Les dernières élections législatives au Sénégal ont été, à plusieurs égards, l’expression d’une grande maturité démocratique du peuple sénégalais qui, contre vents et marrées, a su se situer dans un grand brouhaha politique sans pour autant perdre son sens de lucidité et son courage de détermination de ses grands choix stratégiques à travers le vote.
Le calendrier républicain a été respecté, la campagne timorée au début a été palpitante à la fin, le vote s’est déroulé dans la sérénité, les voix ont été partagées à égalité entre l’opposition et le camp présidentiel. Le Sénégal a connu ces dernières semaines des moments inédits dans sa marche démocratique, démontrant encore une fois l’avance des citoyens sur les politiques et sur les institutions.
Respect du calendrier électoral
Il y a eu un vif débat sur le report ou non des élections législatives du 31 juillet. Les élections territoriales ont accusé deux ans et demi de retard. Elles ont consacré la victoire de l’opposition dans plusieurs grandes villes du pays. Pour les législatives, les atermoiements du gouvernement quant au respect de l’échéance, puis le rejet de la liste majoritaire de la principale coalition d’opposition ont laissé plané le doute sur la tenue ou non de ces élections. Plusieurs acteurs de la société civile ont appelé au report pour ramener la sérénité. Rappelons en effet que l’avant campagne s’est déroulé dans un contexte tendu, de manifestations autorisées et non autorisées, pacifiques et violentes. Trois morts ont été dénombrés dans des manifestations à Dakar et à Ziguinchor dans le sud du Sénégal et plusieurs personnes arrêtées. Le rejet de la liste nationale majoritaire de Yewwi Askan Wi (YAW, Libérer le Peuple) où figuraient les principaux leaders de l’opposition, dont Ousmane Sonko avait en effet mis le feu à la poudre. L’opposition accusait le camp présidentiel, de connivence avec l’administration et la justice, le Conseil constitutionnel en l’occurrence, de vouloir selon elle, l’empêcher de participer aux élections, en tordant le cou aux lois. C’est dans ce même contexte que le procureur de la République, Amady Diouf a annoncé l’arrestation d’un « rebelle », un élément supposé appartenir au Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) qui prévoirait de commettre des attentats en marge d’une manifestation de l’opposition à Dakar du 17 juin. Le procureur a également annoncé l’arrestation de plusieurs individus qui feraient partie d’un groupe dénommé « Forces spéciales » qui auraient pour objectif, toujours en marge de la manifestation du 17 juin, de commettre de actes de sabotage d’installations sensibles (réseau électrique, eau, internet…) ou des attentats. Plusieurs analystes dans la presse estiment que c’est Ousmane Sonko, principal opposant au régime de Macky Sall qui serait visé par ces manœuvres, le gouvernement chercherait par tous les moyens à lui trouver des liens avec le MFDC ou avec un quelconque groupe criminel pour l’envoyer en prison et dissoudre son parti. La loi dite antiterroriste votée en juin 2021 faciliterait la tâche à la police et à la justice. Finalement, le calendrier républicain fut respecté et la campagne bien que tendue à certains moments s’est globalement bien déroulée.
Une campagne à toutes épreuves
Le premier jour de campagne coïncidait avec la fête de la Tabaski. C’en était alors parti pour trois semaines riches en émotions. Les Sénégalais n’ont pas au début senti beaucoup de mouvements. La campagne était plutôt poussive. Les états-majors politiques n’arrivaient pas à faire adhérer les citoyens à leur cause ou eux-mêmes n’étaient pas suffisamment motivés ou encore les citoyens n’étaient pas enclins à écouter les discours politiques, lassés des chamailleries quotidiennes ?
Toutefois, la campagne allait s’emballer après l’entrée en jeu de Ousmane Sonko. Ce dernier a réussi le pari, malgré son exclusion de la course, à catalyser l’attention autour de sa personne et autour de l’inter-coalition Yewwi-Wallu (les deux coalitions ont scellé une union stratégique consistant à soutenir dans chaque département, la coalition la mieux placée pour gagner). Il l’a réussi en menant tambour battant une tournée qui l’a menée dans plus d’une trentaine de départements sur les 46 que compte le pays en drainant partout des foules. Il l’a aussi réussi par une série de provocations bien ciblées, suscitant un débat dont lui et sa coalition étaient les principaux bénéficiaires.
Le premier acte fut le refus de prendre le micro de la RTS (Radio Télévision Sénégalaise, chaîne publique). Ce mépris a été dénoncé par plusieurs acteurs des médias, en même temps, elle posait la question de la mission de service public de la RTS qui ne couvrait les activités de l’opposition qu’en période électorale parce qu’obligée par la loi (temps d’antenne de chaque parti ou coalition). Le second acte c’est lorsqu’il a déclaré que toutes les autres listes en dehors de Yewwi et Wallu, travaillaient pour Macky Sall et sa coalition Benno Bokk Yakaar (BBY, S’Unir dans l’Espoir). Cette assertion a soulevé l’ire de plusieurs acteurs politiques, des membres de la Coalition AAR Senegal (Alternative pour une assemblée de rupture, AAR signifiant en wolof Protéger) en particulier. Le troisième acte est sa proposition d’un débat public avec Aminata Touré, tête de liste de BBY qui a botté en touche soumettant un certain nombre de préalables. Pour certains médias, Madame Touré a tout bonnement fui le débat auquel le convient la figure de proue de l’opposition. Cette stratégie de Sonko et de sa coalition s’est révélée payante à la vue des résultats du vote.
Sur un autre plan, le fait marquant de cette campagne est le rôle joué par les réseaux sociaux qui ont supplantés les médias traditionnels dans la couverture et dans l’affluence. La campagne s’est plus déroulée sur Facebook, Twitter, Tik Tok qu’à la télévision ou à la radio encore moins dans la presse écrite. Ce sont finalement les réseaux sociaux qui ont sauvé une campagne qui s’annonçait terne. Cette situation soulève la question du rôle aussi bien des réseaux sociaux que des médias traditionnels dans un contexte de mutations profonde de la société sénégalaise qui est arrivée à apprivoiser le digital.
Macky Sall perd du terrain
Dès les premières heures de la soirée électorale, les premières tendances commencèrent à donner le frisson. Yewwi et Wallu devançaient largement dans la plupart des grandes villes et arrivaient même à vaincre BBY dans des communes comme Kolda et Louga jusqu’ici considérée comme des bastions de Macky Sall. Globalement, les centres urbains ont massivement porté leur choix sur l’opposition. BBY ne doit son sauvetage qu’à une partie des zones rurales. La bataille a été très serrée dans des départements comme Mbour, Diourbel, Louga et Bounkiling dont les communes principales ont été remportées par l’opposition, mais dans le département considéré comme circonscription électorale, BBY arrive en tête d’une courte avance et y gagne donc les sièges en compétition.
A l’issue du décompte final prononcé par la Commission nationale de recensement des votes (CNRV) et confirmé par le Conseil constitutionnel, sur les 165 sièges que compte le parlement, BBY a 82 députés, YAW 56 députés, Wallu Senegal (Sauver le Sénégal) de l’ancien Président Abdoulaye Wade 24 députés, ce qui fait un total de 80 députés pour inter-coalition Yewwi-Wallu. Trois autres coalitions comptent chacune un député. Ces résultats ont été largement commenté. Aucune coalition ne dispose de la majorité absolue. C’est par le biais des alliances que tout devrait se jouer. La cohabitation tant redoutée par le camp présidentiel n’aura pas lieu grâce au ralliement à BBY de Pape Diop, unique élu de sa coalition Bokk Gis Gis (BGG, Partager la même Vision). Toutefois, c’est une déconvenue sans nulle pareille dans l’histoire politique du Sénégal pour le camp présidentiel.
L’opposition a dénoncé des fraudes, notamment dans des départements du Nord du Sénégal, en général favorables à Macky Sall. Selon Dethié Fall, responsable de Yewwi Askan Wi, la Commission nationale de recensement des votes n’a pas permis à l’opposition de vérifier les procès-verbaux incriminés issus des bureaux de votes de Podor, Matam, Kanel et Ranérou. L’inter-coalition Yewwi-Wallu affirme que ces fraudes lui auraient coûté deux à trois députés sur la liste nationale, donc suffisant pour lui priver de la majorité absolue. Elle a décidé néanmoins de ne pas faire appel au niveau du Conseil constitutionnel parce qu’elle n’a pas confiance en celui-ci. « Nous pensons qu’il ne sert à rien d’aller introduire un recours au niveau du Conseil constitutionnel parce que ce n’est pas à ce niveau que les deux, voire trois députés qui sont enlevés de l’inter-coalition, compte tenu du bourrage des urnes qui a existé dans certaines zones, ce n’est pas au niveau du Conseil constitutionnel que ces trois députés vont nous être restitués » estime Dethié Fall.
La démocratie sénégalaise réconfortée
Des enseignements doivent être tirés de ce scrutin. Certains analystes ont partagé l’idée d’une « transition » démocratique, estimant que le camp présidentiel doit respecter le choix des électeurs dans la composition du bureau du parlement. BBY passe ainsi de 125 députés à 82, et devrait dans tous les cas devoir composer avec l’opposition qu’elle est tenue de respecter pour faire fonctionner l’Assemblée nationale. Celle-ci amorce un renouvellement avec l’entrée en matière de plusieurs nouvelles figures, très jeunes, notamment de l’opposition. Le PDS (Parti démocratique sénégalais) du Président Wade, moteur de la coalition Wallu Sénégal a réussi le pari de revenir en force. Contrairement au PS (Parti socialiste) devenu satellite dans la mouvance présidentielle, le PDS a mieux résisté à la perte du pouvoir. Bien que frappé d’inéligibilité, Khalifa Sall a aussi réussi la prouesse de faire élire plusieurs de ses soutiens au sein de la coalition YAW. Politiquement, il reste un acteur majeur dont le poids s’affirme d’élections en élections. Ousmane Sonko est certainement le grand vainqueur. Sa candidature rejetée, il s’est néanmoins impliqué personnellement dans la campagne. La « victoire » de l’inter-coalition Yewwi-Wallu lui doit beaucoup comme l’a reconnu Ahmed Aidara le maire de Guédiawaye (banlieue de Dakar), nouvellement élu député. Sa cote de popularité ne cesse de grimper surtout auprès des jeunes. Ces élections législatives confirment qu’Ousmane Sonko est le principal opposant au régime de Macky Sall et reste l’un des favoris pour la présidentielle de 2024.
Malgré le taux de participation assez faible, se situant à 46,6% contre 54% en 2017, les citoyens sénégalais ont montré leur maturité. Ils ont suivi sereinement la campagne dans les canaux adaptés, le jour du vote ils ont fait leur choix en toute conscience. Au vu des résultats, on peut penser que les traditionnels achats de conscience n’ont pas opérés. L’argent joue certes encore un rôle important dans les élections au Sénégal, mais sa distribution automatique auprès de la population en période électorale ne garantit pas obligatoirement une victoire.
L’élection présidentielle de 2024 est en ligne de mire des partis et coalitions. Ousmane Sonko s’est déclaré candidat ce 18 Août. Dans l’impossibilité constitutionnelle de se présenter pour un troisième mandat, Macky Sall doit préparer son camp pour mettre sur orbite un candidat crédible. La bataille risque d’être sans merci à ce niveau, tellement les rivalités sont exacerbées. Le jeu démocratique devrait être respecté par tous les acteurs, en phase avec les préoccupations et les souhaits des sénégalais qui aspirent à un Etat démocratique où le pouvoir se ne gagne ou ne se perd qu’à travers les urnes. Dans le respect de la Constitution.