A l’heure où l’avant-projet de la nouvelle constitution fait l’objet de débat dans les cercles intellectuels de Bamako, l’application pleine et entière de l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger continu d’être revendiquée par les ex-groupes rebelles du mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA).
La signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger entre le gouvernement et les ex-groupes armés, en juin 2015, est née d’une volonté manifeste des parties à se réapproprier de l’Histoire commune de notre pays, bâti sur une unité nationale respectueuse de la diversité humaine, ethnique et culturelle des populations qui le composent.
La nécessité d’aller vers l’unité nationale, dans le respect de l’intégrité du territoire, constitue un gage important pour le retour de la stabilité, la consolidation de la paix et la réconciliation nationale. L’effort quotidien consenti par le peuple malien pour la restauration de la sécurité serait un travail sans fin, si au préalable on ne met pas en place un cadre consensuel permettant de dégager des règles de bonne gouvernance, de transparence dans la gestion des affaires publiques, de respect des droits de l’Homme et de la justice.
Néanmoins, outre le manque de volonté politique réelle, le retard dans l’application effective de l’Accord tient également aux nombreux points équivoques que celui-ci comporte en son sein. A ce titre, une relecture du document s’impose aux parties afin de le rendre précis et intelligibles en un certain nombre de ces points.
Un accord pour « la paix et la sécurité »
C’est pour répondre aux défis de la sécurité, de la paix et de la réconciliation que l’Accord d’Alger fut signé par les parties. A ce titre, il apparait comme un outil de gouvernance pouvant permettre la promotion de la démocratie locale, la rénovation de l’architecture institutionnelle de la République ainsi que le rapprochement de l’Administration des administrés. Au regard de ses ambitions sans doute élevées, la mise en œuvre effective de l’Accord a des implications politiques et économique mastodontes.
Après une opérationnalisation timide sur le terrain du processus de Démobilisation, Démilitarisation et Réinsertion (DDR) et du Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC), le bilan global de l’application de l’Accord est certes mitigé et peu flatteur. Pendant que les parties s’accusent mutuellement du retard dans la mise en œuvre effective et intégrale de l’Accord sous le regard impuissant du Comité de Suivi de l’Accord (CSA), les citoyens quant à eux, s’adonnent à des interprétations teintées d’émotions et de romantisme.
Relire l’accord pour le rendre applicable
Au titre des questions politiques et institutionnelles, l’Accord prévoit un cadre institutionnel et de réorganisation du territoire comportant des aspects plus ou moins équivoques qui méritent d’être revu, afin de permettre leur intelligibilité et donc, leur applicabilité. Il en est ainsi des points relatifs à la répartition des pouvoirs et compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales (art.7, 8).
L’article 7 de l’Accord prévoit que les parties « reconnaissent la nécessité d’un partage des missions et responsabilités entre l’Etat et les collectivités territoriales, pour assurer le niveau d’efficacité requis et la prise en compte des besoins et demandes des citoyens et des communautés à la base. ». Si tout semble clair et précis dans cet article, le suivant par contre, donne une liste assez longue de matières devant relevées désormais de la compétence des régions dont certaines appartiennent au domaine régalien de l’Etat. A ce titre, on peut citer par exemple l’aménagement du territoire ou encore, l’établissement et l’application des impôts et des recettes qui sont en réalité, des compétences propres à l’Etat mais qui devront être transférées aux régions selon l’article 8 de l’Accord. Ces compétences vont être exercées par les régions, chose qui est contraire au principe de subsidiarité, selon quels principes d’équité entre les collectivités territoriales? L’accord ne répond pas à cette question qui peut s’avérer une inquiétude pourtant réelle au moment de sa mise en œuvre.
La problématique des Assemblées régionales
Par ailleurs, l’article 6 prévoit en son premier alinéa que « la région est dotée d’une Assemblée Régionale élue au suffrage universel direct, bénéficie d’un très large transfert de compétences, de ressources et jouit des pouvoirs juridiques, administratifs et financiers appropriés. ». Cette dénomination d’Assemblée Régionale peut paraitre quelque peu problématique, car elle peut donner lieu à des interprétations diverses et à des controverses d’ordre rhétorique. D’aucuns pourraient penser qu’il s’agisse non pas d’un « Exécutif régional », mais plutôt d’un organe législatif à part entière, distincte de l’Assemblée nationale.
Quant à l’article 9, il dispose que « les délibérations des collectivités territoriales sont exécutoires dès leur publication et leur transmission au représentant de l’Etat. La répartition des compétences entre les différentes collectivités territoriales est déterminée par la loi, sur la base du principe de subsidiarité. ». Or le principe de la décentralisation voudrait que l’Etat central garde toujours un droit de regard, à travers son représentant local, sur les actes des collectivités territoriales. En rendant les délibérations des collectivités territoriales exécutoires de manière illico presto, dans un contexte de contrôle de légalité à postériori, l’Accord crée les conditions d’une autonomie presque totale de celles-ci vis-à-vis de l’Etat. On note bien que dans un pays où les velléités de conflits identitaires ou de rebellions sont fréquentes, cette autonomisation poussée des collectivités territoriales n’est pas sans risque pour l’unité territoriale.
L’ethnicisme déguisé aux dépens de la méritocratie
Enfin, l’article 16 de l’Accord prévoit de « favoriser le recrutement dans la fonction publique des collectivités territoriales, dont les effectifs seront majoritairement réservés aux ressortissants des régions du Nord. ». Cet article nous parait inapplicable tout simplement parce que son contenu est en contradiction avec l’esprit et la finalité téléologique des concours qui visent la promotion de la méritocratie au sein de la République.
Ballan DIAKITE, Politiste