Plongé dans une double crise politique et sécuritaire, le « pays des hommes intègres » fait face aujourd’hui à un grand dilemme. Sécurité ou élections ? Voilà l’équation que le gouvernement doit résoudre. Pourtant, l’exécutif semble bien déjà prendre une position tranchée.
« Il ne pourrait y avoir d’élections sans sécurité », dans un pays sévèrement frappé par le phénomène du terrorisme dont le dernier bilan date seulement du week-end passé où une quarantaine de personnes ont été tuées au cours de deux attaques distincts. Ce discours du premier ministre burkinabè, Apollinaire Joachim Kyelem de Tambela, prononcé le 30 mai dernier devant l’Assemblée législative de transition lève toute ambiguïté sur les priorités du gouvernement de la transition.
Selon lui, les besoins du pays se définissent en fonction de l’urgence à savoir : la sécurité, l’élaboration d’une nouvelle Constitution et ensuite l’organisation des élections lorsque la stabilité surviendra. « On ne peut pas faire des élections sans la sécurité. Si vous avez une baguette magique qui peut nous assurer la sécurité le plus tôt possible, on organise les élections », a-t-il affirmé devant l’Assemblée législative de transition mettant l’accent sur le fait que le seul obstacle du retour à l’ordre constitutionnel reste l’insécurité.
Le Burkina Faso fait face à une recrudescence d’attaques terroristes depuis plusieurs mois. Une des raisons fondamentales qui a d’ailleurs occasionnée les deux coups d’état militaires dans le pays courant l’année 2022.
Le week-end dernier seulement, deux nouvelles attaques ont endeuillé la région de la Boucle du Mouhoun, frontalière du Mali faisant plusieurs victimes. « Cette attaque a occasionné la mort d’une vingtaine de personnes, principalement des volontaires pour la défense de la patrie (VDP) », a affirmé un responsable sous couvert d’anonymat. Compte tenu de cette situation, certains observateurs, à l’instar du premier ministre Apollinaire, pensent que la tenue des élections dans ces conditions est impossible et exposerait d’avantage les populations aussi bien le jour du scrutin que lors des activités de campagnes.
« Pas de négociation »
Pour sa part, le chef du gouvernement a déclaré qu’il « n’y a pas de négociation possible » avec les Groupes Armés Terroristes (GAT). « Nous ne négocierons jamais, ni l’intégrité territoriale du Burkina Faso, ni sa souveraineté (…) La seule négociation qui vaille avec les bandits armés est celle qui se fait actuellement sur le champ de bataille » a-t-il levé l’équivoque.
Pour contenir la flambée de l’insécurité, le gouvernement Burkinabè envisage même d’augmenter le nombre des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) qui sont actuellement de près de 50 000. « Notre ambition est de porter le nombre des VDP à 100 000 et même au-delà », a-t-il annoncé le premier ministre lors de son discours sur la situation de la nation, devant l’Assemblée législative de transition le mardi.
Il est important de signaler que c’est la population qui paie le prix fort de cette insécurité. Autant les Jihadistes qui recrutent sans cesse parmi les populations autochtones, le gouvernement aussi recrute des supplétifs civils qui ne bénéficient seulement qu’un ou deux mois de formation, avant d’être envoyés au front.
Qu’à cela ne tienne, le premier ministre burkinabé se réjoui de plusieurs succès militaires, un recul des groupes armés qui a permis le retour de plus de 120 000 déplacés internes dans leurs villages respectifs. Très certain, il rassure que la reconquête des zones sous le joug des terroristes se poursuit progressivement. Mais, cette reconquête aurait pu aller plus vite, si seulement le Burkina n’avait pas été abandonné par ses anciens partenaires, notamment sur la question de la fourniture d’armes. Une occasion pour lui, de dénoncer, tout comme son voisin le Mali, l’attitude incompréhensible de certains pays amis. « Des partenaires qui pourtant font des affaires au Burkina Faso ont refusé de nous vendre des armes. Pire, certains partenaires ont même dissuadé d’autres de le faire. Sous d’autres cieux, ces mêmes partenaires qui nous ont tourné le dos, ont du jour au lendemain, convoyé des quantités considérables d’armes pour voler au secours de certains pays. Cela nous a conduits au renforcement de nos relations avec la Russie, la Chine, la Turquie, l’Iran, la Corée du Nord et le Venezuela […]. Actuellement, grâce à l’entregent du président Traoré, chaque soldat peut avoir son arme et ses munitions. Nous avons pu, avec nos nouveaux partenariats, acquérir, en toute transparence, des armes performantes 5 à 10 fois moins chères. »
Doter le pays d’une nouvelle constitution
Pour Apollinaire Joachim Kyelem de Tambela, la refondation de la société burkinabè commence par doter le pays « d’une Constitution qui soit le reflet des aspirations de la population » : « Nul ne peut réellement s’émanciper à partir des valeurs et des références d’autrui. Le mimétisme constitutionnel a pour corollaire non seulement le déficit démocratique, mais aussi le mimétisme de gouvernance qui entraîne un dysfonctionnement entre le peuple et son administration. Le tout constituant un incubateur de troubles sociaux. »
Pour modifier le texte, le premier ministre entend s’appuyer sur des Comités de veille et de développement (Coved). Créés en avril, par décret présidentiel, ces organisations civiles et apolitiques doivent remplacer les conseils villageois. Ils seront les premiers à se pencher sur la Constitution :« Les Coved seront des instruments d’organisation et d’encadrement des populations qui se prendront ainsi en charge à la base. Les Coved contribueront à l’élaboration d’un avant-projet de Constitution. Le Burkina de demain sera-t-il une monarchie, si oui, laquelle ? Sera-t-il une république, si oui sous quelle forme ? Ce sera au peuple d’en décider. »
Cette question d’adéquation entre les textes adoptés par les États africains et les réalités africaines a toujours posé problème depuis le début des indépendances. Il est plus que temps aujourd’hui de refonder les États sur des bases plus solides. Une fois la refondation de la nation lancée, le premier ministre entend après s’atteler à la réconciliation nationale. Un comité ministériel planche déjà sur le financement d’indemnités pour les victimes de violences politiques.
Kadiatou Camara, journaliste ADS