Après trois mois de « repos forcé » pour raisons médicales, Choguel Kokalla Maiga regagne enfin son fauteuil de Premier Ministre de la Transition. Ce retour triomphal est auréolé d’un discours nuancé dont les contours méritent une profonde analyse.
Ce 25 novembre 2022, le président de la transition Col. Assimi Goita a reçu en audience le premier ministre Choguel Kokalla Maiga qui fait son retour solennel après quelques mois de retraite médicale. Pour cette première sortie publique, l’occasion était belle pour le premier ministre de faire acte de reconnaissance à l’endroit du Chef de l’Etat, mais aussi et surtout, de lancer quelques fléchettes à l’endroit de certaines cibles bien déterminées. L’analyse du discours du premier ministre prouve à bien des égards que ses propos, bien que nuancés, ne sont pas neutres. Ils s’inscrivent dans une logique et dans une orientation bien particulière à l’instar de tout autre discours politique…
L’image d’un homme rassembleur
Les politistes savent que tout discours politique rempli une fonction bien définie dans l’espace publique. Le rôle qui lui est ainsi assigné par son auteur participe de l’action politique de ce dernier. C’est pourquoi Hannah Arendt avait raison de soutenir l’idée que « les mots justes trouvés au bon moment sont de l’action ».
En tant que revenant, et surtout que convalescent, le premier ministre ne pouvait outre que se montrer conciliant à un moment où les exaspérations des populations commencent à se faire sentir. Le front social est en ébullition avec les grèves intempestives de l’association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) et les préavis de grève d’autres corporations à l’image du Syndicat des enseignants.
Par ailleurs, le texte de l’avant-projet de la nouvelle constitution continue de faire couler encres et salives en raison de son ambiguïté et des prérogatives énormissimes accordées à l’institution du Président de la République. On notera également les frustrations provoquées par la liste additive des membres du Conseil National de la Transition (CNT) qui vient sans doute renflouer les dépenses publiques de l’Etat au moment où les populations attendent du Léviathan (Etat) des mesures d’accompagnement.
L’inflation généralisée à l’échelle mondiale n’épargne pas le Mali. Et tout comme en France, en Chine ou au Maroc, les populations maliennes souffrent également de la cherté du cout de la vie d’autant plus que cette cherté de la vie n’est nullement accompagnée d’une augmentation du pouvoir d’achat des ménages. C’est le combat actuellement menée le mouvement Yèrèwolo de la société civile qui est présentement à couteaux-tirés avec les autorités de la transition.
Face à autant de dossiers sur la table qui sont en réalité autant de défis à relever, le premier ministre Choguel Kokalla Maiga ne pouvait outre que paraitre rassembleur en espérant pouvoir atténuer les ardeurs des uns et des autres. C’est ce qui explique d’ailleurs l’insistance sur certains comme « ensemble » qui est répété dans le discours à peu près cinq fois.
L’habitude, une seconde nature
Ce grand effort du premier ministre à vouloir rassembler n’occulte pas le côté clivant qu’il porte en lui. Pour avoir été au four et au moulin tout au long de la grande contestation du M5-RFP (mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotique), ceux et celles qui ont côtoyé de près Choguel Kokalla Maiga ne laissent pas sous silence son côté clivant. D’aucuns pensent que le premier ministre n’est efficace en communication politique que lorsqu’il a en face une opposition. En d’autres termes, des discours du type binaire (avec moi ou contre moi) semblent être son dada. L’habitude étant une seconde nature, il n’a pas raté certaines cibles consciencieusement choisies.
Après avoir remercié le Chef de l’Etat Assimi Goita d’avoir protéger son « intimité » contre le mauvais « œil », il a tenu à remercier son suppléant le premier ministre par interim Col. Abdoulaye Maiga pour son discours triomphal à la tribune des Nations Unies à l’occasion de son 77ème Assemblée Générale. A titre de rappel, on se souvient de la teneur et du ton de ce discours qui a semblé être une sorte de règlement de compte avec la France, le Niger et la Cote d’ivoire. C’est par ce discours que le Col. Abdoulaye Maiga a parlé de « junte française » ou encore de « footballeur dribleur » parlant du troisième mandat du président Alassane Ouattara.
Faire référence à ce discours du Col. Abdoulaye Maiga sous-entend que Choguel Kokalla Maiga le soutien et s’inscrit dans la même dynamique que lui. Ce faisant il participe au renforcement des antagonismes entre le Mali et ses Etats voisins. En ce qui concerne la France, ancienne puissance colonisatrice, elle est indexée d’être parmi ceux qui veulent maintenir l’Afrique dans la logique de la « sujétion ». A partir de cet instant, Choguel Kokalla Maiga décide de s’adresser à toute l’Afrique en plaçant le Mali comme la tete de pont de la nouvelle « renaissance » de l’Afrique qui est appelée à devenir « la locomotive de la croissance mondiale ».
Ballan DIAKITE, Politiste