L’opération Barkhane, c’est du passé désormais ! La guerre médiatique alimentée par l’escalade entre Paris et Bamako a finalement eu raison de la présence des soldats français sur le territoire malien. Engagés au Mali depuis 2013 dans le cadre de l’opération « Serval » puis de l’opération « Barkhane », les troupes françaises dont la mission consistait à lutter contre le terrorisme et à rendre possible le retour progressif de l’Etat sur la partie septentrionale se voient contraient de se « retirer du Mali sans délai » selon un communiqué du gouvernement du Mali rendu public le vendredi. Ce communiqué intervient à un moment où se tient à Bruxelles le Sommet Europe-Afrique dont l’ambition est de créer une nouvelle dynamique dans les relations de coopération entre les Etats européens et africains…
Une crise diplomatique aux rebondissements multiples
Depuis la chute du régime IBK en aout 2020, les relations entre Paris et Bamako n’ont cessé de se détériorer au gré du temps qui passe. De la condamnation d’un coup d’Etat à la volonté manifeste de s’ingérer dans les affaires intérieures du Mali, les autorités françaises ont montré à la face du monde leur mépris vis-à-vis de la junte au pouvoir à Bamako. La réplique ne s’est pourtant pas fait attendre…
Rappelons-nous de ce discours inhabituel du Premier Ministre malien, Choguel Kokalla Maiga, à la tribune des Nations Unies (ONU) lorsqu’il qualifiait « d’abandon en plein vol » la décision unilatérale de la France de suspendre ses opérations militaires conjointes avec les Forces Armées du Mali (FAMa). Ces propos n’ont pas tardé à susciter la réaction des autorités françaises qui ont estimés que les propos du Premier Ministre malien sont « indignes » et « irresponsables ».
Ainsi, l’escalade verbal est allée crescendo jusqu’à ce qu’elle a pris une ampleur importante dans les débats politiques français et malien. Ensuite, le refus de l’Etat français à reconnaitre comme ambassadeur du Mali en France un proche collaborateur de la junte au pouvoir a amplifié les tensions. Il s’en est suivi le renvoi de l’ambassadeur de France à Bamako par les autorités maliennes. Une première dans l’histoire diplomatique entre les deux pays.
Cependant, jusqu’ici, aucune des deux parties n’avaient manifesté publiquement le retrait de la force Barkhane et de la force Takuba. Toute chose qui donne une tournure nouvelle à ce bras de fer digne d’une véritable saga dont les épisodes nous surprennent un peu plus chaque jour…
Une crise alimentée par des acteurs aux profils semblables…
C’est en marge du Sommet Europe-Afrique qui se tenait à Bruxelles la semaine dernière que la France a rendu public son intention de retirer les troupes françaises du Mali et de les redéployer dans un autre pays du Sahel (Niger) ou de la golf de guinée (Benin). Une décision qui fait vite réagir Bamako qui demande purement et simplement « un retrait sans délai ». Les militaires au pouvoir dénoncent une décision unilatérale des européens qui, au demeurant, part à l’encontre des dispositions des accords de défense qui lient les deux parties.
Nonobstant, soulignons que cette position radicale de la France et de ses partenaires européens s’expliquent en gros par deux évènements majeurs : l’intervention au Mali des groupes paramilitaires russes Wagner et le renvoi des soldats danois par les autorités maliennes. Ces deux évènements constituent en réalité la véritable pomme de discorde qui aura participé largement à catalyser les relations entre les deux pays. D’accusations en accusations, le ton est monté de part et d’autres, et le profil des acteurs n’est pas de nature à permettre une désescalade des tensions.
Enfin, le profil des acteurs a été grandement déterminant dans la détérioration progressive des relations entre Paris et Bamako. Ç’auraient été des acteurs autres que Jean Yves LeDrian et Chogeul Kokalla Maiga ou, des personnes autres que Emmanuel Macron et Assimi Goita, cette crise aurait probablement connue un dégel rapide des tensions. Malheureusement ou heureusement, entre la maladresse de Macron et le silence mortel d’Assimi, difficile est de trouver un terrain d’entente entre les deux hommes. Il en est de même entre un Choguel imprudent et un LeDrian provocateur.
Un départ non négocié aux conséquences certaines
Au regard de la fragilité de la situation sécuritaire du Mali, il serait illusoire de croire que ce départ forcé des troupes française ne sera pas sans conséquences. La nature du conflit malien révèle les déterminants sociologiques d’un Etat qui n’a pas su garantir un développement socioéconomique équilibré sur l’ensemble de son territoire national. Les déséquilibres de développement entre les régions du Sud et celles du Nord sont tels que l’option ne peut aucunement à elle seule pacifier le Mali. Car, enfin de compte, ce sont les problèmes socioéconomiques liés à l’absence d’infrastructures routières, de santé, de scolarité qui ont poussé les populations Touaregs à prendre les armes contre l’Etat malien. Et ce sont les mêmes raisons qui poussent les jeunes des zones rurales à prêter allégeance aux différents groupes terroristes et djihadistes qui profitent de leur vulnérabilité économique pour les enrôler dans leur rang.
Ensuite, peu importe ce que l’on pourrait reprocher aux forces Barkhane et Takuba, elles auront néanmoins permis de stabiliser, ne serait-ce que psychologiquement, les populations de Gao et de Tombouctou par leur présence. Et, au-delà de cet aspect d’ordre psychologique, notons que leur présence revêtait également un aspect économique dans la mesure où ces opérations étaient aussi créatrices d’emploi pour nombreux jeunes vivants dans les régions du Nord. Ce sont là autant d’enjeux qui sont liés au départ forcé de ces forces étrangères et auxquels l’Etat malien devra penser à apporter des réponses rapides et des alternatives à ces problématiques. Car il y a lieu de craindre une détérioration de la situation sécuritaire et humanitaire dans les zones de conflits.
Enfin, la France quitte le Mali avec la tête baissée. Le parallèle avec le retrait des troupes américaines de l’Afghanistan l’année dernière n’est certes pas pertinent. Mais qu’à cela ne tienne, l’histoire retiendra qu’après près de dix ans, l’armée française quitte le territoire d’une de ces anciennes colonies sans pour autant arriver à bout des groupuscules terroristes armées avec tous les moyens technologique, logistique et financière dont elle dispose. Cette crise, au regard du dénouement désagréable qu’elle est entrain de connaitre, ne va-t-elle nuire à l’image de la France l’international ? Seul le temps qui coule pourra nous éclairer.
Ballan DIAKITE,
Politiste-chercheur