A la veille d’une tournée en Afrique centrale, le président français E. Macron a prononcé un discours devant un parterre de diplomates, journalistes et chefs d’entreprises. Pendant plus de trente minutes, il a défini les nou- velles orientations de la « politique africaine de la France. ». L’utilisation des guillemets est à dessein, nous y reviendrons.
Comment analyser le contexte spatiotemporel de ce discours ? En quoi la politique africaine de Macron est-elle différente de celle de ses prédécesseurs ? Enfin, n’est-il pas temps pour les Etats africains de se doter d’une doctrine diplomatique ?
LE CONTEXTE SPATIOTEMPOREL
D’ordinaire, les présidents français déclinent leur politique africaine lors d’un déplacement sur le continent. L’exemple le plus récent est le discours de Ouagadougou en novembre 2017 avec ce même E. Macron. Toutefois, cette fois-ci, il a choisi de s’exprimer depuis le palais de l’Elysée à Paris. Deux raisons peuvent expliquer cela. D’abord une volonté de rupture avec le passé, du moins sur la forme. La deuxième raison, et c’est la plus importante de notre point de vue, est qu’en plus de l’opinion publique africaine, Macron s’adressait également à une importante frange de la population française à savoir les chefs d’entreprises. Dans un contexte de rivalité croissante entre les grandes puissances en Afrique, les entreprises françaises doivent se réinventer si elles souhaitent se maintenir sur le continent.
Sur le timing, on peut noter que ce discours intervient deux jours avant la tournée en Afrique centrale (Gabon, Angola, Congo Brazzaville et la République Démocratique du Congo). La principale interrogation est que pourquoi Macron a attendu presqu’un an après sa réélection pour décliner sa politique africaine ? Notre curiosité devient plus grande lorsqu’on s’intéresse aux pays visités. En effet, deux de ces pays (Gabon, RDC) doivent organiser des élections présidentielles respectivement en août et décembre de cette année. Est-ce une manière de soutenir les régimes en place ? Si l’intéressé nie toute ingérence dans ces processus électoraux, les opposants et une partie de la société civile au Gabon et en RDC y voient les vieilles manœuvres de la françafrique. Même si le voyage au Gabon s’inscrit officiellement dans le cadre d’un sommet sur la protection des forêts, il faut dire qu’on ne peut pas balayer d’un revers de la main ces accusations quand on sait que ce pays est considéré comme l’un des piliers de la françafrique.
LA POLITIQUE AFRICAINE DE MACRON OU L’ILLUSION D’UN CHANGEMENT
En novembre 2017, devant des centaines d’étudiants réunis dans un amphi théâtre à l’université de Ouagadougou au Burkina Faso, E. Macron déclarait : « il n’y a plus de politique africaine de la France. ». On pouvait alors voir là une volonté de rupture avec ses prédécesseurs. Sauf que moins de six ans après, ce même président prononce un discours pour parler de la politique africaine de la France. N’est-ce pas là un paradoxe ? On nous répondra peut-être qu’il ne s’agissait pas de ne plus avoir des relations avec les pays africains mais plutôt de changer de logiciel. Là encore y-a-t-il eu vraiment de changement ? Lorsqu’on s’intéresse aux faits, il va sans dire que la politique africaine de la France de Macron est identique à celle des autres présidents français à quelques rares exceptions près. L’exception notable à mettre au crédit du président français est la question de restitution des œuvres d’arts pillées pendant la colonisation. Plusieurs de ces œuvres ont été restituées au Bénin notamment. Sur ce volet, il faut dire que Macron a fait preuve de bonne volonté et surtout de courage politique.
Du reste, nous sommes restés sur le même format c’est-à-dire un rapport de dominant et de dominé. Il y a donc un seul pays, la France, qui définit la politique qu’elle souhaite avoir avec tout un continent. D’ailleurs ce rapport de force trouve son origine dans la dénomination même de « France-Afrique ». La France équivaut-elle à l’ensemble des pays africains ? Si nous volons bâtir des nouvelles relations, cela passe d’abord par changer les éléments de langage. Ainsi, il est préférable de parler des relations France- Mali ; France-Gabon ; France-Sénégal…
Sur le plan politique, le constat est clair, les vieilles pratiques continuent et semblent avoir des beaux jours devant elles. A ce niveau, on peut relever plusieurs paradoxes dans le discours de Macron notamment quand il déclare : « La France est un pays qui préfère les institutions solides aux hommes providentiels. ». Il suffit de voir les relations que la France entretient avec le fils du défunt président tchadien, Mahamat Deby qui a succédé à son père de manière anticonstitutionnelle, pour comprendre que cette annonce n’est qu’une illusion.
QUID DE LA DOCTRINE DIPLOMATIQUE DE L’AFRIQUE ?
Pour rééquilibrer le rapport de force, il serait naïf de compter sur la bonne foi de la France. En effet, ce pays comme tous les autres pays du monde et singulièrement les grandes puissances ne poursuivent que leurs intérêts. D’ailleurs peut-on les en vouloir pour cela ? Il revient donc aux Etats africains de se doter d’une doctrine diplomatique qui défend leurs intérêts. Etant donné qu’elles sont confrontées aux mêmes problématiques notamment la question du franc FCFA, les nations africaines francophones peuvent et doivent parler d’une seule et même voix. C’est la condition sine qua non pour se faire entendre. L’équation est toute simple : rester dans le statu quo ou s’unir pour s’émanciper !
Brehima SIDIBE, Doctorant à CY Cergy Paris Université