En réaction aux sanctions imposées sur le Mali par la Cedeao le 09 janvier dernier, des milliers de manifestants se sont mobilisés sur le boulevard de l’Indépendance de Bamako pour exprimer leur colère et témoigner leur soutien indéfectible aux autorités de transition. Cette manifestation gargantuesque marque une étape nouvelle dans le bras-de-fer qui oppose le Mali à la Cedeao depuis un bon moment déjà.
Les sanctions décrétées contre le Mali par la Conférence des Chefs d’Etat de la Cedeao, réunie à cet effet le 09 janvier, ont marqué une étape nouvelle dans le bras de fer qui oppose depuis des mois les deux parties. A l’origine des antagonismes, le coup d’Etat du 18 août 2020 qui a renversé le régime de l’ancien Président Ibrahim Boubacar Keita. Cependant, la volonté manifeste des autorités actuelles de proroger la durée de la transition à cinq ans est, sans nul doute, la goutte d’eau qui aura fait déborder le vase. Peut-on parler à ce jour de divorce entre le Mali et la Cedeao ? S’il est encore trop tôt pour soutenir une telle affirmation, force est de reconnaître tout de même que les tournures que sont entrain de prendre les évènements depuis quelques jours, ne présagent absolument rien de bon. D’où la nécessité de s’interroger : jusqu’où ce bras-de-fer pourra-t-il nous conduire ?
Les raisons profondes de la rupture
Il n’y a pas de fumée sans feu, dit le dicton. Les tensions inqualifiables qui rendent insipides les relations diplomatiques entre le Mali et la Cedeao, ne sont pas nées du néant. Elles répondent à des logiques de part et d’autre et traduisent de profonds antagonismes entre les deux parties. Cependant, la prorogation du délai de la transition constitue la véritable pomme de discorde. Car, de toute évidence, une éventuelle prorogation de la transition suppose illico le report des échéances électorales, prévues initialement d’un commun accord avec la Cedeao en fin février 2022. Les raisons évoquées par les autorités de transition malienne pour soutenir de report sont essentiellement le contexte sécuritaire du Mali et l’aspiration du peuple à une véritable refondation de l’Etat. Ces raisons évoquées sont des raisons objectives qui doivent en principe être prises en compte dans le cadre des négociations entre les deux parties. Malheureusement, la Cedeao n’entend pas les choses de cette oreille et exige la tenue des élections à la date indiquée. Or, de toute évidence, il ne saurait y avoir d’élections transparentes dans un contexte sécuritaire délétère. Toutefois, il est difficile d’affirmer avec certitude que ce soit la simple idée de prorogation de la transition qui soit à la base des sanctions imposées par la Cedeao. Il est clair que c’est plutôt la durée proposée (5ans) par la junte qui est apparue aux yeux des Chefs d’Etat ouest-africains comme inacceptable. D’où la lourdeur des sanctions imposées.
Les conséquences politiques et économiques des sanctions
De la fermeture des frontières au gel des avoirs de l’Etat malien, en passant par la suspension de toute forme d’aides et de transactions financières avec celui-ci ; la Cedeao aura décidé de frapper cette fois-ci trop fort. De son côté, le gouvernement malien dénonce des sanctions « inacceptables » et « inhumaines ». Sans pour autant corroborer ces qualificatifs, car il faut l’avouer, les Etats n’ont pas d’amis et n’ont que des intérêts. Ce réalisme des relations interétatiques nécessite de la clairvoyance et de la lucidité de la part des autorités maliennes qui doivent cesser de croire en une quelconque « humanité » ou de sentiment d’amitié sur la scène internationale.
Le coup d’Etat à l’instar de toute forme de changement de régime anticonstitutionnel est condamné par les textes réglementaires de la Cedeao, notamment dans les dispositions de son Protocole sur la gouvernance et la démocratie en Afrique de l’ouest. C’est dire que les présentes sanctions auraient pu être prises dès le 18 août 2020. Toute l’action politique des autorités de transition aurait dû consister à éviter une telle situation. Mais puisque le coup est déjà parti, il importe pour les autorités maliennes de penser à comment amortir les conséquences de ces sanctions au lieu de s’éterniser dans les dénonciations et dans des rapports de force inutiles. Car de toute évidence, il y aura des conséquences, et pas les moindres non plus…
Les conséquences politiques ayant déjà commencé (suspension du Mali de toutes les instances de la Cedeao et l’Union Africaine ; l’interdiction de voyage aux autorités de transition ; etc.), il est certain que sur le plan économique qu’elles seront les plus graves. Le Mali étant un pays continental, il demeure excessivement dépendant de l’extérieur ; notamment de ses voisins qui ont un débouché sur la mer dont le Sénégal et la Côte d’Ivoire à titre d’exemples. Il est clair que l’embargo sur le Mali aura aussi un impact sur ces pays dans la mesure où ils auront un manque à gagner aussi longtemps que durera les sanctions. Néanmoins, la fermeture de ces fenêtres ne peut pas laisser indemne les opérateurs économiques maliens qui seront dans l’obligation de se réorienter soit vers le port de Conakry ou soit vers la Mauritanie. En outre, l’impact sera également souligné au niveau des variables macroéconomiques. Ainsi, la balance commerciale ; la balance de paiement ; le taux d’investissement ; et in fine, la croissance économique sont autant de variables macroéconomiques qui connaîtront une restriction significative à cause de ces sanctions si jamais elles perdurent.
Le risque d’un divorce entre les deux parties
Le Mali vit sous embargo depuis lundi dernier. Une situation difficile pour ce pays qui a été l’un des fondateurs de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest. Cependant, au regard du ton employé de part et d’autre, il y a lieu de craindre le pire. Le gouvernement malien a déjà laissé entendre qu’il se réserve le droit de réfléchir sur le maintien du Mali dans ces organisations sous-régionales que sont la Cedeao et l’Uemoa. A Bamako, le sentiment anti-CEDEAO est alimenté et des milliers de personnes ont manifesté vendredi dernier pour exprimer leur soutien aux autorités de la transition et contester les sanctions de la Cedeao. Face à cette inquiétude, il faut craindre un durcissement des positions qui ne permettrait pas de poursuivre les négociations. La rupture des négociations n’advient que lorsque les positions sont figées de part et d’autre. Conscient de ce risque, le Président de la transition Assimi Goita s’est dit ouvert au dialogue en vue d’aplanir les différends entre le Mali et la Cedeao. Ainsi, pour éviter un éventuel isolément du Mali sur la scène internationale ainsi que le risque de son éventuel retrait de la Cedeao, il importe que les deux parties fassent des concessions et renouent le dialogue. De toute façon, cette situation ne profite ni l’un ni l’autre ; et à force d’y persister, ce sont les populations maliennes qui n’ont déjà que trop souffert qui en paieront les frais.