Le mercredi 30 avril 2025, de vastes mobilisations populaires ont eu lieu dans plusieurs villes du Burkina Faso en soutien au président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré. À l’appel du Comité national de vigilance civile, les manifestants ont dénoncé l’ingérence étrangère, notamment américaine, et réaffirmé leur attachement à la souveraineté nationale. Ces rassemblements interviennent dans un contexte de tensions diplomatiques et traduisent une volonté croissante de rompre avec l’influence occidentale au profit de nouvelles alliances régionales.
Le déclencheur immédiat de ces manifestations est une déclaration du Général Michael Langley, commandant de l’US AFRICOM, perçue à Ouagadougou comme une remise en cause de la légitimité du pouvoir de transition. Ces propos, bien que non détaillés officiellement, ont été largement relayés et interprétés dans les médias locaux comme une ingérence inadmissible dans les affaires internes du Burkina Faso. La réaction a été rapide et massive : les manifestations du 30 avril ont été présentées par leurs initiateurs comme une réponse populaire à « l’arrogance impérialiste » et une marque de soutien au régime en place.
Le Premier ministre burkinabè, Jean Emmanuel Ouedraogo, a pris part à la mobilisation à Ouagadougou, renforçant l’image d’un pouvoir en symbiose avec une partie de sa population. Dans son message transmis de la part du capitaine Traoré, il a salué la mobilisation comme « un rempart contre la manipulation extérieure ». Le gouvernement affirme puiser sa légitimité non d’un processus électoral classique, mais de ce qu’il qualifie de « soutien populaire massif », mis en avant comme une forme alternative de validation démocratique dans un contexte de crise sécuritaire persistante.
La rhétorique souverainiste au cœur du discours officiel
Les manifestations du 30 avril s’inscrivent dans une dynamique plus large au Sahel, marquée par un rejet croissant des anciennes puissances coloniales, notamment la France, et des partenaires occidentaux en général. Les slogans « À bas l’impérialisme », « Non aux manœuvres des puissances étrangères » ou encore « Vive la résistance anti-impérialiste » traduisent cette évolution idéologique. L’AES (Alliance des États du Sahel), qui regroupe le Burkina Faso, le Mali et le Niger, cristallise ce projet d’émancipation collective : ces pays partagent une gouvernance militaire, une rhétorique souverainiste et un rapprochement avec la Russie.
Le drapeau russe, très visible lors des manifestations, symbolise une réorientation diplomatique assumée par Ouagadougou. Cette nouvelle donne géopolitique suscite toutefois des inquiétudes sur les plans sécuritaire et économique, notamment en matière d’aide internationale et de coopération dans la lutte contre le terrorisme.
Une mobilisation encadrée et politiquement exploitée
La mobilisation du 30 avril apparaît comme l’une des plus importantes depuis le coup d’État de septembre 2022. Si elle reflète indéniablement un soutien populaire réel à la politique de rupture du capitaine Traoré, elle soulève également des interrogations sur les mécanismes d’organisation et l’encadrement des foules. Des structures comme la Coordination nationale des associations de veille citoyenne (CNAVC), ouvertement pro-junte, jouent un rôle central dans la mise en scène de cette ferveur populaire.
Par ailleurs, la dénonciation d’un « grand complot » en avril, que les autorités affirment avoir déjoué, alimente une narration de l’État assiégé, utile pour justifier la centralisation du pouvoir et la répression des voix dissidentes. Depuis plus d’un an, de nombreux militaires et civils ont été arrêtés pour des accusations de tentative de déstabilisation, dans un climat où la liberté d’expression est régulièrement restreinte, notamment dans les médias.
Souveraineté revendiquée et défis structurels persistants
Les manifestations du 30 avril ne peuvent être réduites à un simple rejet des États-Unis ou un soutien mécanique au pouvoir en place. Elles traduisent un moment charnière pour le Burkina Faso, où se mêlent une quête d’affirmation nationale, une volonté de rupture avec des schémas de dépendance historique, et une adhésion, au moins partielle, à un discours panafricaniste réinventé.
Mais au-delà des symboles, se pose la question de la durabilité de ce modèle. Le pays, confronté à une insécurité chronique, à une économie fragilisée et à des institutions affaiblies, doit concilier aspiration à la souveraineté et besoin de stabilité. L’enjeu, à moyen terme, sera de sortir de la logique d’exception et de refonder un contrat social fondé sur des institutions crédibles, inclusives et démocratiques.
Issa Djiguiba, pour L’Analyse de la semaine – ADS