Le Togo pourrait rejoindre l’Alliance des États du Sahel (AES), comme l’a suggéré le ministre des Affaires étrangères togolais, Professeur Robert Dussey, sur sa page Facebook, le mardi 11 mars 2025. Selon lui, cette « décision stratégique pourrait renforcer la coopération régionale et offrir un accès à la mer aux pays membres », qui sont tous continentaux. Cependant, le ministre Dussey n’a pas mentionné la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans sa communication.
Lomé ne cache plus désormais son ambition d’intégrer cette organisation sahélienne. Le chef de la diplomatie du Togo, pays maritime de l’Afrique de l’Ouest, a réitéré, en l’espace de deux mois, sa volonté de rejoindre l’AES. Cette déclaration est survenue 24 heures après la tournée sahélienne du nouveau président ghanéen, John Dramani Mahama. Lors de ses visites à Bamako, Ouagadougou et Niamey, le président ghanéen a notamment renforcé ses liens commerciaux et diplomatiques avec ces trois pays dissidents de la CEDEAO. Il a également appelé à un rapprochement entre ces pays et « la grande famille », tout en mettant en avant l’expertise du port de son pays, frontalier avec le Burkina Faso et le Niger. Le Ghana reste l’un des poids lourds économiques de l’espace CEDEAO.
Les déclarations faites à l’issue de cette visite par John Dramani Mahama ont été un déclencheur pour la communication diplomatique togolaise. Dans sa publication, le ministre togolais a souligné que cette démarche d’adhésion « suscite un grand intérêt et marque un tournant dans la politique africaine ». Il a même énuméré trois avantages potentiels de cette intégration pour son pays : « un accès stratégique à la mer ; une unité politique renforcée et une souveraineté africaine affirmée ».
« Un pari courageux pour la diplomatie »
C’est ainsi que le ministre des Affaires étrangères du Togo a qualifié cette démarche sur son site web en janvier, après son intervention sur Voxafrica. Ce jour-là, il a salué le service rendu par son pays lors des négociations : « Malgré les pressions de certaines puissances internationales et de pays voisins, le Togo a maintenu sa position avec fermeté ». Il a également ajouté que « ceux qui critiquaient cette posture rejoignent finalement le camp de la raison », ce qui témoigne, selon lui, de la pertinence et de la justesse de cette vision.
Dans cette même déclaration, le chef de la diplomatie du Togo a précisé que son pays est fermement « contre les coups d’État, mais privilégie la paix et le dialogue plutôt que la guerre ». Il a ainsi expliqué que le président togolais avait choisi « de promouvoir le dialogue au lieu d’encourager la violence ou les interventions militaires ». « Cette position, assumée avec conviction par le président de la République et son gouvernement, montre une approche responsable et pacifique dans la gestion des crises », a-t-il ajouté.
Un rapprochement à connotation politique
Tout au long de sa déclaration, la diplomatie togolaise n’a fait aucune mention de la CEDEAO, organisation dont elle est encore membre. Selon les services de communication du ministre, la diplomatie togolaise a adopté « une approche subtile et efficace face aux crises en Afrique ». Robert Dussey a précisé que « nous mettons la carotte devant le bâton derrière », une expression qui illustre parfaitement la vision de son pays, qui privilégie « la négociation et le dialogue avant toute confrontation ou sanction ».
Pour le Togo, il s’agit de « bâtir des solutions pacifiques et durables, même dans des contextes complexes comme les coups d’État ou les tensions régionales », tout en défendant la position « protectionniste » de son pays face aux crises du continent. Toutefois, certains experts et observateurs ont interprété cette vision comme une stratégie « politique », visant à s’opposer aux prises de position de plus en plus « démocratiques » au sein de la CEDEAO.
Ils ont soutenu unanimement que le Togo, sous le leadership de Gnassingbé Eyadéma, l’un des pères fondateurs de la CEDEAO, « ne pourra jamais » claquer la porte de cette organisation. Niagalé Bagayoko, présidente du Réseau africain pour le secteur de la sécurité, a estimé que « le pays va sûrement peser pour que la CEDEAO se positionne davantage sur les questions économiques plutôt que sur la démocratie », en jouant sur « la multi-appartenance ».
Pour rappel, Faure Gnassingbé, qui a pris le pouvoir suite au décès de son père Eyadéma en 2005, est à son quatrième mandat à la tête du pays. En mai 2024, il a promulgué une nouvelle constitution, « contestée » par l’opposition, qui a instauré la cinquième République dans un régime parlementaire.
Accra et Lomé : deux supercheries aux portes de l’AES
Le président ghanéen a conclu son opération de séduction dans les pays de l’AES le lundi 10 mars, à Ouagadougou. Si l’objectif de cette visite était de rapprocher les positions de l’AES et de la CEDEAO, John Dramani Mahama a surpris tout le monde en annonçant sur ses réseaux sociaux « la nécessité de la reconnaissance de l’AES par la CEDEAO ».
Lors de ses visites dans ces trois pays, Accra a renforcé ses liens commerciaux avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso, dont il est frontalier avec deux, tout en vantant les services portuaires de son pays. La sécurité commune aux frontières a également été au cœur de ces échanges.
« Un pays côtier comme le Ghana a tout intérêt à trouver des solutions pour calmer le jeu avec Bamako, Niamey et Ouagadougou, afin que ses échanges, par exemple avec le Burkina Faso, ne soient pas taxés », a déclaré François Giovalucchi, expert de la zone franc, dans les médias.
L’objectif principal de cette visite, selon certains observateurs ouest-africains, est pour le Ghana de « maintenir la position stratégique du port de Tema face à la concurrence des autres pays de la CEDEAO ». « Aujourd’hui, on assiste à une véritable bataille de corridors avec trois grandes clés d’entrée vers l’hinterland sahélien : les ports d’Abidjan, de Tema au Ghana et désormais de Lomé, qui offrent aux chargeurs et aux organisations de transports une triple option, notamment vers le Burkina Faso et le Mali. Or, depuis deux ans, avec l’ouverture du deuxième terminal du port d’Abidjan, celui de Tema perd du terrain », a analysé Yann Alix, expert du transport maritime, dans les médias.
Mohamed Camara, pour L’Analyse de la semaine – ADS