A l’occasion du 63ème anniversaire de l’indépendance du pays, le président de la transition ne s’est pas dérobé à la traditionnelle adresse à la nation. Au regard des multiples défis auxquels le pays est actuellement confronté, force est de reconnaitre que ce discours était largement attendu des maliens. De la question sécuritaire à l’économie en passant par la diplomatie, l’éducation, la santé et l’emploi des jeunes, ce discours est un véritable tour d’horizon des grands enjeux qui concernent le Mali d’aujourd’hui. A ce titre, un décryptage politologique de ce discours s’impose…
Le contexte est déterminant
Les discours politiques entretiennent une relation particulière avec le contexte dans lequel ils sont produits. Il serait même juste de dire que c’est le contexte qui détermine le contenu d’un discours politique. Il a fallu l’occupation allemande pour que l’historique appel du 18 juin du Général De Gaulle reste gravé dans les cœurs et les esprits. Le célèbre discours connu sous le titre de « I have a dream » du révérend Martin Luther King n’aurait certainement pas vu le jour si le racisme et la ségrégation n’avaient pas miné le corps social américain. Conformément à cette logique, il serait inopportun de vouloir dissocier le discours du président de la transition du contexte sociopolitique dans lequel il a été élaboré.
En effet, la dimension sécuritaire est actuellement importante dans l’analyse du contexte. Le Mali vit la pire crise sécuritaire de son histoire depuis l’avènement du pays à l’indépendance en 1960. A ce titre, on comprend aisément la raison pour laquelle la question sécuritaire constitue le fond de toile de ce discours. Depuis la rétrocession du camp de Ber à l’armée malienne par la Minusma, les régions du nord du Mali sont le théâtre des affrontements entre les forces armées du Mali (Famas) et les groupes armés terroristes et les ex-rebelles Touaregs de la coordination des mouvements de l’Azawad (CMA).
Face à cette triste réalité, le président de la transition ne pouvait manquer dans son discours de faire preuve de solidarité et de compassion à l’endroit des parents de victimes et blessés des récentes attaques terroristes dans le nord du pays.
« Aux familles endeuillées, je présente les condoléances de la Nation et souhaite prompt rétablissement aux blessés. Les attaques ainsi dirigées contre les populations civiles de même que celles contre les FAMas ne resteront pas impunies. A ce jour, une enquête est déjà ouverte par la justice malienne. ».
Toutefois le président de la transition est conscient qu’il ne peut aucunement se limiter à des condoléances, puisque in fine ce que les citoyens attendent de l’Etat c’est une réaction forte afin de les protéger et de garantir la sécurité de leur personne et de leurs biens. L’état d’esprit du malien lamda est qu’il est temps que les grands discours laissent place à des actions concrètes. C’est pourquoi le président de la transition devait se montrer rassurant et faire comprendre aux maliens en général, et aux parents de victimes en particulier, que les autorités de la transition travaillent d’arrache pieds pour assurer leur sécurité.
« La nouvelle politique de défense intègre les citoyens dans un système plus adapté aux conditions d’un pays faisant face à des menaces sécuritaires multiformes. C’est pourquoi le Gouvernement a restauré et amélioré le service national des jeunes. Il a également pris un décret sur la réserve des forces armées et de sécurité. Aussi, la nouvelle Constitution prévoit la mobilisation aux côtés des forces armées et de sécurité de tous les citoyens âgés de 18 ans au moins pour la défense de la patrie. »
Le choix des mots est primordial
Dans la communication politique, la construction des repères identitaires est nécessaire pour tout homme politique qui souhaite se faire entendre et bénéficier de l’adhésion de ses concitoyens. Pour cette raison, il est fréquent que les hommes politiques cherchent à s’identifier au peuple en se présentant comme les seuls qui soient habilités à parler en son nom. Pour atteindre cet objectif, plusieurs techniques d’expression sont utilisées par les hommes politique. Et l’on voit que le discours du président de la transition malienne n’échappe pas à ce principe.
C’est le cas par exemple quand il dit : « Après dix ans de présence des forces étrangères sur notre sol, nous avons compris que la logique était plutôt d’entretenir l’insécurité et de nous maintenir dans la dépendance. C’est la raison fondamentale pour laquelle, le peuple malien a décidé de prendre en main sa sécurité… »
Ici, on comprend aisément qu’il y a une intention manifeste de confondre le choix stratégique des autorités de la transition avec la volonté du peuple malien. « Nous avons compris que », « Le peuple malien a décidé de » sont autant d’expressions qui visent clairement à construire des repères identitaires.
Se défendre et attaquer la cible
Le champ politique n’est pas un univers sentimental. C’est plutôt une vie de jungle où l’ennemi n’est jamais loin. Pour cette raison, l’espace politique est reconnue d’être un espace de clivage. La logique binaire y est donc prépondérante : soit tu es avec moi, soit tu es contre moi. Ben le cerveau, un activiste du mouvement Yèrèwolo en a payé récemment le prix fort.
Ainsi, à l’heure où des voix s’élèvent contre la cherté de la vie, contre les coupures intempestives d’électricité et contre l’insécurité notamment à Tombouctou, il était tout à fait prévisible que le président de la transition cherche à défendre son bilan. Il est conscient que le contexte actuel est favorable pour les opposants politiques de formuler des critiques à l’encontre des autorités de la transition. Pour cette raison, il faut anticiper. D’où cet extrait dudit discours :
« Face aux multiples défis auxquels notre pays est confronté, notre diplomatie a su se réinventer pour jouer tout son rôle dans l’atteinte de nos objectifs majeurs de refondation, notamment la reconquête de notre souveraineté. Les résultats obtenus, en termes de crédit de notre pays, mais aussi de mobilisation de ressources et de partenariats en soutien à nos efforts de développement, confortent nos choix. Ce repositionnement stratégique, impulsé, est appelé à se poursuivre dans un contexte d’incertitudes liées aux profondes mutations en cours sur la scène internationale. »
Ballan DIAKITE, Chef de la rédaction de L’Analyse de la semaine, Politologue.