montré que partout où l’insécurité est générale, il devient alors plus loisible pour le pouvoir exécutif de restreindre les libertés individuelles au nom de la sécurité. À travers cette initiative de projet de révision constitutionnelle, devrons-nous craindre un éventuel renforcement des pouvoirs de l’exécutif, qui n’en est déjà que trop, au détriment des droits fondamentaux et des libertés individuelles ? La conduite de cette révision constitutionnelle par des militaires présage-t-il un renforcement de l’autorité du pouvoir central ?
A ce jour, des ex-rebelles intégrés dans le MOC refusent toute réinsertion dans l’armée malienne, à la seule condition que leur salaire soit augmenté et qu’ils obtiennent le grade de « Général ». Une telle exigence porte en elle les prémisses d’une injustice flagrante et le risque d’une division très prochaine au sein de l’armée nationale. N’aurait-il pas été mieux de faire taire au préalable toute velléité de conflit avant de procéder à une révision de la constitution ? L’interrogation demeure légitime.
Les limites de la révision Constitutionnelle au Mali
A l’instar de tous les régimes semi-présidentiels à exécutif bicéphale, le Mali, dans sa Loi fondamentale donne concurremment l’initiative de révision de la constitution au président de la République et aux députés de l’assemblée nationale. Cependant, à contrario des lois ordinaires, la procédure de révision constitutionnelle est rigide au Mali. Ce qui veut dire que le président de la République et les députés n’ont qu’une liberté peu relative quant à la procédure de révision constitutionnelle déjà imposée par la constitution elle-même.
En effet, en vertu de l’article de 118 alinéa 2, la constitution dispose : « Le projet ou la proposition de révision doit être voté par l’Assemblée nationale à la majorité des deux tiers de ses membres. La révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référendum… ».
Par ailleurs la doctrine constitutionnelle observe des limites à la révision constitutionnelle. Au Mali ces limites peuvent se résumer essentiellement en deux types de limites : une limite territoriale et une limite temporelle. Ces limites renvoient respectivement à l’interdiction stricte de toute tentative de révision constitutionnelle lorsque l’intégrité du territoire national est atteinte (limite territoriale) et, également lorsque le pays traverse une période de transition politique (limite temporelle).
La constatation de ces limites ainsi que la vérification de la constitutionnalité de la procédure de révision relève de la compétence de la Cour Constitutionnelle. Celle-ci doit donner avis pour éclairer l’opinion publique ainsi que les institutions politiques par rapport à ces sujets. Le paradoxe malien est que cette Cour Constitutionnelle est incapable de s’autosaisir à chaque fois qu’on l’attend sur des questions épineuses concernant la vie politique de la nation. Dans ces conditions il serait difficile de se fier à la Cour Constitutionnelle qui, pourtant, est constitutionnellement l’institution chargée de garantir les droits fondamentaux de la personne humaine ainsi que les libertés publiques qui, tous confondus, risquent d’être menacés et mutilés par une révision constitutionnelle qui semble ne pas vouloir prendre en considération le contexte d’insécurité générale dans lequel elle s’organise.
Ballan DIAKITE, Politologue.