Haïti plonge une nouvelle fois dans une impasse politique à la suite de l’assassinat du président Jovenel Moïse. Le chef de l’État haïtien a été tué dans la nuit du mardi 6 au mercredi 7 juillet 2021, à son domicile, par un commando armé, dans la capitale Port-au-Prince.
Haïti vit, depuis mercredi, une nouvelle page sombre de son histoire. L’assassinat du président Jovenel Moïse, qui a choqué sans surprendre personne ou presque, risque d’enfoncer le pays déjà englué dans une crise politique, une violence endémique entretenue par les gangs–qui a fait fuir 13 000 personnes depuis juin selon les Nations unies– et une pauvreté aiguë. Il est désormais possible qu’une lutte pour le pouvoir et une bataille judiciaire soient déclenchées dans les prochains jours entre les acteurs politiques.
Vingt-quatre heures avant son assassinat, le président Jovenel Moïse avait nommé Ariel Henry, neurochirurgien, comme premier ministre. Ce dernier n’avait cependant pas eu le temps de former un gouvernement ni de prêter serment. Or, son prédécesseur Claude Joseph s’est déjà autoproclamé dirigeant du pays et déclaré l’état de siège, mercredi, après qu’il a lui-même annoncé l’assassinat de Jovenel Moïse. Pourtant, le premier ministre nommé la veille du meurtre du chef de l’État réclame son poste. Haïti s’est réveillé ce jeudi sans président, mais avec deux premiers ministres. Claude Joseph, le sixième premier ministre du défunt président, est celui qui est reconnu par les États-Unis et les Nations unies.
Un règlement de compte ?
Un commando armé a pris d’assaut la résidence privée du président Jovenel Moïse, située à Pétion-Ville, aux environs de 1 h du matin (heure locale). La zone, qui abrite la classe dirigeante et l’élite politique d’Haïti, est bien gardée, tout comme l’était la maison de Moïse. Manifestement, les assaillants armés n’ont rencontré aucune résistance de la garde présidentielle, ce qui intrigue nombre d’observateurs. Plusieurs questions fusent : Qui est derrière cet assassinat ? Pourquoi la garde présidentielle n’a pas résisté ? De quoi l’après-Moïse sera fait ? Le président Moïse, selon Foreign Policy, avait réduit les déplacements hors de sa maison ces derniers temps, arguant que les familles puissantes économiquement ont menacé de le tuer.
Largement contesté, accusé de vouloir prolonger illégalement son mandat, Moïse se faisait de plus en plus d’ennemis au sein de la classe politique haïtienne. Ensuite, pour ces mesures autoritaires, il faisait face à un mouvement de contestation qui s’est opposé au référendum constitutionnel prévu pour la fin du mois de juin dernier. Le projet a finalement été reporté.
Que faire ?
Dans un communiqué, le premier ministre par Intérim, Claude Joseph, a déclaré que les responsables de l’assassinat du président Moïse étaient des « mercenaires ». Dix-sept anciens militaires colombiens sont soupçonnés dans l’assassinat, selon les hauts commandants de la police et de l’armée colombiennes. Des observateurs avancent même l’hypothèse de l’implication du premier ministre Intérimaire dans l’assassinat.
Haïti, ce pays sans État, traverse depuis un temps une crise multidimensionnelle, notamment politique, sécuritaire, économique et sociale. La crise politique et sociale est partie de la détérioration de l’environnement économique du pays affecté par la crise économique mondiale et la pandémie de Covid-19. La situation a été ensuite tendue avec la montée en puissance des gangs, qui sèment la terreur dans les quartiers les plus pauvres d’Haïti où l’opposition au régime de Moïse était vive. Au point qu’en avril, lorsque sept de ses membres ont été kidnappés, l’Église catholique n’avait pas hésité à parler d’une « descente aux enfers » d’Haïti.
Le régime de Jovenel Moïse était devenu de plus en plus autoritaire. Il gouvernait depuis janvier 2020 par décret. Le pays vit presque dans un vide institutionnel, l’Assemblée nationale a été dissoute. La nouvelle Constitution, qu’il voulait faire approuver par référendum, aurait aboli le Sénat, diminué les pouvoirs du parlement et la Cour supérieure des comptes et renforcé ainsi les prérogatives du président.
Alors que tous les acteurs sont dans l’expectative, les regards sont tournés vers la communauté internationale, notamment les Nations unies, les États-Unis et l’Organisation des États américains (OEA) influents dans le pays mais qui n’ont pu aider jusqu’à l’assassinat du président Moïse à parvenir à une sortie de crise. Les États-Unis sont d’ailleurs critiqués d’avoir soutenu le projet d’élections générales, prévues en septembre, de Moïse. Alors que, comme l’a dénoncé la journaliste Monique Clesca, il n’y a pas de processus d’enrôlement crédible des électeurs, ni de stabilité encore moins organe électoral indépendant pour garantir des résultats transparents. Ainsi, une meilleure implication des acteurs internationaux est nécessaire. Ils devraient d’abord travailler à créer les conditions nécessaires à l’organisation d’élections crédibles. En attendant, Haïti se débat dans une grave crise humanitaire caractérisée par l’insécurité alimentaire qui touche 40% du pays.