« La prospective est une démarche indépendante, dialectique et rigoureuse, menée de manière transdisciplinaire et collective et destinée à éclairer les questions du présent et de l’avenir, d’une part en les considérant dans leur cadre holistique, systémique et complexe et, d’autre part, en les inscrivant, au delà de l’historicité, dans la temporalité ». Glossaire de la Prospective territoriale qui constitue le fruit des travaux du Collège européen de Prospective.
Il est toujours aussi captivant, utile, de savoir et de comprendre comment un peuple se projette de façon individuelle et collective dans le futur. Et de savoir également comment il appréhende les défis pressentis et à venir.
Enjeu de la prospection : « imaginer et dompter demain autant que possible »
S’intéresser à la propective stratégique dans l’élaboration des politiques publiques revient à imaginer « demain » et de le préparer afin qu’il soit le plus ajustable et prolifique possible pour l’individu et la collectivité.
Malheureusement, nos politiques internes ne s’y intéressent pas, ou pas assez et les ressources internes ne sont pas mises en contribution.
Le constat, aujourd’hui, c’est que les seules valeurs prospectives de références sont souvent externes, pas suffisamment précises et pas assez orientées dans des secteurs précis.
Il convient également de noter que les données brutes, externes n’aideront pas suffisamment dans l’élaboration de nos politiques publiques.
Les données brutes, comme celles fournies par les organisations internationales et nationales sont dépourvus de stratégie de politiques internes. Elles sont pour tous.
Les données brutes internationales comportent des analyses stratégiques « exportées »
En Afrique subsaharienne, dans l’élaboration des politiques publiques internes, on donne beaucoup d’importance aux données brutes et aux analyses stratégiques « exportées ». Et la réflexion opérationnelle est imaginée à partir de ces données. Donc, il y a un problème qui se pose au niveau de la projection stratégique. On se retrouve alors dans une situation où une réflexion stratégique qui devrait être propre à chaque État, se retrouve assommée dans une stratégie « exportée » et externe.
Il est courant d’assister à la ratification d’un grand nombre de conventions, de traités, n’ayant pas été l’objet au préalable de réflexions stratégiques globales issues d’un processus interne et prospective. En absence de cet effort analytique et stratégique, les gouvernants auront très clairement du mal à mettre en œuvre des politiques publiques internes cohérentes qui ont du sens et partagées par les citoyens.
L’exemple de l’« Accord pour la paix et la Réconciliation au Mali issu du processus d’Alger »
L’«Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali issu du processus d’Alger» est un exemple d’un document comportant des carences en matière de prospective et d’analyse stratégique. Dans cet accord, l’État Malien a oublié de faire de prendre le temps et de faire le plus important du travail, qui était le sien. Il s’agit d’un travail prospectif avec une démarche inclusive réelle.
Ce travail ne pouvait pas se faire autrement qu’à priori dans un premier temps. Dans le cas échéant, il y a des risques de trahir largement les engagements qui seront pris. Et ce fut le cas au Mali où le gouvernement a tenu à signer dans l’urgence puis revenir expliquer les accords aux nationaux. Alors que c’est la démarche inverse qu’il aurait fallu faire. Il aurait fallu une démarche lisible sincère et une volonté de penser un nouveau « Mali » à travers cet accord. Et ce travail en amont, même s’il était effectivement réalisé, ne suffisait pas, car il s’agissait d’une démarche itérative et continue.
L’absence de prospective stratégique conduit à des difficultés de mise en œuvre des politiques
Au final, aucune partie n’a réellement été satisfaite dans le cas de l’accord évoqué. L’État malien, encore moins. C’est d’ailleurs ce qui le conduit à chercher aujourd’hui à se rattraper sur cet accord et à rendre certaines dispositions applicables.
Les engagements consentis à Alger par l’État malien ont manqué d’imagination, de projection et de pratiques.
Ces manques ont été malheureusement des freins pour la mise en œuvre véritablement de cet accord. D’où les difficultés rencontrées par les différents gouvernements et acteurs chargés de la mettre en œuvre.
Alors, je précise, il y avait, certainement une stratégie derrière cet accord, cependant, les défaillances et l’insuffisance du travail en amont, ont rendu l’accord inapplicable. Et donc, on perçoit bien qu’en partie que le travail prospectif n’a pas été mené convenablement.
L’adhésion des citoyens aux intentions politiques est cruciale et précieuse
Ce n’est pas nouveau, les citoyens doivent, en partie adhérer, majoritairement à une intention politique afin qu’elle puisse se réaliser. Et la prospective permet cela.
Il est commun de le dire, une règle est faite pour le futur en plus du présent et toute décision politique produit des effets. La prospective permet, à travers la démarche itérative et continue de réguler et ajuster les effets des politiques publiques. Nous avons évoqué l’exemple de l’accord de réconciliation de 2015 à Alger, mais, un pays comme le Mali rencontre des difficultés similaires quand il s’agit de donner un sens prospectif et stratégiques à la construction des édifices et autres infrastructures.
Aujourd’hui encore, malgré la crise et la situation qui prévaut, les réactions sécessionnistes des uns et les crispations des autres, aucune action phare et volontairement prospective n’est officiellement à l’initiative pour continuer à nourrir le mythe d’une Nation. Pendant que certaines régions bénéficient d’infrastructures, d’autres se crispent davantage.
Pour autant, il y a des chantiers qui peuvent faire l’objet de véritables travaux prospectifs et stratégiques afin d’aboutir à des politiques publiques efficaces : la route Sévaré-Gao, la route Gao-Kidal, la route Kidal-Alger, la route Gao-Tombouctou, le barrage de Taoussa et bien d’autres.
Les ressources sont disponibles pour conduire la prospective pour des politiques efficaces
En Afrique subsaharienne, notamment au Mali, il est encore possible de s’y mettre véritablement et les ressources sont disponibles pour réaliser ce travail.
Alors inutile d’avancer encore tête baissée. Nous avons déjà testé ce mécanisme dans les années 1960 en mettant en plutôt en avant la recherche de l’homme providentiel, qui, au final, n’est jamais arrivé malheureusement. Plutôt que de se projeter pour préparer pour anticiper la réponse aux problématiques futures.
Le travail des intellectuels, la prospective, doivent être encouragés davantage, et les politiques publiques doivent transpirer cela au final.
Le travail intellectuel de prospective n’est pas un étalage abusif et non productif de discours comme le prétendent un certain nombre d’hommes et de femmes politiques maliens.
Certes, il y a des réalités politiques, purement électoralistes qui échappent à certains analystes. Cependant, la classe politique doit commencer à contribuer à mettre au travail ces analystes et à créer des places spécifiques pour ces derniers dans le but d’avoir des politiques publiques réellement motivées.
Mohamed Maiga, maiga.mohamed@hotmail.fr