La crise postélectorale d’octobre 2010 à avril 2011 a profondément affecté la stabilité de la Côte d’Ivoire, faisant 3000 morts. Suite à ce conflit politico-militaire qui a opposé l’ex-président Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara, actuel chef de l’État, le Bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a été autorisé à ouvrir une enquête sur les violences commises lors de cette crise. Plus d’une décennie après, seuls Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont été jugés devant la CPI et plusieurs leaders pro-Gbagbo croupissent toujours dans des prisons ivoiriennes.
Dans une lettre ouverte du 3 octobre 2022, adressée à Karim Khan, actuel procureur de la CPI, l’Observatoire ivoirien des droits de l’homme (OIDH) demande de faire le bilan des enquêtes sur la crise ivoirienne. Il s’agit notamment d’accélérer le dossier du camp Ouattara à la CPI, dont des chefs de guerre proche d’Alassane Ouattara pourraient s’expliquer devant les juges de la justice internationale sur la crise de 2010-2011.
En effet, cela fait 11 ans que le Bureau du procureur de la CPI a été autorisé à enquêter sur la Côte d’Ivoire. A ce jour, force est de constater que la « montagne a accouché d’une souris ». À travers sa lettre, l’OIDH invite la CPI à faire en sorte que les responsabilités soient situées dans les deux camps qui se sont affrontés. Car, jusqu’à présent, on a eu une seule affaire qui s’est soldée par un acquittement, et les auteurs des faits pour lesquels Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont été poursuivis ne sont toujours pas connus. « De toute évidence, cette procédure n’a pas suffi à faire toute la lumière sur les incidents qui ont fait l’objet de chefs d’accusation et partant, à situer les responsabilités », déplore-t-on dans ce document de l’OIDH.
Une justice des vainqueurs ?
Cette question est sur toutes les lèvres ou du moins, beaucoup se demandent si le camp Gbagbo sera le seul puni dans cette affaire. Plusieurs rapports officiels (Human Rights Watch et d’Amnesty International), parus après enquêtes, affirment que les forces des deux camps sont coauteures des crimes relevant de la compétence de la CPI. Pourtant, les seuls qui font face à la justice pénale, qu’elle soit d’ordre national ou international, restent les pro-Gbagbo et l’homme lui-même.
La CPI n’a entamé des poursuites que contre l’un des camps responsables des violences de cette grave crise. Des procédures à l’échelle nationale ont également été entamées par les autorités ivoiriennes contre plusieurs des partisans de Gbagbo, dont beaucoup croupissent toujours derrière les barreaux.
Cependant, aucune poursuite n’a été officiellement engagée contre les membres des Forces républicaines pro-Ouattara qui, pourtant, ont été déclarés coauteurs des crimes par Human Rights Watch et Amnesty International.
Au regard de ces observations, on pourrait être tenté de croire à une justice des vainqueurs qui s’est imposée en Côte d’Ivoire. Nonobstant, le Procureur de la CPI affirme que l’enquête est en cours, mais les faits qui l’ont conduit à mettre en accusation Gbagbo incriminent tout aussi bien Ouattara ou, du moins, les hauts responsables de son camp. Ainsi, l’OIDH appelle fortement la CPI à examiner les crimes des partisans du bloc rival dans ce conflit ayant fragilisé le climat sociopolitique dans le pays.
Une justice équitable pour tourner la page
La Côte d’Ivoire recherche la réconciliation depuis plusieurs décennies. Pour y arriver, une justice équitable dans l’affaire de la crise postélectorale de 2010-2011 semble être plus qu’une nécessité. Pour des observateurs avertis, des « zones d’ombre demeurent » dans la procédure de poursuite contre les auteurs des violences perpétrées lors de cette crise.
La Cour aurait-elle fait un parti pris dans cette affaire ? Si tel est le cas, la justice pénale internationale demeurerait une justice partiale, c’est à dire à la solde des « vainqueurs ». Elle donnerait ainsi raison à ses critiques et sa crédibilité serait sérieusement remise en doute. Au risque de perdre définitivement sa crédibilité aux yeux de l’opinion nationale et internationale, la CPI gagnerait à regarder de l’autre côté.
Cependant, le préjudice des victimes doit être réparé et, donc, tous les partis à blâmer doivent être sanctionnés si on désire une réconciliation nationale dans ce pays côtier de la région ouest-africaine.
Les Nations Unies, Amnesty International et Human Rights Watch reprochent à la justice ivoirienne de ne pas être neutre et les faits semblent le prouver. S’agirait-il ici d’un retard procédural, d’une justice des vainqueurs ou tout simplement de l’attente du moment opportun ? La réalité démontre l’élargissement du fossé entre les faits et la tenue des promesses de la justice nationale ivoirienne et de la justice internationale pénale. Reste à voir si les engagements seront respectés avec la suite des procédures tant au niveau national qu’international.
Bakary Fomba