A l’heure où « l’épidémie de coups d’Etat » fait ravage en Afrique de l’Ouest, la CEDEAO tente si bien que mal de trouver un moyen de freinage. L’ultime solution serait une intervention militaire pour imposer l’ordre constitutionnel. Toutefois, les incohérences internes à l’Organisation font d’elle un véritable un véritable cancer dans la sous-région.
En effet, la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est une organisation internationale créée par les Chefs d’Etat et de Gouvernement de quinze pays d’Afrique de l’Ouest lors de la signature du son Traité fondateur à Lagos (Nigéria), le 28 mai 1975. Dès sa création, l’Organisation s’est assignée comme mission principale la promotion de l’intégration économique dans la région.
L’espace CEDEAO couvre une superficie de 5,2 millions de km² pour une population estimée à 300 millions de citoyens. L’Organisation nourrit l’ambition de faire de cet espace un bloc commercial unique par le biais de la coopération économique. Toutes choses qui viennent réconforter la Vision de l’Organisation à l’horizon 2050 qui consiste à passer d’une « CEDEAO des Etats » à une « CEDEAO des peuples ».
Mais une « CEDEAO des peuples », voilà le défi le plus crucial tant l’antagonisme entre les peuples (populations des Etats membres) et l’Organisation est à son paroxysme. C’est un paradoxe effroyable de constater qu’au moment où la CEDEAO veut renforcer la dynamique de l’intégration régionale, qu’elle soit rejetée, reniée, et même discréditée par les populations des pays membres.
Les récents coups d’Etat au Mali, au Burkina-Faso, en Guinée et maintenant au Niger sont des illustrations parfaites de cet état de faits : la CEDEAO condamne les putschs, les populations descendent dans les rues pour soutenir les putschistes. Un hiatus qui met au grand jour les malaises d’une Organisation à bout de souffle.
La CEDEAO, une organisation malade de ses propres contradictions internes
Les enjeux pour la CEDEAO sont importants. La seule organisation communautaire du continent qui parvenait jusqu’ici à résoudre ses problèmes internes, à pacifier des pays, à stabiliser des pays en conflit et à se construire une certaine crédibilité auprès des Etats et des opinions publiques ouest africaines est de plus en plus incapable de parler d’une seule voix et de faire respecter ses décisions de plus en plus contestées.
Le coup d’Etat de 2020 au Mali a contribué largement à lever le voile sur les imperfections de la CEDEAO, précisément en ce qui concerne ces mécanismes de prévention et de gestion des putschs. La raison en est simple. C’est que les « deux poids, deux mesures » de l’Organisation ne sont plus acceptés par certains pays membres.
Le Mali, Guinée et le Burkina-Faso ne comprenaient pas que l’Organisation s’acharne sur eux pour des raisons de coup d’Etat militaire alors qu’un certain Alassane Ouattara a dû modifier sa constitution pour se maintenir au pouvoir, briguant ainsi un troisième mandat, au mépris du principe démocratique de l’alternance.
La CEDEAO devrait donc avoir le courage de condamner avec la même énergie et la même rigueur les coups d’Etat « constitutionnels » au même titre que les coups d’Etat « militaires ». Il y va de sa crédibilité et de sa pérennité.
Force militaire « anti-putsch », une décision impopulaire
On se souvient de ce sommet ordinaire tenu le 4 décembre 2022 à Abuja, au Nigeria, où les chefs d’Etat et de gouvernements de la CEDEAO avaient annoncé la création d’une force militaire anti-putsch et de lutte contre le terrorisme.
Il va sans dire que les voies et moyens, permettant de freiner « l’épidémie de coup d’Etat » qui frappe la partie occidentale de l’Afrique, doivent être recherchés. Cependant, cette méthode, pour le moins musclée, pourrait poser plus de problèmes que de solutions tant dans la forme que dans le fond.
Du point de vue de la forme, un tel dispositif militaire pour endiguer les coup d’Etat a certainement besoin de l’assentiment et de l’adhésion de tous les Etats membres de l’Organisation. Or à ce jour, plusieurs Etats membres et non les moindres, sont suspendus des instances de l’Organisation. Sur ce registre, le Mali ; le Burkina-Faso ; la Guinée et maintenant le Niger depuis deux semaines.
En outre, une telle force sera nécessairement composée des soldats fournis par les Etats membres. Pourtant, les Etats frontaliers (Mali, Burkina-Faso, Niger) de la zone stratégique du Liptako-Gourma sont tous confrontés à la menace terroriste et, dans une certaine mesure, à une latente rébellion touarègue principalement au Mali et au Niger. Ce qui est en soi un facteur de contrainte pour une meilleure participation de ces Etats à la composition de ladite force anti-putsch.
Du point de vue du fond, il y a là aussi des contraintes qu’on ne pourrait aucunement occulter. Le risque d’une implosion de la CEDEAO n’est pas à écarter en cas d’intervention militaire de l’Organisation dans un pays membre. Il est évident que les autorités de ce pays ainsi que sa population ne porteront plus l’Organisation dans leur cœur.
En outre, ce serait un facteur de désordre sous régional. Imaginez un instant les soldats d’un pays livrer combat à leurs propres frères et sœurs. Au risque de causer une rivière de sang dans les pays membres, la CEDEAO a plutôt intérêt à faire prévaloir la diplomatie dans son approche de lutte contre les coups d’Etat dans l’espace ouest-africain.
Niger, une intervention militaire imminente de la CEDEAO ?
Depuis le 26 juillet dernier, date à laquelle le président Mohamed Bazoum a été renversé par un coup d’Etat, les chefs d’Etat de la CEDEAO s’activent pour brandir la menace d’une intervention militaire en vue d’imposer l’ordre constitutionnel. Pourtant, cette intervention militaire n’est pas en réalité facile à opérer dans le contexte actuel des choses.
D’abord, disons que la CEDEAO n’a pas tout à fait à ce jour une force déjà constituée, disponible et prête à intervenir tout de suite. Depuis le sommet ordinaire du 4 décembre 2022 à Abuja où la question d’une force anti-putsch avait été soulevé, les contours de sujet demeure imprécis et presque flous. C’est pourquoi d’ailleurs depuis quelques jours on voit certains Etats (Sénégal, Cote d’ivoire, Benin, etc.) faire des manifestations de volonté en termes de mobilisation de militaires. C’est juste pour dire que ladite force est à ce jour en gestation et n’est pas encore arrêtée de manière définitive.
Ensuite, quand bien même la CEDEAO arrive à obtenir de ses Etats membres un effectif assez important de militaires, la question de la logistique et particulièrement d’appui aérienne demeure posée. Pourtant cet appui aérienne est indispensable en cas d’intervention au regard de la géolocalisation particulière du palais présidentielle du Niger qui se situe en plein cœur de la ville de Niamey. Comment faire donc une intervention militaire sans pour autant causer des dommages civils collatéraux ? Telle est la grande problématique.
Enfin, l’hypothèse d’un embrasement général n’est pas à écarter en cas d’intervention militaire de la CEDEAO au Niger. N’oublions pas que le Mali, le Burkina-Faso et la Guinée ont laissé entendre de leur côté que toute intervention de la CEDEAO s’assimilerait à une déclaration de guerre. Cette hypothèse est à prendre au sérieux car si jamais elle s’avère, elle pourrait précipiter tout le Sahel et toute l’Afrique de l’Ouest dans une guerre effroyable aux conséquences insondables. La plupart des Etats du Sahel, déjà faillis, pourraient ainsi faire face à un risque de dislocation, exposant les populations à des situations humanitaires exécrables.
Pour toutes ces raisons susmentionnées, je demeure convaincu que l’intervention militaire est bien plus une posture d’intimidation que toute autre chose. Dans ce genre de situation, la sagesse recommande de privilégier la voie diplomatique, le dialogue et la négociation.