Toutes les étapes du processus électoral, depuis l’établissement – trop souvent tardif – du chronogramme, la constitution des listes électorales, l’accès et la distribution des cartes d’électeurs jusqu’à la centralisation et à la proclamation des résultats ainsi qu’à leur contentieux soulèvent de nombreux risques. Sans prétendre à l’exhaustivité, on en retiendra deux séries.
Certaines sont d’ordre normatif et concernent le dispositif juridique et institutionnel encadrant les élections. Les réexamens dont celui-ci fait l’objet n’ont pas éliminé les dispositions qui, en raison de leurs incertitudes, incohérences ou inadaptation aux réalités du pays, sont inapplicables ou sources de blocage et de crise.
Trop de mécanismes et de règles, souvent repris sans évaluation critique du droit étatique, entraînent des complications inextricables. Au Mali, depuis la présidentielle de 2018, le fichier électoral est l’un des enjeux les plus importants du processus électoral. Il fait souvent l’objet de contestations avant même la fixation de la date des élections ou leur organisation matérielle. De ce fait, du consensus réalisé ou non à son sujet dépendent, en grande partie, la réussite de l’organisation des élections et l’acceptation des résultats.
Le règlement des problèmes soulevés au sujet du fichier électoral est donc un préalable à l’organisation d’élections libres, fiables et transparentes, en particulier au Mali, pays en transition ou en situation de sortie de crise. Ces problèmes sont généralement de deux ordres. D’un côté, il y a la non-fiabilité du fichier électoral faisant objet de contestation par la classe politique et les organisations de la société civile ; les insuffisances et les difficultés liées à la sécurisation du fichier. De l’autre, le non-accès aux cartes d’électeur par une grande partie de la population, facteur de rabaissement du taux de participation aux consultations électorales ; la non-prise en compte dans le fichier électoral des jeunes qui ont l’âge de voter pour la première fois ; les radiations ; les doublons ; l’existence de personnes décédées dans le fichier.
Ces problèmes surviennent lorsque la qualité d’électeur peut être reconnue ou contestée au citoyen. Quand elle lui est reconnue, celui-ci peut tout de même rencontrer des difficultés à exercer son droit de vote en raison des mauvaises conditions de l’organisation du contentieux de l’inscription sur les listes électorales.
Tout d’abord, il y a le problème de la division du registre en différentes circonscriptions. Ensuite, arrive la sous-division en bureaux de vote dans chacune des circonscriptions, une tâche le plus souvent compliquée par des retards au niveau de l’établissement, de la vérification, de la rédaction et de la distribution du registre dans les délais avant le jour des élections. L’autre problème est celui de la sur-inscription et de l’inscription multiple dans certaines zones, étant donné les courants sous-jacents géopolitiques et socio-économiques des élections dans le pays.
L’inscription sur la liste électorale
La détention de la qualité de l’électeur ne suffit pas pour participer au vote, il faut en plus se faire inscrire sur une liste électorale. L’inscription sur la liste électorale n’est autorisée qu’à des personnes remplissant certaines conditions exigées par le législateur. La procédure d’inscription sur une liste électorale est réglementée par le code électoral, lequel détermine, par ailleurs, l’organe chargé de la réception et de la centralisation des demandes d’inscription qui n’est pas nécessairement celui en charge de l’établissement et de la révision de la liste électorale.
L’exactitude est un élément essentiel, notamment dans les systèmes de représentation proportionnelle dans le cadre de circonscriptions à plusieurs sièges. Toutefois, créer un système sûr et crédible d’inscription des électeurs n’est pas tâche aisée. Il est souvent difficile, au Mali, de mettre à jour le registre électoral de façon continue et automatique, à mesure que des informations sont fournies par les autorités locales. Alors que « l’auto-inscription » peut parfois suffire, une action gouvernementale positive sera souvent essentielle dans cette situation. Pour la crédibilité des élections, les registres annuels doivent être établis à l’aide de formulaires qui sont adressés à chaque ménage et sur lesquels tous les membres de ce ménage habilités à voter doivent porter leur nom ; des visites à domicile peuvent être effectuées également (les visites des « recenseurs » sont la « règle »).
L’expérience montre qu’il est souvent nécessaire d’associer les partis politiques et les groupes d’intérêts particuliers à la promotion et au suivi du processus d’inscription, de mettre en œuvre des « programmes complets d’éducation civique, d’assurer une formation aux responsables électoraux, de diffuser le message électoral auprès du public », par exemple, en lui indiquant où et comment s’inscrire, et en l’informant des droits et responsabilités liés à la vie en démocratie.
Si on veut sortir de la contestation du fichier au Mali, le processus d’inscription des électeurs doit se fonder sur des critères clairement définis et appliqués systématiquement par des responsables qualifiés. Quelle que soit la méthode utilisée — inscription volontaire ou recensement officiel — les personnes habilitées à voter doivent être au fait de la procédure.
Les listes électorales doivent être publiées rapidement et il faut prévoir des moyens efficaces de corriger les erreurs, y compris les omissions et la radiation des personnes décédées ou qui ont changé de lieu de résidence. La sécurité et l’intégrité du système d’inscription des électeurs revêtent donc une importance considérable. L’inscription des électeurs et la publication de listes électorales vérifiables jouent un rôle essentiel. Car elles contribuent à susciter et entretenir la confiance de l’électorat et donc à assurer la tenue d’élections libres et régulières. Étant donné qu’il est possible, en manipulant le processus d’inscription, de priver du droit de vote des sections nombreuses de la population, la transparence est une nécessité impérative.
Les partis politiques sont appelés à jouer un rôle fondamental en incitant leurs partisans à s’inscrire, en contrôlant les listes provisoires et en attirant l’attention sur les erreurs. Les systèmes sont divers : inscription relevant de la responsabilité de l’État, enquêtes et visites auprès des ménages et auto-inscription, dans laquelle l’initiative est prise par l’électeur. Aucune règle ne détermine le choix, mais les circonstances peuvent imposer à l’État d’intervenir activement, par exemple dans les situations de transition où voter et la possibilité de faire un choix sont peut-être des expériences nouvelles. Les résultats d’une élection ne pourront être équitables que si la population dans son ensemble connaît les procédures et y a effectivement accès.
Gouvernance électorale du pays
En général, l’exercice d’inscription des électeurs est réalisé sommairement, ce qui laisse place aux irrégularités, comme l’inscription d’électeurs « mineurs » (qui ne remplissent pas la condition de l’âge minimum), l’inscription multiple, l’inscription par procuration, mais également la violence, les partis politiques essayant d’être plus futés les uns que les autres dans les irrégularités commises. L’insuffisance de matériel pour inscrire les électeurs et les problèmes de distribution des cartes d’électeurs engendrent des délais, de même que la privation délibérée de matériel dans certains centres d’inscription, voire au niveau de certaines régions éloignées de la capitale, et l’accumulation dudit matériel dans plusieurs autres endroits aux fins d’inscription massive, dans des domiciles privés.
Comment arriver à réaliser une inscription crédible des électeurs et à la dépolitiser, par un processus d’inscription continue, en se servant des infrastructures des différents bureaux des conseils des autorités administratives locales du pays pour l’enregistrement des données démographiques ? Voilà qui reste une question importante dans la gouvernance électorale du pays.
Il y a trois dimensions significatives à cet ensemble particulier de problèmes. Au registre des défaillances de l’organisation des élections, on peut ajouter les difficultés d’accès aux cartes d’électeur par bon nombre de nos concitoyens de l’intérieur aussi bien que de la diaspora. À ces insuffisances d’ordre législatif et réglementaire, s’ajoutent d’autres de nature matérielle. Tout au long de la décennie qui vient de s’écouler, les pouvoirs publics au Mali se sont trouvés en permanence confrontés à une insuffisance des moyens, en personnel et surtout financiers pour organiser, matériellement, des élections. Cette contrainte, qui peut être allégée par l’assistance internationale – encore que l’État manifeste des réticences à confier à des bailleurs extérieurs le financement ou la certification d’opérations électorales liées à la souveraineté -, mais elle doit être rappelée en raison des dysfonctionnements qu’elle entraîne dans le déroulement des opérations et du risque, à en faire abstraction, de rendre inopérantes nombre de dispositions normatives. Il est un domaine où ce manque de moyens a des conséquences particulièrement dommageables, c’est celui d’une opération-clé des élections : l’établissement des listes électorales. Par exemple, pendant les législatives de 2020, le travail de saisie des listes informatiques n’était pas terminé à 50% dans la plupart des régions le jour des élections, en dépit des moyens considérables engagés, en plus d’un manque criard de non-accès de la plupart des jeunes adultes à la carte NINA. Onsait aussi que les imperfections des listes sont sources de nombreux contentieux et d’un certain nombre de blocages des processus électoraux dans le pays. Diverses formules sont envisagées pour résoudre les questions relatives à l’établissement du fichier électoral, des listes et des cartes d’électeur, mais toutes demeurent tributaires de la fiabilité de l’état civil qu’il reste à construire. Là encore, l’ampleur de la tâche nécessite la mobilisation de ressources dont l’origine ne saurait être seulement nationale.