Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères de la fédération de Russie a atterrit à Bamako, ce lundi 06 janvier, dans la soirée, dans le cadre d’une visite d’amitié et de travail. Dans un contexte de bouleversement général sur la scène internationale, quel sens géopolitique pourrait-on donner à cette visite historique qui intervient à un moment où, les relations russo-maliennes connaissent une intensification majeure notamment dans le domaine militaire ?
En effet, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov s’est rendu à Bamako ce lundi soir où il fut accueilli à l’aéroport par son homologue Abdoulaye Diop, ministre des affaires étrangères du Mali. La convivialité et la nature chaleureuse de l’accueil prouvent bien la complicité des deux hommes et la bonne santé des relations entre les pays. Officiellement, les deux parties annoncent une visite d’amitié et de travail. Nonobstant ces déclarations à caractère classique, notons que les enjeux de cette visite sont principalement d’ordre géopolitique et géostratégique. C’est essentiellement sous cet angle des enjeux internationaux qu’il est possible d’apprécier les non-dits et les dessous de cette visite. Toujours est-il que l’engouement fantastique et la mobilisation médiatique générale observés du côté malien, poussent à croire que Sergueï Lavrov est, tant sur le plan symbolique que stratégique, en terre conquise au Mali.
La lutte contre le terrorisme au Sahel et Golfe de Guinée
Réunis en conférence de presse à Bamako le 07 février, Sergueï Lavrov et son homologue malien Abdoulaye Diop ont laissé entendre que l’enjeu de cette visite est principalement sécuritaire. Il s’agira pour le Mali, dans le cadre de son droit souverain en matière de diversification de ses partenaires stratégiques, de discuter avec la Russie des voies et moyens pouvant permettre de lutter efficacement contre le terrorisme et protéger ainsi les populations maliennes et leurs biens. Pour le ministre malien, cette coopération avec la Russie doit s’entendre comme une « coopération gagnant-gagnant » et devra s’exécuter dans le strict respect de la souveraineté et des intérêts du peuple malien.
De son côté, Sergueï Lavrov souligne qu’il est au Mali sur invitation des autorités maliennes de transition avec lesquelles la Russie entretient de très bonnes relations actuellement. D’après lui, cette coopération bilatérale avec le Mali devra prochainement s’étendre sur la prospection géologique, l’énergie et aussi le pétrole. Il a souligné qu’à ce jour la Russie, à travers le fond alimentaire de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) aide considérablement les pays africains, et particulièrement le Mali qui bénéficie d’aides en denrées alimentaires en provenance de la Russie. Toutefois, la lutte contre le terrorisme semblait être la préoccupation majeure des deux hommes. Au-delà du sahel qui attend de la Russie un appui mastodonte sur le plan sécuritaire, Sergueï Lavrov a laissé entendre que cet appui devra s’étendre jusqu’aux pays du golfe de guinée. Aux yeux de nombreux Etats africains (Mali, Burkina, Tchad, Centrafrique, etc.) la Russie est présentement le partenaire le plus fiable dans le domaine sécuritaire en rapport avec la lutte contre le terrorisme. A ce titre, le ministre malien des affaires étrangères, Abdoulaye Diop, ne manque pas d’éloges à l’endroit de l’invité de marque du jour lorsqu’il qualifie la Russie de partenaire « sincère ».
Cependant, il serait utile de souligner que le rapprochement intensif de la Russie avec les Etats africains n’est pas sans conséquences positives pour le Kremlin. Face à la guerre en Ukraine et aux sanctions économiques et financières des pays occidentaux, la Russie a plus que jamais besoin de renforcer ses liens diplomatiques avec Etats africains qui ont, dans leur écrasante majorité, décidé de garder leur neutralité lorsqu’il a été de sanctionner la Russie au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies. Ainsi, au regard de l’isolement dont il est menacé sur la scène internationale, la Russie a tout intérêt de renforcer ses liens avec les Etats africains pour une plus grande solidarité internationale avec ces derniers.
Deux amis pour un ennemi commun
Il est admis comme principe dans les relations internationales que les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Néanmoins, le principe des alliances voudrait que l’ennemi de mon ennemi soit mon ami, du moins, stratégiquement. Cette situation trouve son illustration parfaite dans le rapprochement et l’intensification des relations entre la Russie et le Mali qui ont tous deux une posture politique opposée à celle des puissances occidentales, notamment la France et l’Union européenne (UE). Cette situation de fait, alimentée par la guerre en Ukraine, justifie stratégiquement cette visite de Lavrov au Mali. On sait de toute façon qu’entre Bamako et Paris le torchon brûle depuis le départ forcé de Barkhane sur décision des autorités de transition malienne. Depuis lors, les accusations mutuelles de part et d’autre font légion entre la France et le Mali.
Par ailleurs, l’attitude de Bamako vis-à-vis de Paris est en train de produire dans le Sahel un effet domino dans la mesure où le Burkina, dirigé actuellement par des militaires également, a lui aussi instruit aux forces françaises de quitter son territoire. Le Tchad, actuellement sous une transition militaire aussi, nourrit également des intentions de rapprochement avec la Russie. Autant dire que le Mali est en train de contaminer toute la région, à l’exception bien sûr du Niger, avec un paradigme nouveau qui consiste à casser le complexe d’infériorité et ou de supériorité avec l’ancienne puissance coloniale. C’est ainsi que l’on constate le renforcement de renforcement de l’axe Bamako-Ouaga-Conakry d’une part, et le rapprochement diplomatique avec la Russie d’autre part. D’ailleurs, les ministres des affaires étrangères des trois pays (Mali, Burkina, Guinée Conakry) étaient réunis à Ouagadougou ce jeudi 09 février pour demander solennellement la levée de la suspension des trois Etats au sein des instances de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ce qui prouve encore une fois la volonté des trois pays à cheminer dans la même voie.
Globalement, il n’est pas exagéré d’affirmer que l’ordre mondial est en cours de basculement. La guerre en Ukraine et les nouveaux défis liés à l’insécurité et à la lutte contre le terrorisme dans le Sahel sont les moteurs de ce basculement majeur qui se dessine sur la scène internationale. A ce titre, les Etats africains dont notamment le Mali, veulent coûte que coûte participer en tant qu’acteurs et non spectateurs de ce grand changement.
Ballan DIAKITE, Politologue.