A l’heure où la nation toute entière est mobilisée dans le cadre de la commémoration du 26 mars 1991, date de l’avènement de la démocratie au Mali ; il convient de jeter un regard éclairé sur la problématique de l’application de l’Accord d’Alger qualifié pour les uns comme une panacée à la rébellion touarègue, et pour les autres comme un projet de dislocation de la République.
En effet, la trajectoire de l’Etat contemporain du Mali est jalonnée par des crises cycliques desquelles ont découlé des conflits armés notamment dans la partie septentrionale du pays. En remontant aux origines des crises au nord on parvient à la conclusion que la question de targuie serait à l’origine de tout ce désordre qui règne, lequel profite à la montée en puissance de l’extrémisme violent à travers tout le pays. Traité de façon superficielle, par le pouvoir central de Bamako, les conflits se sont multipliés dans le temps. Pourtant des insurrections touarègues au Mali il a toujours découlé des accords entre les insurgés et les pouvoirs politiques depuis 1960. Le dernier en date, celui de 2015 (Accord d’Alger), est conclu entre le régime de feu Ibrahim Boubacar Keita et le mouvement pour la libération de l’AZAWADE ainsi que les groupes armés pro-gouvernementaux répondant sous l’appellation commune « la plateforme ».
… cet accord n’a ni amené la paix ni permis la réconciliation au Mali …
Plusieurs années après sa signature, cet accord n’a ni amené la paix ni permis la réconciliation au Mali. Au contraire il a consisté à assurer l’impunité aux groupes armés signataires et faire la promotion de quelques chefs de ces groupes dans les institutions maliennes. Révoltées, les populations exigent du pouvoir de Bamako la relecture de cet accord qui semble de toute évidence mettre sur un piédestal les groupes armés signataires et le gouvernement. La période de la transition a semblé opportune pour remettre sur table cette question. Des forums dont les assises nationales de la refondation en décembre 2021 sont organisés pour donner de la légitimité à cette démarche du pouvoir politique. Mais c’est sans compter sur l’insistance des groupes armées qui se sont montrés réfractaires et que même la formule magnifiquement réfléchie d’un officiel malien selon laquelle « on fera une application intelligente de l’accord d’Alger » ne saurait les convaincre.
C’est du déjà vu cette scène dans les relations entre le pouvoir de Bamako et les sécessionnistes
A l’analyse des déclarations comme celle récente faite par un conseiller du CNT et selon laquelle « nous irons à Kidal et couper la tête du serpent », on se rend compte que si l’accord n’est pas au bord de l’implosion, il serait en tout cas sur le point de dormir pour de bon dans les tiroirs, aucune inflexion à propos de l’application de l’accord en l’état actuel.
Si Doulaye Konaté remarque que les rébellions touarègues suivent une chaîne opératoire dont les maillons constitutifs sont « rébellion – désertion – accord de paix – intégration – rébellion – désertion », le Pr. Abdoul Sogodogo note que les conflits politiques violents de 1991, 2006 et 2012 se sont soldés par des accords de paix issus de la médiation algérienne et que la récurrence des conflits au nord du Mali met en évidence tout de même de sérieuses difficultés d’application de ces accords de paix soulevant des questions sur l’approche méthodologique du médiateur, mais aussi sur ses objectifs stratégiques et les jeux d’autres acteurs. Mais dans la continuité de Abdoul, il convient d’ajouter que l’attitude du pouvoir central de Bamako et celui des groupes signataires sont à bien des égards à l’origine de ces difficultés. Il suffit de faire un tour d’horizon pour comprendre cette affirmation.
« aboutir à une solution pacifique négociée, juste et définitive…,
En effet, bien qu’« après plus d’un demi-siècle d’occupation, d’oppression, de drames, de déni identitaire et d’injustice, le peuple de l’Azawad ait demandé à vivre dignement son identité sur son territoire », le passage du régime malien de la dictature à la démocratie dans les années 1992 a permis de sceller un pacte (il s’agit du Pacte national conclu entre le Gouvernement de la République du Mali et les Mouvements et Fronts Unifiés de l’Azawad en avril 1992) et dont l’objectif se dresse comme suit : « aboutir à une solution pacifique négociée, juste et définitive…,une solution qui tienne compte des diversités culturelles, géographiques et socio-économiques qui existent dans la République du Mali et, en même temps, une solution qui tende à la consolidation de l’unité et de l’intégrité nationales…».
Le plus gros crime de l’Etat Malien est d’avoir consacré de retard dans l’application de ce pacte pour la sortie de crise.
D’abord il faut comprendre que le régime de transition avait pris fin en 1992 avec l’élection d’un président démocratiquement élu. Ce fut la première expérience du pluralisme démocratique au Mali. Le premier quinquennat d’Alpha Oumar Konaré marque l’aboutissement du processus de décentralisation pour répondre aux aspirations des populations de nord victimes d’absence de développement et lesquelles vivaient à travers la cagnotte de solidarité. Malgré la tentative de rassurer les populations Touaregs du nord par le pouvoir central, les velléités sécessionnistes n’ont pas totalement disparu. En 1993 le Président Alpha Oumar Konaré effectue une visite au nord, mais une année après soit en 1994, l’insurrection revient de plus belle. Mais avec la « Flamme de la paix de Tombouctou », le 27 mars 1996 les voies de paix furent entamées. Ainsi La cérémonie de la ‘‘Flamme de la paix de Tombouctou’’ était un symbole du retour de la paix dans le nord Mali.
… la suspension du débat sur l’Unité du pays jusqu’à l’avènement du régi …
Elle marque la suspension du débat sur l’Unité du pays jusqu’à l’avènement du régime d’Amadou Toumani Touré sous lequel, notamment son deuxième mandat, la remise en cause de l’intégrité territoriale du Mali refait surface. En fait, plusieurs facteurs expliquent cette régression dans l’affaire de targuie notamment le système de gouvernance consensuelle instituée et la corruption qui minait tout le pays. Rien que la gouvernance consensuelle inaugurée par ATT, profitait à la montée en puissance des injustices et des inégalités mais aussi de la criminalité à travers tout le nord. L’armée s’est quant à elle montrée inefficace à jouer son rôle de défense et de sécurisation des individus et de leurs biens.
Par ailleurs, à la suite de la conclusion de l’accord du 4 juillet 2006 à Alger entre le gouvernement d’ATT et les sécessionnistes Touaregs, leurs chefs de guerre exigent aux autorités maliennes des promotions au sein de l’Administration publique. Sans entreprendre un processus de désarmement, démobilisation, réinsertion ou réintégration de tous les ex-combattants, le président accorde de nombreuses faveurs aux ex- chefs de guerre pour avoir la paix. Ce deal n’a pas tout de même marché avec le temps. Malheureusement en 2012, avec le retour de combattants de la Lybie à la suite de l’effritement du régime de Mouammar Kadhafi, l’insurrection armée a été lancée sur Aguelhok. Cette énième velléité sécessionniste qui fait suite aux frustrations sociales et politiques de la communauté touareg marque le départ de multitudes de conflits à travers tout le pays et dont les plus graves sont ceux qui s’étendent du nord au centre avec des affrontements communautaires à la clé. La même équation a été donnée à feu président Ibrahim Boubacar Keita à résoudre. Comme on le dit ici chez nous les mêmes causes produisent les mêmes effets. Mais il se trouve qu’avec le vent populaire qui souffre dans bien régions maliennes, la résistance à l’application de l’accord semble être légitime.
Des démonstrations de forces militaires récurrentes qui suscitent de l’espoir coté population, la résistance du gouvernement de Bamako à appliquer l’accord suscite de vives inquiétudes des parties prenantes :
Si la particularité de l’accord d’Alger aux précédents réside dans le fait que sa signature est intervenue quand l’Etat du Mali était en position de faiblesse. Avec les défis sécuritaires qui asseyent le pays, le gouvernement s’est engagé à restructurer son armée, l’équiper, et la rendre plus professionnelle. Même si le pari est loin d’être gagné, il se trouve que l’armée malienne est montée en puissance, et ça c’est un fait qui a été attesté par les renseignements américains qui parlent de sur-militarisation du Mali. Mais que va servir la guerre dans la guerre ? à l’analyse plus approfondie de la rebellions touarègue au Mali, on se rend compte que si l’affrontement armé est récurent, cela résulte de la mauvaise gestion des précédentes crises et que même si l’on
était le pays le plus puissant militairement au monde, notre contexte impose plus de recul quant à la l’utilisation de la violence armé. Si la volonté de faire communauté exclusive de touarègue est à l’origine des insurrections au nord il faut reconnaitre aussi le rôle de l’Etat dans l’éclatement de ces conflits. Soutenue par la presse, le départ de l’insurrection au nord semble faire suite à la provocation d’un agent de sécurité malien à l’encontre d’un jeune touareg du nom d’Elladi ag Alla lui rappelant le sort réservé à son père, Alla ag albacher et que la répression décidée par le pouvoir en place et mis en œuvre sous les ordres du célèbre capitaine Diby silla Diarra fut totalement disproportionnée, aveugle et sanglante. Exécution publique et autres. Si la gestion de la crise recommande de tirer enseignement du passé, il est donc utile pour le gouvernement malien et les groupes armés séparatistes de revenir à de meilleurs sentiments.
Djedani Nalion, Auditeur de master en droit de l’Homme et Culture de la Paix, ADS