A l’heure où le peuple est engagé dans un processus de refondation du Mali, on assiste à un retour manifeste du sentiment souverainiste généralisé qui fait résonnance dans le passé optimiste des premières années de l’indépendance. Le président Modibo Keita, plus de deux générations après sa mort, demeure toujours aussi populaire dans les consciences collectives qu’il y a soixante ans.
Lors d’une interview accordée au Journal « Jeune Afrique » en 1966, le socialiste président Modibo Keita disait : « Nous pourrions classer les difficultés rencontrées par les Etats Africains en deux grandes dimensions. Il y a des difficultés structurelles relatives à l’organisation interne de certains Etats, à leur administration, à leur situation économique. Il y a également les difficultés conjoncturelles inhérentes aux séquelles de la colonisation. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on pourra définitivement résoudre de telles difficultés… ».
Une vision économique adossée aux grands projets d’industrialisation
Quasiment, la décennie qui a suivi l’indépendance du Mali en 1960, correspond à une période de dévouement patriotique. Les acteurs de l’indépendance étaient sans doute des vrais patriotes. Ils étaient éperdument avoués à la cause de la nation et cela sur tous les plans (politique, économique, social, etc.).
Modibo Keita et toute son équipe avaient une réelle vision pour relancer l’économie du pays. Ils étaient engagés pour reconstruire le pays dans tous les domaines. Une partie de leur ambition a été réalisée à travers la création d’une quarantaine de sociétés et d’entreprises nationales dans plusieurs secteurs d’activités. Par exemple, des entreprises ont vu le jour telles que la Banque de Développement du Mali (B.D.M.), la Banque Malienne de Crédits et de Dépôts (B.M.C.D.), la Société des Conserves du Mali (SOCOMA), la Compagnie Malienne des Textiles, la Société d’Exploitation des Produits oléagineux du Mali (SEPOM).
En outre, la Société Malienne du Bétail, des Peaux et Cuir (SOMBEPEC), la Société Nationale de Recherche et d’Exploitation Minières (SONAREM), la Société Équipement du Mali (S.E.M.A.), la Société Malienne d’Importation et d’Exportation (SOMIEX). De surcroît, la Librairie Populaire du Mali (LPM), la Société des Ciments du Mali (SOCIMA), la Société Nationale d’Entreprise de Travaux Publics (SONETRA), Air Mali, l’Office des Produits Agricoles du Mali (OPAM), Énergie du Mali, l’Office Cinématographique National du Mali (OCINAM), de l’Office du Niger (O.N.), la Société de Construction Radioélectrique du Mali (SOCORAM), la Régie des Transports du Mali (R.T.M.).
Le projet socialiste a eu l’idée de créer 10 hôpitaux, 300 dispensaires, 45 centres médicaux, 60 maternités, une pharmacie populaire avec des succursales dans toutes les grandes villes et chefs de lieux de cercles et des dépôts dans les arrondissements et les villages. 5 écoles de formation de personnel de la santé, 4 écoles d’enseignement supérieur (ENA, ENSUP, ENI, INA).
Le Franc Malien, un talon d’Achille
Le président Modibo Keita a toujours nourri en lui cette idée que la souveraineté politique et la souveraineté monétaire sont inextricablement liées. D’après lui, ce sont « les deux faces d’une même pièce ».
Afin de répondre aux exigences souverainistes de la population soudanaise, une nouvelle monnaie dénommée « Franc Malien » a vu le jour le 1er juillet 1962. Les pièces et les billets du franc malien étaient produits en Tchécoslovaquie et c’était une monnaie non convertible, de valeur initiale égale à celle d’un franc CFA, le franc malien a été dévalué dès 1963. Une nouvelle dévaluation à hauteur de 50% a eu lieu le 6 mai 1967. Mais un an avant, le 16 décembre 1966, il y a eu l’inauguration du barrage de Sotuba sur le Niger.
Malheureusement, cette période a été aussi consolidée par les « éléphants blancs », c’est-à-dire des investissements non rentables qui n’ont pas généré suffisamment de richesses. Cela s’explique par la prédominance de l’incompétence, les conflits politiques, l’effritement de l’élan souverainiste, la démotivation des fonctionnaires, la mauvaise gestion, l’amplification de la corruption de certains responsables et énormément de difficultés dans la mise en application des décisions.
Aujourd’hui, 63 ans après l’avènement de l’indépendance du Mali, des générations continuent de s’identifier au président Modibo Keita non pas seulement au Mali, mais aussi à travers l’Afrique toute entière. A ce titre, le président de la transition malienne le Col. Assimi Goita, a rendu un grand hommage à Modibo Keita et à ses compagnons dans son discours solennel adressé à la nation à la veille du 22 septembre 2023.
Amadou SY, analyste économique pour L’Analyse de la semaine