Malgré les doutes qui persistent sur l’intégrité du territoire, les Maliens n’auront pas le choix, ils vont devoir élire un des candidats à la présidence de la République. Ce qui n’était pas forcément la seule perspective, il y a deux mois. En effet, des personnalités politiques maliennes, adversaires du chef de l’État actuel, des intellectuels proposaient par médias interposés le report du scrutin présidentiel.
Parmi ce lot d’acteurs, certains voulaient passer par d’autres modalités d’élections au regard de la situation sécuritaire qui prévaut dans le nord et le centre du pays pour l’essentiel. Le vote par l’Assemblée nationale d’un leader a été notamment évoqué. Mais finalement, rien n’empêchera les Maliens de voter le 29 juillet pour le premier tour du scrutin présidentiel.
La réélection du président actuel, une possibilité mais il fait face à de sérieux prétendants !
Avant toute analyse hasardeuse, il faut noter que celui qui a aujourd’hui réellement le plus de chance d’être élu, c’est bien le président sortant, Ibrahim Boubacar Keïta. Cependant aucune victoire électorale, même au Mali, n’est évidente avant l’échéance. La capacité de l’opposition politique, telle qu’elle est configurée actuellement, à gagner cette élection, reste clairement incertaine pour plusieurs raisons : va-t-elle présenter un programme ? Va-t-elle s’inscrire dans une autre optique que celle de faire partir le président actuel ? Va-t-elle arriver à se rassembler réellement à presque un mois du premier tour ? Enfin, s’il y a un deuxième tour face au président actuel, pourra-t-elle s’unir ? A toutes de ces questions, il n’existe pas aujourd’hui de réponses satisfaisantes.
La capacité de l’opposition politique, telle qu’elle est configurée actuellement, à gagner cette élection, reste clairement incertaine
Outre ces deux bords politiques, l’opposition politique et le parti présidentiel, la surprise pourrait venir d’ailleurs. Certainement de la coalition formée entre deux figures plus récentes de la scène politique malienne, les anciens premiers ministres Moussa Mara et Cheick Modibo Diarra, accompagnés d’autres acteurs.
Ces deux figures sont autant aimées par les populations que décriées souvent pour des circonstances historiques récentes très aléatoires et parfois peu comprises. Moussa Mara qui vient de se retirer de la course présidentielle au profit de Cheick Modibo Diarra, a posé un acte fort sur le plan politique. Un acte si imprévisible que beaucoup restent encore surpris de sa décision. Cette décision reste tout de même positive pour son image. Car, aux yeux d’un grand nombre de Maliens, cet acte montre qu’il n’est pas avide de pouvoir.
Moussa Mara et Cheick Modibo Diarra, en plus de ceux qui les accompagnent, représentent une force politique majeure. Ils sont tous les deux des personnalités très marquées par les convictions qu’ils portent et bénéficient, malgré les reproches, d’une bonne image. Moussa Mara reste tout de même plus populaire que son partenaire politique, d’où les questionnements de beaucoup d’observateurs quant à son retrait pour un candidat moins populaire.
Moussa Mara qui vient de se retirer de la course présidentielle au profit de Cheick Modibo Diarra, a posé un acte fort sur le plan politique
Mais, au final, ils représentent à eux deux une réelle force politique capable de créer une surprise au soir du premier tour. Enfin, il faut noter que d’autres candidats, comme l’ancien ministre de l’Énergie, des Mines et de l’Eau Mamadou Igor Diarra, restent des personnalités appréciées par les populations. Pour le cas de ce dernier, comme pour la coalition soutenant Modibo Diarra, on remarque fortement une envie de changement qui s’entend à travers les discours mais également par le fait qu’ils se sont entourés d’une jeune génération d’intellectuels et d’organisations de la société civile très engagés.
Le besoin de débats de fond
C’est un classique, qui n’est pas propre au Mali. Il n’est pas étonnant que le président sortant, quand il se représente, dispose de privilèges comme celui de l’accès et de l’utilisation des médias d’État. Le Mali, à l’instar d’autres pays de la sous-région ouest-africaine, ne sera pas une exception en matière d’égalité de traitement des candidats en ce qui concerne l’accès aux médias publics.
De plus, il y aura peu de débats publics de fond visiblement. Et même s’il y en a, il est peu probable que le président actuel accepte de se prêter à l’exercice. Par conséquent, cela lui permettra de conforter son avance théorique sur les autres candidats en se murant dans le silence.
Ce privilège a été l’une des causes de la manifestation interdite dans un premier temps et autorisée dans ce second temps à Bamako, il y a quelques semaines. Cela montre par ailleurs, qu’au-delà du simple jeu politique, le citoyen malien aspire à avoir des informations pour effectuer son choix. Il ne veut plus se satisfaire de ce qu’il « ramasse » dans la rue comme information et de ce que disent les médias d’État.
Un jeu politique assez crispé avant l’ouverture officielle de la campagne avec peu de lisibilité sur les programmes des candidats
Instaurer la confiance entre les citoyens et les hommes politiques, rendre public le débat sur les programmes électoraux, endiguer la crise sécuritaire rapidement, c’est bien évidemment sur ces défis majeurs que les projets des candidats sont attendus.
De l’image des hommes politiques …
Depuis 2012, plus la crise s’accentuait, plus la confiance accordée par les populations aux hommes politiques s’estompait. L’image de l’homme politique malien est entachée de plusieurs maux. Son nom est tantôt associé à des actes de corruption, tantôt à la défense de ses intérêts personnels aux dépens des intérêts publics ou à des erreurs du passé. Ces maux ont malheureusement conduit à l’instauration d’une défiance des citoyens à l’égard des hommes politiques.
Cette défiance a cependant un versant positif qui n’est pas encore mûr. L’exigence du citoyen malien à l’égard de l’homme politique est encore faible et semble beaucoup se résumer à la résignation. Alors qu’elle devrait plutôt s’inscrire dans le fait de contraindre ou de demander à l’homme politique de se justifier dans les situations d’accusation. Mais encore une fois, rien de nouveau, la résignation du citoyen s’explique par l’absence de toute forme de justice et encore moins pour inquiéter les hommes politiques. Trente ans après l’avènement « théorique » de la démocratie au Mali et alors même que le pays est cité parmi les pays enregistrant une corruption élevée au niveau des élites, aucune condamnation majeure n’a été prononcée.
D’autre part, les tractations politiques, les enjeux électoraux et les intérêts familiaux empêchent beaucoup d’hommes politiques de percevoir les inquiétudes des populations et la précarisation sévère. La défiance actuelle est donc globalement un bon signe mais il ne faut pas qu’elle se cristallise éternellement.
Peu de programmes politiques lisibles…
Peu de candidats ont jusque-là présenté un projet lisible. Le jeu politique est plutôt orienté vers la recherche de la meilleure stratégie pour passer le premier tour. On assiste donc par canaux interposés à des échanges entre candidats et à des négociations. Les échanges entre les candidats ne sont pas lisibles. La communication de certains candidats ou partis fait défaut et jusque-là, le débat est loin d’être public. Les populations ont des informations très souvent fausses sur lesquelles elles échangent. Cependant, il faut signaler des exceptions.
Dans tous les cas, peu de candidats ont présenté un projet lisible. Le jeu politique est plutôt orienté vers la recherche de la meilleure stratégie pour passer le premier tour
Le projet présenté par Moussa Mara avant de se retirer a été présenté publiquement à travers des conférences de presse thématiques et des vidéos. Celui porté par Mamadou Igor Diarra est également disponible sur son site internet. Enfin celui porté par Cheick Modibo Diarra est disponible sur son site internet. En dehors de ces derniers, il manque de la lisibilité en ce qui concerne les projets de nombreux candidats à la présidentielle.
Endiguer la problématique sécuritaire rapidement …
Un deuxième enjeu identifié est la nécessité absolue d’endiguer la menace sécuritaire. Les populations attendent des réponses concrètes et efficaces au problème du nord, à celui du centre du pays et au banditisme pressant qui s’implante partout dans le pays. Maintenant que les limites de l’accord d’Alger sont bien connues, les populations attendent des candidats des propositions nouvelles ou claires pour enrayer définitivement cette crise.
Dans les grandes lignes et avant de se retirer de la course, Moussa Mara a proposé une décentralisation très poussée. Cette proposition pourrait satisfaire beaucoup si elle est davantage réfléchie avec les populations concernées et portée par de nouveaux acteurs. Ces derniers devraient moins s’inscrire dans une optique « ultra nationaliste » dans un premier temps, et être davantage enclins au dialogue « pour le vivre ensemble ». Un dialogue qui s’inscrirait dans le temps avec toutes les communautés maliennes.
En 2012 comme aujourd’hui, c’est bien les revendications identitaires et communautaires qui enveniment la crise avec les dérives malheureuses que l’on connaît. Rien ne pourra satisfaire les uns et les autres plus qu’une reconnaissance identitaire des communautés, une valorisation des cultures locales, une gouvernance locale réelle et une autonomie financière et administrative.
En 2012 comme aujourd’hui, c’est bien les revendications identitaires et communautaires qui enveniment la crise avec les dérives malheureuses que l’on connaît
Mais pour l’instant, il manque à cette proposition les mécanismes de faisabilité. En d’autres termes, quels moyens seront utilisés pour faire accepter cette proposition à toutes les forces présentes sur le sol malien ? Et plus précisément, quels sont les moyens humains “maliens” disponibles pour conduire la démarche ? Il s’agit pour les candidats de trouver des réponses afin d’éviter que le pays ne plonge dans un désarroi plus accentué. De nombreux autres défis méritent de l’attention, comme la crise socioéconomique qu’il faut apaiser rapidement, dans un pays où le système éducatif est par ailleurs totalement affaibli.