Il aura fallu juste quelques jours pour que l’Union Européenne (UE) emboite le pas à la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en émettant des sanctions ciblées contre les autorités maliennes de transition. Des sanctions qui interviennent dans un contexte particulier où un bras de fer oppose le gouvernement malien à CEDEAO et à la France. Au regard de cette situation, l’UE qui s’est engagé dans le processus de résolution de la crise malienne depuis 2013, ne pouvait ne pas rester en marge des évènements. C’est ainsi que, s’inscrivant dans la même dynamique que la CEDEAO, l’Organisation continentale européenne a décidé de l’interdiction de voyage dans l’espace Schengen et du gel des avoirs de ceux qui sont considérés comme responsables dans le retard de l’exécution du calendrier électoral… Face à cette situation, l’UE est-elle en droit d’imposer à l’Etat malien un calendrier électoral ? Sommes-nous dans une logique d’ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat en besoin d’assistance ou, plutôt, dans une tentative de lui tordre la main pour assouvir à des ambitions d’ordre géopolitique dans le Sahel ? Quoiqu’il en soit, la question mérite d’être posée…
Enjeux géopolitiques du Sahel et ingérence européenne
Espace désertique à 20%, montagneux et aussi fortement aride, le Sahel couvre un territoire immense avec une densité de population faible et des richesses très importantes. Ces caractéristiques rendent cet espace attractif et en font l’objet de toutes les convoitises. La cartographie des acteurs impliqués dans cette région illustre les ambitions géostratégiques dont elle sert de théâtre d’opération. On y trouve Ansar Dine, Boko Haram, AQMI, MNLA… ; mais aussi des Etats comme le Mali, le Niger, le Burkina-Faso, le Tchad etc. Notons également la présence des acteurs extérieurs dont notamment la France qui, depuis 2013 à travers l’opération Serval est fortement impliquée au plan sécuritaire et économique ; les USA qui manifestent à la fois un intérêt militaire et économique dans la région ; et la Chine qui, enfin, par un certain nombre de politiques d’aide en termes de construction des infrastructures cherche à s’y implanter durablement. Toutes choses qui prouvent l’intérêt que représente le Sahel sur l’échiquier politique international.
Cependant, depuis 2011 avec notamment l’intervention de l’OTAN en Lybie et l’assassinat de Mouammar Khadafi, le Sahel traverse une de ses périodes les plus sombres de son histoire. Le terrorisme, l’insécurité, les coups d’Etat, la famine, etc. sont autant de problèmes qui plongent le Sahel dans une crise sécuritaire, politique, socioéconomique et humanitaire sans précédente. La faillite des Etats africains face des défis a occasionné le renforcement de l’insécurité et provoquer des sentiments d’indignation chez des populations civiles. La coopération internationale est ainsi apparue comme l’ultime solution de dernier recours pour protéger les populations civiles au nom de la sécurité internationale. L’intervention militaire des alliés européens, avec un leadership incontesté de la France, visait non seulement la stabilité politique et la paix dans la région, mais aussi et surtout, une gestion partagée des conséquences nées de l’intervention de l’OTAN en Lybie. Idéalement, il aurait fallu que l’UE apporte une réponse appropriée lorsque la crise malienne s’est déclenchée en 2012 en dépêchant militairement des troupes sur le terrain. 1% des forces armées européennes aurait suffi pour stabiliser le Mali. Mais plutôt que cela, l’UE s’est juste contentée de saluer les avancées de l’armée malienne, soutenue par la France, et à assurer un programme de formation militaire à l’endroit des soldats maliens. De 2013 à 2021 ; de l’opération Serval à l’opération Barkhane, en passant par les forces MINUSMA et Takouba ; la situation sécuritaire au Mali n’a cessé de se dégrader au gré des années, et devant les yeux ouverts de la CEDEAO et de la communauté internationale. Le bon sens et la responsabilité historique des Etats européens dans la déstabilisation du Sahel recommanderaient que l’UE adopte une posture de retenu et non de sanction envers les autorités maliennes de transition. A croire que l’UE s’ingère dans les affaires intérieures du Mali en vue de mener par procuration une « guerre » qui n’est pas la sienne…
Tensions diplomatiques et jeu d’influences des puissances
Les sanctions de l’UE sont inconcevables du point de vue juridique. Le Mali n’étant point un Etat membre de cette organisation, on se demande au nom de quel principe du droit internationale se permet-elle de prendre des sanctions contre les autorités d’un pays se trouvant en dehors de ses compétences territoriales. Cette interrogation aurait pu trouver aisément sa réponse si ces sanctions avaient été prises par l’Union Africaine (UA) ou carrément par l’Organisation des Nations Unies (ONU). Dans ce cas de figure, on aurait évoqué le principe de subsidiarité qui permet à une organisation continentale ou universelle d’emboiter le pas à une organisation sous-régionale en termes de sanction ou de décisions relevant du domaine partagée entre l’Union communautaire et les Etats membres. En d’autres termes, le principe de subsidiarité vise à privilégier le niveau inférieur d’un pouvoir de décision aussi longtemps que le niveau supérieur ne peut pas agir de manière plus efficace. C’est un principe souple dans la mesure où il peut avoir un versant ascendant et un versant descendant. La subsidiarité est dite ascendante lorsqu’elle tend à accroitre les compétences communautaires, et elle est dite descendante lorsqu’elle ramène les compétences vers les Etats membres. C’est surtout dans cette deuxième optique que le principe de subsidiarité a été conçu. A ce titre, il lie l’Etat à une Organisation Internationale dont il est membre. Ce qui n’est évidemment pas le cas entre le Mali et l’Union européenne. On comprend alors qu’en vertu du droit international, ces sanctions de l’UE à l’encontre des autorités maliennes de transition, n’ont pas véritablement un fondement juridique. Il aurait été judicieux pour elle de suspendre ses relations de coopération avec le Mali, notamment dans le domaine du développement socioéconomique, lorsque de part en part elle constate que les autorités actuelles ne sont pas des partenaires fiables. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait en début de mai 2021 lorsqu’elle a dû renoncer à verser une partie de son aide au Mali dont le montant était estimé à pas moins de 38 millions d’euros et demi. Cette décision a été qualifiée à l’époque d’illustration de la « nouvelle stratégie européenne au Sahel » fondée sur « un partenariat ambitieux, mais aussi plus efficace et plus transparent au bénéfice des populations du Sahel ». Cependant, quand elle décide de prendre des sanctions contre les autorités maliennes de transition, précisément à une période où celles-ci entretiennent un bras de fer diplomatique avec la France ; cela porte à croire qu’elle mène une « guerre » par procuration en faveur de l’Elysée. Tous les textes internationaux sont unanimes sur le fait que les sujets relevant de la politique intérieure des Etats sont des sujets de souveraineté nationale. Il en est ainsi des élections qui renvoient intimement à la souveraineté des Etats. Pour cette raison, sanctionner les autorités maliennes de transition parce qu’elles auraient pris du retard dans l’exécution du calendrier électoral, relève bien plus d’une volonté d’ingérence dans les affaires internes du Mali que toutes autres considérations. En outre, ces sanctions de l’UE participent de manière flagrante de la guerre d’influence qui oppose les puissances occidentales dans le Sahel. Les tensions récentes entre la France et la Russie à propos de l’éventualité de la venue prochaine du groupe paramilitaire Wagner au Mali en est une belle illustration.