Depuis la prise de Kaboul par les talibans, l’inquiétante perspective de voir un jour un groupe armé extrémiste ou une coalition de groupes armés extrémistes s’emparer de Bamako, la capitale du Mali, anime les débats jusque dans les cercles fermés de décision publique. Mais qu’en est-il réellement ?
Dans les faits, il est difficile de faire un lien direct entre le cas afghan et le cas malien voire sahélien. Les éléments d’analyse et de compréhension divergent, jusqu’à preuve du contraire, à travers plusieurs niveaux d’analyse. On pourrait facilement considérer quatre niveaux comme des indicateurs communs d’analyse.
Le premier niveau d’analyse est la défaillance des États. En effet, on remarque que l’État malien et les autres au Sahel, comme celui de l’Afghanistan, sont bien en peine de se retrouver, fixer des caps structurels, occuper le territoire et se relever. La seule distinction majeure, qui pourrait être évoquée, à ce niveau, d’ailleurs avec beaucoup de prudence, est que l’État afghan est tombé. Au Sahel, on n’en est pas encore là.
Le second indicateur commun, sur la base duquel on peut analyser les deux cas, est la situation des armées nationales. L’Afghanistan était, jusqu’à cette transition talibane, l’un des États les plus corrompus au monde. Et l’armée nationale afghane, depuis le début de l’intervention américaine et internationale en Afghanistan en 2001, était également considérée comme l’une des plus corrompues au monde avec une grande problématique autour des effectifs dits fictifs. Il faut noter, ici, que parmi les reproches les plus importants des partenaires à destination des armées maliennes et sahéliennes, le problème lié aux effectifs fictifs crée aujourd’hui la frustration chez les partenaires. En Afghanistan, sur une durée de 20 ans, l’armée ne comptabilisait que 300 000 hommes dont de nombreux n’étaient pas en mesure de faire face aux actions talibanes. Aujourd’hui, sur une durée de presque 10 ans d’appui international, l’armée malienne connaît les mêmes types de difficultés. Avec une aggravation de la situation malienne par des coups d’État, difficiles à condamner à certains égards mais qui empêchent tout de même l’installation d’une relative stabilité dans la gouvernance.
Aspirations à la justice des populations
Le troisième indicateur est la position des acteurs internationaux. Ce qu’il faut rappeler avec insistance, c’est que, comme dans le cas afghan, il existe un double agenda : l’agenda des acteurs internationaux et l’agenda des acteurs nationaux. Ce sont deux agendas difficilement identiques. L’un des enseignements les plus importants qu’on peut retenir du cas afghan, c’est bien le fait que les acteurs internationaux peuvent décider de partir à tout moment. L’État malien et les États sahéliens doivent tenir compte de la donne géopolitique et stratégique internationale, qui dépend avant tout de la politique interne. Quand les situations et approches politiques internes changent dans les pays qui interviennent et qui appuient, alors la posture internationale peut changer.
Enfin, le dernier indicateur, c’est la population. Au final, il s’agit bien de l’indicateur le plus important. Dans le cas afghan, face à l’incapacité avérée de l’État et prononcée par l’ex-président Ashraf Ghani, la population s’est plutôt progressivement tournée vers les talibans. On ne pourrait justifier cette option d’une grande partie de la population afghane que par le désir de stabilité et de justice. L’appui des populations a, dans le cas afghan, progressivement légitimer le combat des talibans. Il est donc plus que décisif que les États sahéliens répondent aux aspirations à la justice des populations pour espérer gagner des parties importantes de cette guerre.
L’alerte plus que l’inquiétude
Les similitudes entre les deux cas ne sont pas à négliger. Mais il y a encore de grandes différences. Parmi les éléments qui distinguent les deux situations, il y a l’éparpillement des groupes extrémistes armés dans le cas malien – ou encore sahélien. Ce qui n’a pas été le cas en Afghanistan. Il faut, de ce point de vue, rappeler que les talibans constituent un groupe social compact, avec une idéologie islamiste rigoriste qui connait, bien avant l’intervention américaine de 2001, beaucoup d’adeptes sur le sol afghan.
Il faut aussi rappeler que les talibans ont déjà gouverné l’Afghanistan (jusqu’à 2001) et disposent d’un réseau économique et diplomatique qui n’a jamais été en sommeil. Il convient également de rappeler que les talibans ont une longue et victorieuse expérience de la guerre. Les grands parents directs de certains chefs talibans d’aujourd’hui ont combattu et vaincu la grande armée de l’ex-URSS.
La relativité, qui doit prévaloir tout de même, peut conduire à adopter une posture d’alerte active. C’est-à-dire que les États sahéliens doivent se mettre dans une posture active avec comme finalité d’éviter que les groupes extrémistes ne contrôlent davantage la réponse aux besoins des populations. En outre, les autorités maliennes doivent davantage se montrer présents sur la périodicité de la crise : tirer les leçons de l’avant-crise, revoir certaines copies et approches de pensée mais surtout avancer de manière lucide les hypothèses plausibles de la résolution du conflit. Les partenaires, eux, attendent les autorités maliennes sur ces questions. L’Afghanistan n’est certes pas le Mali, encore moins le Sahel. Mais, dans les deux cas, il s’agit de la soumission à la même donne internationale.