Entretien avec Laurent Bigot, diplomate français et fin connaisseur de l’Afrique. Il a accepté de répondre à nos questions sur les grandes questions du moment dont la sécurité, la françafrique et la guerre en Ukraine…
ADS : Vous êtes ancien diplomate français, vous êtes connu du grand public pour votre expertise sur l’Afrique et les relations entre la France et le continent Africain. Au- jourd’hui, vous êtes directeur et fondateur de GASKIYA. Merci d’avoir accepté cet échange. Le président Emmanuel Macron a récemment tenu un discours sur l’Afrique avant d’entamer une sé- rie de visites officielles en Afrique Centrale. Que vous inspire ce discours ? Qu’est-ce qui change dans cette nouvelle relation entre la France et l’Afrique ?
Laurent Bigot : Je juge plutôt les actes que les discours. Ce discours est d’abord de la communication. Le pré- sident Emmanuel Macron a annoncé comme tous ses prédécesseurs la fin de la Françafrique, la volonté d’éta- blir des partenariats équilibrés. Jugeons aux actes, c’est la seule manière de voir si les mots se concrétisent.
ADS : La France a subi des revers importants dans la lutte contre le Jihadisme au Sahel. Quelle est votre analyse de cette situation ? Peut-on parler d’un grand échec ou d’un petit échec ?
Laurent Bigot : L’opération Serval a été une victoire militaire de la France, l’opération Barkhane est quant à elle une défaite même si les militaires français grâce à leur immense professionnalisme ont eu de nombreux succès tactiques. L›échec de Barkhane est politique. La France n›a pas vu que le développement des groupes armés est d›abord le symptôme d›une défaillance de la gouvernance des Etats sahéliens. Appuyer une opération militaire sur des pouvoirs politiques faibles, contestés et défaillants c›est reproduire exactement la même erreur qu’en Afghanistan. Aujourd’hui il revient aux Africains de prendre à bras le corps le vaste sujet de la gouvernance et la prise en compte des intérêts de leurs populations. La solution ne viendra pas de l’extérieur.
ADS : Le Burkina-Faso et le Mali ont clairement affiché leur volonté de ne plus collaborer avec la France, est-ce grave durablement pour l’influence française au Sahel ?
Laurent Bigot : Ce sont des pays souverains qui décident de leur politique militaire. C’est un moment de crise politique entre la France et ces deux Etats. Il reviendra à la France de reconstruire de nouveaux liens et de veiller à convaincre les opinions publiques de ces deux pays de l’intérêt d’un nouveau partenariat. L’examen de conscience est à faire des deux côtés.
ADS : Emmanuel Macron a fait le choix d’aller en Afrique Centrale juste après un discours sensé mar- quer le début d’une nouvelle ère. Est-ce véritablement un choix pragmatique visant des objectifs économiques pour la France ? Comment ce choix va se matérialiser à votre avis ?
Laurent Bigot : Emmanuel Macron avait peu visité l’Afrique centrale donc il était logique de s’y rendre. En revanche je n’ai pas saisi le fil conducteur du choix de ces pays…
ADS : La France va-elle militairement quitter l’Afrique à votre avis ?
Laurent Bigot : A terme, cela me paraît inévitable en Afrique de l’Ouest.
ADS : La guerre en Ukraine est toujours en cours. La Russie ne souhaite pas reculer avant d’atteindre les objectifs de ce qui est décrite comme «une opération spéciale». Plusieurs pays africains se sont abstenus au moment des votes au conseil de sécurité sur l’Ukraine, d’autres ont tout voté clairement en faveur de la Russie comme le Mali, l’Érythrée… quelle est votre analyse de cette abstention ? Et du vote en faveur de la Russie ?
Laurent Bigot : Certains pays africains préfèrent ne pas prendre position dans ce conflit qui est hors du continent africain. C’est un choix légitime. D’autres soutiennent la Russie, c’est un choix que je ne partage pas mais c’est la responsabilité de ces Etats souverains.
ADS : Peut-on dire que la Russie prend le pas sur la France en Afrique francophone ? Si c’est le cas, à quel niveau peut-on situer la «faute française» en Afrique, faute qui aurait conduit à ce basculement vers l’influence russe ?
Laurent Bigot : L’influence russe est un symptôme du recul de l’influence française et non pas la cause. Si l’influence française recule, d’autres prennent la place. La France doit, à mon sens, repenser son rapport aux Afriques (le continent africain est vaste et divers) et apprendre à comprendre les aspirations des jeunesses africaines qui sont l’immense majorité (70% de la population a moins de 35 ans). C’est un chantier de longue haleine pour la diplomatie française.
ADS : On attend beaucoup parler de Wagner, le fameux groupe paramilitaire russe. Que pouvez-vous nous dire sur ce groupe ? Et est-ce une erreur pour les pays africains de travailler avec ces « mercenaires »?
Laurent Bigot : C’est un groupe de mercenaires intéressé par les ressources des pays africains. Ce groupe n’a pas de victoire militaire à son actif sur le continent. Les gouvernements qui font confiance à Wagner feront le bilan en temps utile et verront bien si ce choix était judicieux. A titre personnel je n’attends rien de mercenaires.
ADS : Comment voyez-vous la fin de la guerre en Ukraine ? Pensez-vous que cette guerre aura des conséquences pour l’influence française en Afrique et dans le monde ?
Laurent Bigot : Je ne suis pas un spécialiste de l’Ukraine, je souhaite juste que ce pays retrouve son intégrité territoriale et que le carnage de cette guerre cesse. Quand est-ce que les êtres humains cesseront de s’entretuer ? Quant aux conséquences sur l’influence française dans le monde, je vous avoue que je n’ai à ce jour pas d’idée sur d’éventuelles conséquences, c’est sur le temps long que cela se mesurera.
ADS : M. Bigot, nous vous remercions.
Entretien réalisé par Issa DJIGUIBA pour l’ADS.