Dr Fousseyni DOUMBIA est titulaire d’un doctorat en droit public qu’il a développé à l’université Normandie ROUEN. Il dirige le Master droit public fondamental à la Faculté de droit public et est consultant auprès de plusieurs organismes nationaux et internationaux. Il s’est entretenu avec nous sur des questions relatives à l’élaboration de la nouvelle constitution, à l’adoption de la nouvelle loi électorale, à la laïcité etc.
L’Analyse de la semaine : Quelle différence il y’a entre « révision » et « élaboration » d’une constitution ?
Dr Fousseyni Doumbia : La révision apporte une modification à quelques articles de la Constitution, mais la Constitution révisée reste toujours en vigueur. L’élaboration d’une Charte suppose la mise en place d’une nouvelle Charte qui nous permet de basculer à une nouvelle République. Toutefois, il nous semble important à préciser à préciser qu’aucune Constitution ne réunit les germes de sa propre destruction, c’est à dire la Constitution ne dit comment elle doit disparaître pour donner naissance à une nouvelle Constitution, mais comment elle doit être révisée pour son développement. Le changement de Constitution nécessite la survenance de trois éléments à savoir : le coup d’état, la révolution et le consensus.
Dans quelle mesure l’élaboration d’une nouvelle constitution serait synonyme de passage à une nouvelle « République » au Mali ?
L’élaboration d’une nouvelle Constitution suppose le changement de République. En principe, à chaque fois qu’on change de Constitution, on change de République. Le Mali a connu trois Constitutions, donc trois Républiques : la Constitution du 22 septembre 1960 Première République ; la Constitution du 2 juin 1974 Deuxième République et la Constitution du 25 février 1992 Quatrième République. Si le projet de nouvelle Constitution prospère, le Mali basculera à une Quatrième République.
On parle de refondation du Mali en ce moment. Selon vous, à quelle architecture institutionnelle pourrait-on s’attendre dans la nouvelle constitution ?
Déjà la refondation suppose le changement de Constitution même si les initiateurs ne nous en ont pas donné un contenu. L’on ne peut pas s’inscrire dans la dynamique d’une réformette et parler de refondation. La refondation va même au-delà de la sphère constitutionnelle et s’intéresse à tous les domaines d’intervention de l’Etat : Économie, social, environnement, santé, etc. Dans le cadre constitutionnel, un certain nombre de réformes substantielles s’imposent pour faire honneur au processus de refondation. On pourrait s’attendre entre autres au changement de la nature du régime politique, au changement de la forme d’état, au changement de certaines lignes rouges que le pouvoir de révision ne peut pas toucher ; au changement des dispositions relatives à l’économie, au social et aux droits de l’homme ; etc.
Au regard de l’influence du champ religieux sur la vie politique, peut-on craindre pour le caractère laïc de la République du Mali ?
Ben oui ! L’Etat est même arrivé à se confondre avec la religion en créant tout un département dédié aux affaires religieuses et du culte alors qu’il existe un principe fondateur de la laïcité qui sépare l’Etat moderne de la religion. Je ne blâme pas l’intervention des religieux sur la scène politique, cela se comprend assez aisément, car tout ce qui est humain est politique, ainsi qu’en témoignent les affirmations d’un auteur : » je ne m’intéresse pas à la politique, c’est comme si je disais, je ne m’intéresse pas à la vie « . La Bible et le Coran n’ont pas parlé que de la politique. Toutefois, le problème se situerait à deux niveaux :
- Si un leader religieux utilise religion s’octroyer des largesses politiques;
- Si L’Etat accorde sa préférence à une religion au détriment d’une autre.
Nous attendons vivement un Ministre de confession chrétienne ou d’une autre confession à la tête du Département chargé des affaires religieuses et du Culte.
Pensez-vous que l’élaboration d’une nouvelle constitution pourrait éventuellement ouvrir la voie à la candidature du Col. Assimi Goïta aux prochaines élections présidentielles ?
Je me suis prononcé mille et une fois sur cette question. Il existe six garde-fous contre la candidature éventuelle du Colonel Assimi:
1. Le serment qu’il a prononcé;
2. L’article 9 de la Charte de transition;
3. Le protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance ;
4. La Charte africaine de la démocratie et de la bonne gouvernance;
5. Le statut de militaire;
6. L’esprit de la Charte de transition.
Je trouve qu’il s’agit ici d’un vrai-faux débat.
Avec la situation sécuritaire actuelle, pensez-vous qu’il soit possible de mobiliser majoritairement les populations maliennes dans le cadre d’un référendum sur la nouvelle constitution ?
Il est vrai que le référendum pour l’adoption de la nouvelle Constitution ne pourra pas être organisé sur toute l’étendue du territoire national, mais la volonté des autorités du pays de rassembler les Maliens, principalement les forces vives de la Nation, autour de de ce projet, est à même d’apporter des atténuations à cette difficulté-là
Le CNT a adopté récemment la nouvelle loi électorale. N’est-ce pas une manière de « mettre la charrue avant les bœufs » quand on sait qu’une nouvelle constitution devra être élaborée à la suite ?
Dans une certaine mesure oui, car c’est la Constitution la maman de toutes les autres normes. En l’occurrence, c’est elle qui donne naissance à la loi. Mais en l’espèce, nous avons l’impression que la fille (loi) est née avant même la naissance de la Maman (Constitution). De plus, tout le droit électoral n’est pas dans la loi électorale, il a des éléments dans la Constitution et même dans les lois organiques.
Selon vous, quelle place doit-on accorder à la Cour Constitutionnelle sur les questions électorales dans la nouvelle loi fondamentale ?
La Cour constitutionnelle doit être réformée dans le sens de rétablir une certaine confiance démocratique avec l’ensemble des acteurs du processus démocratique. Pour cela, un certain de réformes s’imposent :
-Démocratiser la saisine de la Cour constitutionnelle;
-Adopter le principe du contradictoire dans les procès;
-Revoir le profil des membres de la Cour
-Élargir les autorités de désignation des membres;
-Adopter le principe du mandat unique, c’est à dire non renouvelable, pour les membres de la Cour;
– Etc.
Selon vous, est-ce une bonne idée de confier l’organisation des élections générales à un organe unique de gestion ?
Ce n’est pas l’organe unique qui a été mis en place par la nouvelle loi électorale adoptée par le Conseil National de Transition. D’ailleurs, son esprit et sa lettre ont été trahis par ladite loi, contrairement aux recommandations du Dialogue National Inclusif, des Concertations nationales des 10, 11 et 12 septembre 2020 et celles des Assises nationales. Les prochaines échéances s électorales seront simultanément organisées par le MATD et l’AIGE. Les attributions de l’autorité indépendante sont moindres par rapport à celles du Ministère. C’est le maintien du Gouvernement organisateur des élections avec la nouvelle loi électorale et cela crée un sentiment de suspicion sur la transparence et la crédibilité du processus électoral.
Quel régime démocratique espérez-vous pour le Mali à l’issue de l’élaboration de la nouvelle constitution ?
Le régime présidentiel serait le plus approprié pour notre pays, ce dernier répondant aux réalités de notre pays et en l’occurrence à notre démocratie traditionnelle. Il aurait par ailleurs, pour avantage de rééquilibrer les pouvoirs exécutifs et législatifs et de garantir par conséquent, la stabilité des institutions démocratiques et une meilleure protection de l’état de droit.