Dans une interview qu’il avait accordée à AFO Media, Gbagbo a exprimé un soutien clair aux autorités des pays du Sahel, les qualifiant d’«États légitimes». En affirmant qu’elles ont accédé au pouvoir « par leurs propres moyens », il remet en question les normes démocratiques traditionnelles qui privilégient les élections comme unique voie d’accès au pouvoir. Cette position pourrait être perçue comme une réponse à l’incapacité des gouvernements civils à gérer les crises sécuritaires, en particulier face aux violences jihadistes.
L’ancien président Laurent Gbagbo a déclaré dans cette interview qu’il souhaitait améliorer les relations entre la Côte d’Ivoire et les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) s’il est élu à la présidence en 2025. Il a par ailleurs, souligné qu’il considérait ces États dont les dirigeants sont arrivés au pouvoir à l’issue de l’Etat, comme « acteurs légitimes » sur la scène internationale. Pour Laurent Gbagbo, les relations entre son pays et ceux du Sahel doivent reprendre, car il s’agit de « pays frères ayant décidé de prendre leur destin en main en se détachant des forces occidentales ».
Cependant, les relations entre la Côte d’Ivoire et les pays du Sahel, en particulier le Mali, le Burkina Faso et le Niger, se sont tendues ces dernières années en raison d’accusations mutuelles de déstabilisation et de liens trop étroits avec d’anciennes puissances coloniales. En promettant une normalisation des relations, Laurent Gbagbo cherche visiblement à apaiser ces tensions et à se présenter comme un leader tourné vers l’Afrique. Cela pourrait séduire une partie de l’électorat désillusionné par les politiques actuelles, qui voient en lui un défenseur de la souveraineté et un critique de l’influence occidentale.
Il reste toutefois à voir si cette promesse sera tenue si Laurent Gbagbo accède au pouvoir. Les défis sont nombreux, et les positions de chacun devront évoluer pour permettre une véritable réconciliation. Sa capacité à construire des relations constructives avec les pays du Sahel, tout en naviguant dans un contexte régional complexe, sera cruciale pour réaliser cette vision.
Laurent Gbagbo a également critiqué la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), la qualifiant d’ « instrument de propagande de la France ». Cette déclaration fait écho aux sentiments anti politique française croissants dans la région, où de nombreux dirigeants dénoncent ce qu’ils considèrent comme une ingérence néocoloniale. En s’attaquant à la Cedeao, Gbagbo s’aligne sur une tendance observée dans plusieurs pays du Sahel qui aspirent à se libérer des influences extérieures.
Manipulations constitutionnelles et risques de coup d’État militaire
Les coups d’État constitutionnels favorisent les coups d’État militaires. Dans de nombreux pays africains, la quête pour plus de pouvoir politique commence souvent avec la plume et finit avec l’épée. Avant le coup d’État du 30 août 2023, le Gabon a procédé à la neuvième révision de sa Constitution de 1991. L’article 9 a été modifié pour réduire le mandat présidentiel de sept à cinq ans et rétablir le scrutin à un tour. Cette modification a permis à Ali Bongo de briguer un troisième mandat, soulevant des critiques au sein de la société civile.
Les élections ont été entachées de violences et d’allégations de truquage, mais les résultats ont été proclamés en faveur du président Bongo. Dans un contexte post-électoral de fortes tensions, l’armée gabonaise a pris le pouvoir, déclarant que l’organisation des élections n’avait pas rempli les conditions d’un scrutin transparent.
Aussi, en Guinée Conakry, la situation a été similaire. Alpha Condé a également modifié la Constitution en 2020, permettant un troisième mandat, ce qui a provoqué des manifestations massives et une forte opposition. Les élections qui ont suivi ont été marquées par des violences et des tensions politiques. En septembre 2021, Condé a été renversé par un coup d’État militaire dirigé par le colonel Mamady Doumbouya, qui a justifié son action par la nécessité de restaurer l’ordre et de mettre fin aux pratiques antidémocratiques.
En Côte d’Ivoire, bien que le président actuel, Alassane Ouattara, n’ait pas été renversé, il a également modifié la Constitution en 2020, ce qui lui a permis de briguer un troisième mandat. Cette décision a suscité des critiques et des manifestations, beaucoup y voyant une manœuvre pour se maintenir au pouvoir. Les tensions politiques résultant de cette modification ajoutent une couche de complexité au paysage électoral ivoirien, alors que Gbagbo s’exprime à 8l’approche des élections de 2025.
Situation politique à l’approche des élections en Côte d’Ivoire
Ces déclarations interviennent dans un contexte préélectoral en Côte d’Ivoire, à l’approche des élections présidentielles de 2025. Laurent Gbagbo, président du Parti des Peuples Africains – Côte d’Ivoire et aspirant à un retour au pouvoir, saisit cette occasion pour se présenter comme un leader capable de redéfinir la politique étrangère du pays, en particulier vis-à-vis des nations voisines du Sahel. Cette stratégie pourrait attirer une partie de l’électorat ivoirien, désillusionnée par les tensions avec ces autorités et le rôle perçu de la France.
L’ancien président ivoirien a exprimé son souhait de faire un retour sur la scène politique. Dans son discours, il met en avant la nécessité de réformer la politique étrangère de la Côte d’Ivoire, notamment en ce qui concerne les relations avec les pays du Sahel. Cette région, confrontée à des défis sécuritaires croissants tels que le terrorisme et l’instabilité politique, suscite une grande préoccupation parmi de nombreux Ivoiriens.
Cependant, il demeure incertain s’il pourra effectivement exercer toutes ses prérogatives pour se porter candidat à la magistrature suprême de son pays, notamment en raison de son absence sur la liste électorale. Les répercussions de son passé, en particulier la crise post-électorale de 2010-2011, influencent l’opinion publique et pourraient susciter des réserves quant à son retour. Enfin, il devra mobiliser un large soutien populaire, ce qui constitue un défi majeur, car il doit convaincre ses partisans de sa capacité à diriger dans un contexte déjà instable. Ces facteurs combinés créent un environnement complexe pour sa tentative de retour sur la scène politique, où sa légitimité auprès de l’électorat pourrait être mise en question si son absence est perçue comme un manque de préparation ou d’engagement.
Les déclarations de Laurent Gbagbo illustrent les changements en cours dans la politique ouest-africaine. En soutenant les autorités des pays du Sahel et en critiquant les anciennes puissances coloniales, il propose une nouvelle vision de la légitimité étatique. À l’approche des élections de 2025, cette prise de position pourrait s’avérer déterminante pour redéfinir les relations entre la Côte d’Ivoire et ses voisins, tout en ayant un impact sur le débat politique national.
O. T, pour L’Analyse de la semaine – ADS contact@analysedelasemaine.com