Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Europe semble avoir besoin de l’Algérie, puissance gazière et pétrolière, pour se détourner des hydrocarbures russes pour le plus grand bénéfice du régime algérien et, surtout, au détriment des défenseurs des droits humains.
Mario Draghi puis Emmanuel Macron et enfin Giorgia Meloni… Rarement le palais d’El Mouradia, siège de la présidence algérienne, n’aura vu passer autant de dirigeants de pays de l’Union européenne en un an. Le pouvoir militaire algérien est-il devenu subitement à nouveau fréquentable ? Ce 23 janvier 2023 dans les salons du palais d’El Mouradia, la question ne se pose même pas pour la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni.
« Face à la grande crise énergétique que traverse notamment l’Europe, l’Algérie pourrait devenir un leader de la production, certes africaine mais probablement mondiale. L’Italie est inévitablement la porte d’accès à cette énergie et à l’approvisionnement de l’Europe », affirme la cheffe du gouvernement de la troisième puissance économique de l’Union européenne devant un président algérien Abdelmadjid Tebboune tout sourire. L’Italie tout comme d’autres pays européens tentent de limiter sa dépendance au gaz russe.
LA POSITION D’ALGER DANS CE NOUVEL ORDRE MONDIAL
Il s’avère que cette position actuelle d’Alger a des répercussions importantes sur sa politique externe et interne. Cela se manifeste de diverses manières. Le régime est devenu fréquentable aux yeux des Européens. L’Italie n’a jamais réellement critiqué les atteintes aux droits humains en Algérie. Maintenant c’est la France qui lui emboite le pas. Selon Patrick Beaudoin, président de la Ligue des droits de l’Homme en France : « Avec la crise ukrainienne, la France a besoin du pétrole algérien, du gaz algérien, donc on voit très bien la limite de l’action possible. ».
Cette abstention ne peut qu’avoir des conséquences dans les relations du pouvoir avec le peuple algérien et plus précisément avec les partis politiques de l’opposition qui ne cessent de pousser des cris d’alarmes. Les ONG de défense des droits humains font le même constat. Ainsi Patrick Baudouin a souhaité que la France puisse «au sein de l’Europe et par la voix de l’Europe» agir «pour essayer de venir en aide à la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme et plus largement aux défenseurs algériens des droits de l’Homme». Le président de la LDH dénonce la «timidité» de la diplomatie française face à la récente dissolution de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme et à d’autres «violations» dans ce pays. 12 000 arrestations depuis le début du mouvement du Hirak en février 2019.
Zaki Hannache, défenseur des droits humains algérien exilé en Tunisie a affirmé avoir documenté au moins «5.500 poursuites judiciaires, 1.200 mandats de dépôt et 12.000 arrestations » en Algérie depuis le début du mouvement de protestation du Hirak.
En tous cas les principales chancelleries européennes n’ont pas réagi aux dernières arrestations en Algérie. Camille Sari, spécialiste de l’économie algérienne explique que les intérêts énergétiques dépassent la question des respects des droits humains. « Grâce à la guerre en Ukraine, la séquence est politiquement très bonne en Algérie, le pouvoir peut continuer d’enfermer les opposants sans que cela soit réellement dénoncé par les chancelleries européennes. Les prix du baril et donc du gaz ont augmenté ce qui a permis de donner plus de marges financières au pouvoir. Plus de 98% de la valeur des exportations du pays sont constitués par les prix des hydrocarbures. Et plus de 60% des recettes de l’Etat viennent des hydrocarbures et surtout du gaz. Les recettes sont là et le régime peut acheter la paix sociale. » Le Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative en Algérie, a confirmé jeudi la dissolution du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), une ONG qui avait été aux premiers rangs du mouvement pro- démocratie Hirak. L’ONG a annoncé elle-même sur sa page Facebook la confirmation par le Conseil d’Etat «du verdict du tribunal administratif: (la) dissolution du RAJ», qui avait été annoncée par le tribunal administratif d’Alger en octobre 2021.
LES ATTENTES EUROPÉENNES SUR LES HYDROCARBURES ALGÉRIENS
Un gaz algérien prisé par l’Italie, la France et l’Allemagne. Emmanuel Macron s’est rendu en Algérie les 24, 25 et 26 août dernier. Dominique Borne, la cheffe de gouvernement était également à Alger le 10 octobre 2022.
La question du gaz n’était pas officiellement au centre des discussions mais le patron d’Engie était bien présent lors de la visite de la cheffe du gouvernement. La France importe de l’Algérie un peu plus de 11% de son gaz. L’Italie importe 95% de son gaz et 43% de ce gaz provient de Russie. Pour réduire cette dépendance, Rome se tourne de plus en plus vers l’Algérie, historiquement son deuxième plus grand fournisseur, autour de 11%. Eni, la principale compagnie italienne d’hydrocarbures est fortement présente en Algérie depuis 1981. Elle gère avec le géant algérien des hydrocarbures Sonatrach, le gazoduc TransMed qui relie le pays à l’Italie, via la Tunisie. L’Italie, premier client étranger de l’Algérie, reçoit 35 % des exportations en gaz du pays par l’intermédiaire du Transmed.
Mario Draghi, alors encore président du Conseil italien avait déjà conclu en juillet 2022 une série d’accords avec le président algérien Abdelmadjid Tebboune. Parmi ces accords, figurait un gros contrat de partage de production pétrolière et gazière d’un montant de quatre milliards de dollars entre l’Algérie et des entreprises du secteur énergétique, dont le géant italien Eni. Total fait également partie des entreprises étrangères chargées d’investir à nouveau dans le secteur des hydrocarbures algérien dans cet accord.
Le gaz algérien est également prisé par l’Allemagne, première puissance économique de la zone euro et qui a en grande partie construit son modèle énergétique sur l’achat du gaz russe à bon marché. Le ministre allemand de l’Economie, Robert Habeck, devant les industriels allemands a ainsi plaidé pour l’installation de station de liquéfaction de gaz naturel. Et l’Allemagne entend importer du gaz algérien dans ce sens à partir de 2024.
Le chancelier Olaf Scholz milite lui pour la construction d’un gazoduc transportant du gaz algérien qui partirait de l’Espagne, du Portugal et se rendrait en France, en Allemagne et en Europe centrale. Il transporterait huit milliards de mètres cubes par an contre 50 milliards pour les deux principaux gazoducs russes. Le projet est cependant presque mort-né suite aux mauvaises relations entre l’Algérie et l’Espagne, jugée trop proche des positions du Maroc par Alger.
Mais il serait judicieux de s’interroger à savoir si l’Algérie peut à elle seule fournir le gaz nécessaire à l’Europe ou du moins répondre en partie aux demandes européennes. D’après les données fournies par l’économiste Camille Sari. Pour l’instant l’Algérie ne fournit que 5% du gaz dont a besoin l’Europe. Ces dernières années l’Algérie a moins investi dans le secteur et la production de gaz a baissé. Faute d’investissements, les capacités d’exportations algériennes en gaz ont baissé passant de 65 milliards de mètres cubes en 2007 à 42 milliards de mètres cubes en 2021.
Avec une croissance de 8% en 2021, la consommation interne en gaz, dépasse désormais le niveau des exportations gazières du pays. La croissance démographique est là. Des villes nouvelles comme Draria à 30 kilomètres d’Alger fonctionnent entièrement au gaz. Face à cela, nous pensons qu’Alger est d’abord tenu de subvenir à ses besoins énergétiques internes qui ne sont en aucun cas négligeables quelque soit la demande extérieure.
Cependant, il n’y a pas lieu d’être pessimiste qu’en a la capacité d’Alger face à la demande d’hydrocarbure de l’Europe. Nous pesons qu’il ne tient qu’à Alger de prendre des mesures et d’investir dans l’exploitation des hydrocarbures pour fournir plus de produit à l’Europe et par la même occasion garder une certaine position géostratégique et géopolitique dans le monde.
Toutefois, certains observateurs estiment que les européens se trompe sur la capacité de l’Algérie à leur fournir assez de gaz pour leurs besoins.
Kadiatou CAMARA, journaliste experte du Maghreb à l’ADS