Dans le pays de la Teranga, les élections législatives constituent un baromètre de la popularité du président Macky Sall. Certains l’ont assimilé à un référendum, pour ou contre un troisième mandat.
Se représentera-t-il ou ne se représentera-t-il pas ? Telle est la question que ne cesse de se poser les Sénégalais depuis 2017. Après l’élection présidentielle de 2019, la polémique est partie de plus belle. Le Président Macky Sall ne fait rien pour apaiser les tensions et rassurer ses concitoyens…
Certes, dans un passé récent, le président Macky Sall avait clairement laissé entendre que s’il était réélu en 2019, il ne pourrait pas être candidat car la Constitution ne le lui autoriserait pas. Toutefois, ses actes semblent aller à contrepied de son discours. Tous ses proches qui se sont prononcés contre une troisième candidature ont été évincés, tandis que d’autres proches collaborateurs théorisent partout la recevabilité de sa candidature si toutefois Macky Sall désirait se soumettre au suffrage des Sénégalais en 2024. Le suspense est à son comble !
La Constitution, objet de manipulations
La limitation du mandat présidentiel est inscrite dans la Constitution depuis 2001. Pourtant, c’est comme un éternel recommencement que vivent les Sénégalais. Un débat sans fin pouvant faire croire à une instabilité institutionnelle. « La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. » L’article 27 de la Constitution est connu de tous. Mais si les textes sont clairs, l’interprétation dépend, semble-t-il, de la position de la personne qui exprime son opinion. La même personne peut avoir un avis contradictoire selon les circonstances.
Toutefois, en dehors de personnalités politiques issues du pouvoir en place ou de ses proches, l’opinion générale qui se dégage est que les Sénégalais dans leur grande majorité sont hostiles à toute tentative de confiscation du pouvoir par voie constitutionnelle. En juin 2011, le gouvernement du Président Abdoulaye Wade proposait à l’Assemblée nationale un projet de loi consistant à mettre sur pied le poste de vice-président. Le Président et le vice-président seraient élus s’ils réunissaient au moins 25% des suffrages. Suffisant pour que les esprits alertes soulèvent le débat sur la « dévolution monarchique du pouvoir » de Wade, dont l’objectif plus ou moins caché serait de mettre son fils Karim Wade sur orbite pour lui succéder. Karim Wade occupait alors une station des plus élevées dans la sphère du pouvoir. Plusieurs manifestations s’en sont suivies, sous l’impulsion de la société civile.
Le 23 juin, jour du vote à l’Assemblée nationale, des milliers de personnes étaient regroupés devant le parlement pour dénoncer la tentative de confiscation du pouvoir. En marge de cette manifestation des saccages ont été constatés dans plusieurs quartiers de la capitale. Wade, acculé de partout, finit par reculer, arguant que les chefs religieux lui ont demandé de retirer le projet de loi et par respect pour eux, il ne pouvait faire autrement. En réalité est que la pression était tellement forte qu’il ne pouvait que se soumettre à la volonté populaire. Durant ces heures sombres de la démocratie sénégalaise, pratiquement tous les segments de la société étaient réunis pour affirmer leur opposition : sociétés civiles, les partis politiques, les syndicats, etc. La catégorie les plus significative était la jeunesse, en particulier le Mouvement Y’en A Marre porté par des jeunes de la mouvance Hip Hop, des rappeurs très engagés dans la défense des droits sociaux et civiles.
Cet épisode assez douloureux, signifiant que la vitrine de la démocratie en Afrique pouvait montrer un visage d’autoritarisme, laissa un gout amer. Les Sénégalais n’étaient cependant pas au bout de leurs surprises. Le président Wade décida de briguer un troisième mandat. Dès l’annonce de sa candidature, des manifestations fusèrent de partout exprimant une initiative hors la loi. On assista à des débats passionnés dans les médias entres les défenseurs de cette candidature et ses objecteurs. On se souvient de la fameuse phrase de Wade : « ma waxone waxete », autrement dit en français « j’avais dit, je me dédis. ». Plus explicitement « j’avais déclaré que la Constitution ne me permettait pas de me présenter pour un troisième mandat, je reviens sur mes propos. » Cette déclaration fut considérée comme honteuse, car la parole donnée, en Afrique, est même plus sacrée que l’écrit (la Constitution ou les lois de manière générale). Le désaveu fut ressenti même dans son propre camp. Le Conseil Constitutionnel, sans surprise selon certains analystes, valida la candidature de Wade. Ce fut la campagne électorale la plus chahutée du Sénégal. La plupart des candidats, à l’exception notable de Macky Sall, boycotta les tournées et meeting et décida de continuer les manifestations sur le terrain pour protester contre cette validation. Sur l’ensemble du territoire, on dénombra sept morts.
La défaite de Wade face à son ancien Premier ministre Macky Sall au second tour, soulagea le Sénégal, qui semble-il, venait d’échapper au pire. Il était clair désormais qu’il fallait éviter à tout prix d’arriver à ces situations extrêmes. Tous les candidats de l’opposition s’étaient engagés à respecter la limitation du mandat. Et de tourner définitivement la page.
Ismaila Madior Fall, le constitutionnaliste au discours ambigu
Arrivé au pouvoir dans ce contexte tendu, le président Macky Sall s’évertua à rassurer les Sénégalais quant à ses intentions. Il respectera la limitation du mandat présidentiel. Il irait même plus loin. De fait, il avait déjà déclaré dans l’entre-deux tours, que s’il était élu, il ne ferait qu’un mandat de cinq ans et non de sept comme prévu par la Constitution. Après son élection, il martela cette position pendant quatre ans encore, jusqu’en début 2016 lorsqu’il proposa une révision constitutionnelle pour, estime-t-il, consolider la démocratie sénégalaise. L’intention de diminuer son mandat fut jugée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel qui rejeta la proposition. La révision est alors confiée à Ismaila Madior Fall, l’un des plus grandes constitutionnalistes du pays, qui s’était fait remarquer par son opposition farouche à la candidature au troisième mandat de Wade qu’il jugeait anticonstitutionnel. La révision soumis à l’approbation des Sénégalais par référendum (Oui ou Non) portait sur 15 points, dont les plus importants étaient le « renaissance du Sénat » sous une autre forme (Haut Conseil des Collectivités Territoriales) et la réduction de la durée du mandat de sept à cinq ans.
Pour parer à toutes situations d’ambiguïté, Ismaila Madior Fall avait assuré que la constitution allait être « verrouillée » : on en aura fini une fois pour toute avec le débat sur le troisième mandat. La presse dans son ensemble avait repris cette expression : « on verrouille la Constitution pour qu’il n’y ait plus la possibilité de contester la limitation du mandat présidentiel. ». L’argument du camp présidentiel était que dorénavant la Constitution allait être stable, donc suffisamment pensée pour garantir au Sénégal la paix sociale. Les partisans du « Non » soulignaient le danger de changer la Constitution qui pouvait amener le pouvoir à estimer que puisqu’il y a un changement, le premier mandat ne compte pas.
En effet, comme avec Abdoulaye Wade, la jurisprudence du Conseil constitutionnelle pourrait autoriser Macky Sall à briguer un troisième mandat. L’argument utilisé était que la réforme de la Constitution était intervenue en 2001, soit après sa première élection, mais aussi une révision était passée par l’Assemblée nationale en 2008. A la vue du débat actuel sur le troisième mandat, la crainte des détracteurs de la révision de 2016 était donc justifiée. Le référendum de 2016 est en effet utilisé pour prétendre que « le premier ne compte pas » car intervenu avant une nouvelle révision. On en est à se demander à quoi a servi cette révision. Le fait est que Macky Sall ne fait rien pour apaiser. Les actes qu’il pose laissent apparaître qu’il veut se représenter. Ses proches, dont Ismaila Madior Fall son conseiller juridique, montrent un certain attrait à défendre sa candidature en 2024 ou à se morfondre dans un mutisme si ce n’est « ni oui ni non ». Ce dernier a eu des échanges houleux via la presse interposée avec plusieurs personnalités dont le Professeur Mary Tew Niane, et Alioune Tine qui pensent que la parole a une valeur inestimable que toute personne honorable ne devrait renier. Le plus étonnant, c’est que c’est ce même Ismaila Madior Fall qui est l’artisan de la révision de 2016. Il prétendait qu’il y avait des réformes déconsolidantes et des réformes consolidantes. Avec Macky Sall, il était question de consolider les acquis. La suite montre que cette révision est déconsolidante, puisqu’elle n’a pas permis de clore le débat et de dégager une perspective institutionnelle claire, connue et reconnue de tous.
Les législatives pour clore le débat ?
L’opposition la plus significative en est convaincue. Si la coalition au pouvoir remporte les élections législatives du 31 juillet, Macky Sall briguera un troisième mandat. Toute sa communication de ces derniers mois est basée sur cette probabilité. Pour elle, pour annihiler toute prétention du Président de la République à se présenter en 2024, est de lui montrer d’ores et déjà qu’il n’a pas la majorité. Ces élections constituent un baromètre de la popularité de Macky Sall. Certains l’ont assimilé à un référendum, pour ou contre. Benno Book Yakaar, la coalition au pouvoir, met beaucoup de moyens pour gagner. Le président, bien qu’en retrait dans la campagne, a réalisé une série d’inaugurations en grandes pompes de nouvelles infrastructures, notamment l’aéroport de Saint Louis et le pont de Keur Massar dans la grande banlieue. A la veille de la campagne, il avait lancé les travaux de modernisation de la Corniche Ouest de Dakar, d’un coût de 7 milliards FCFA. Ses partisans évoquent un président qui s’inscrit dans l’action, là où ses détracteurs voient un politicien en campagne déguisée.
En tout état de cause, le Sénégal est peut-être à la veille d’un tournant historique. Pour la première fois, l’opposition peut se retrouver majoritaire au parlement et imposer la cohabitation au président de la République. Les 16 mois qui nous séparent de l’élection présidentielle de 2024 ne vont certainement pas apaiser les tensions. La question qui demeure et qui interpelle les républicains soucieux de la stabilité politique et institutionnelle, c’est à quoi servent finalement toutes ces réformes et révisions s’il faut toujours laisser la porte ouverte aux interprétations. Il est certainement temps, non pas d’avoir des textes clairs, puisqu’ils le sont, mais d’avoir des institutions fortes, à l’exemple de la Justice, le Conseil constitutionnel en particulier, capables de mettre un terme à toute dérive autocratique.