La crise que traverse le Mali n’est pas seulement une crise de l’Etat malien ou de la faillite de sa classe politique. Elle est aussi le résultat de l’échec de nombreuse année d’intervention internationale suivant un schéma extraverti dans lequel « les acteurs internationaux finissent par faire partie de l’Etat avec toutes les ambiguïtés que cela peut engendrer »
La crise que traverse le Mali n’est pas seulement une crise de l’Etat malien ou de la faillite de sa classe politique. Elle est aussi le résultat de l’échec de nombreuse année d’intervention internationale suivant un schéma extraverti dans lequel « les acteurs internationaux finissent par faire partie de l’Etat avec toutes les ambiguïtés que cela peut engendrer » …
En effet, c’est au cours d’un atelier organisé par l’Alliance Citoyenne pour la Réforme du Secteur de la Sécurité (AC-RSS) et la Mission de l’Union Africaine pour le Sahel (MISAHEL) sous le thème : « Le rôle de la société civile dans le processus national RSS dans le cadre de la prévention des conflits, la cohésion nationale, la reconstruction post-conflit et le développement » que le panéliste Dr Nouhoum Salif MOUNKORO s’est donné le plaisir de partager avec le public son analyse sur la problématique du retour de l’Etat du Mali sur l’ensemble du territoire national. Il s’agissait de savoir si l’expression « Retour de l’Etat » a-t-elle un sens ? L’atelier a eu lieu à Bamako, les 5 et 6 septembre dernier dans la salle de conférence du Conseil National du Patronat du Mali. En tout, c’est avec neuf panels et plus d’une dizaine d’intervenants, que les organisateurs ont su combler l’attente des invités et du grand public.
Toutefois, dans ce numéro, l’accent est mis précisément sur l’analyse du panéliste Dr Nouhoum Salif MOUNKORO qui considère, en substance, qu’un retour de l’Etat n’aura de sens que si ce dernier est en mesure d’exercer la plénitude de sa compétence et de sa souveraineté sur l’ensemble du territoire national. Lisons la suite pour comprendre…
Le retour de quel Etat ? sous quelle forme et à quelle condition ?
La crise que traverse le Mali n’est pas seulement une crise de l’Etat malien ou de la faillite de sa classe politique. Elle est aussi le résultat de l’échec de nombreuse année d’intervention internationale suivant un schéma extraverti dans lequel « les acteurs internationaux finissent par faire partie de l’Etat avec toutes les ambiguïtés que cela peut engendrer ». Cela est d’autant plus vrai qu’au terme de sa visite au Mali en janvier 2020, Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint des Nations unies aux opérations de maintien de la paix exprime son souhait de voir l’Etat revenir dans les régions où sévit l’insécurité en ces termes :
‘‘Il y a des endroits du centre d’où les FAMa sont parties. Et nous allons les aider afin qu’elles puissent revenir de manière à ce que nous ne soyons pas, ou le moins longtemps possible, les seuls à être présents. Notre objectif commun est le retour de l’Etat partout afin que la paix et la prospérité puissent se développer au Mali ».
Cette bonne volonté exprimée par Monsieur Lacroix semble être la quintessence même de la crise du retour de l’Etat tant l’ingérence internationale est directe et sans appel. Aussi, la question de la mise sous tutelle de facto de l’Etat malien reste largement illustrée dans les mêmes propos. Mieux, loin de mettre en œuvre leur mandat « multidimensionnel » et « robuste » (selon la terminologie onusienne), les missions de maintien de la paix de l’ONU se contentent de maintenir un statu quo militaire entre rebelles et gouvernants et de veiller à ce que les lignes de démarcation entre eux soient plus ou moins respectées. La mission revêt en ce moment le caractère d’une mission d’interposition en faveur des parties aux conflits. Les parties acquièrent par la même occasion la même notoriété et l’autorité de l’Etat central se trouve mis en mal par une tutelle qui s’impose à lui ? Finalement quand on parle du retour de l’Etat on peut bien se poser la question : le retour de quel Etat ? sous quelle forme et à quelle condition ?
Une ingérence de « trop » qui ne favorise pas le retour de l’Etat
L’intervention internationale au Mali a commencé bien avant l’opération militaire française débutée 2013. Le pays dépend beaucoup de l’aide internationale. Les politiques publiques sont coproduites avec les acteurs étrangers et des acteurs nationaux. Cette dépendance est visible et se fait ressentir sur l’économie locale quand, à l’occasion de coups de force, la communauté internationale suspend une partie de son aide. Le fait que toutes les politiques publiques soient produites avec des acteurs internationaux pose un problème du retour de l’Etat, puisque des personnes qui ne sont pas élues et n’ont aucune responsabilité vis-à-vis des citoyens maliens sont impliquées dans tous les ministères. Partout, il y a des experts et des assistants techniques étrangers payés par des gouvernements européens et tout cela est très « routinisé ».
Enfin, le conflit attire trop de « bonnes volontés ». Beaucoup d’acteurs se bousculent pour soutenir le retour de l’Etat ou succéder à l’Etat, là où il est absent avec sur la liste des organisations variées : des organisations religieuses, des ONG spécialisées dans la médiation, la cohésion sociale, la justice transitionnelle, la gestion des conflits, etc. Sur le terrain, l’affluence des intervenants extérieurs aux rôles et aux intérêts différents affecte la vision politique nationale et contribue à définir les prémisses du retour de l’Etat avec ou sans l’Etat.
La part de responsabilité des acteurs locaux
Les acteurs locaux se mettent en concurrence pour les salaires, les financements, les voyages et autres avantages. L’Etat perd l’aperçu sur une bonne frange de sa nouvelle économie car il devient difficile de suivre les flux financiers liés aux interventions internationales au Mali qui impliquent de plus en plus d’acteurs différents avec des « cadres logiques » et des moyens d’intervention variés. Aussi, les acteurs publics maliens ont développé depuis des décennies des stratégies pour « s’approprier » cette aide et s’en accommoder.
Une gestion ambivalente du crédit de l’Etat
Les interventions internationales visant à résoudre les crises qui se déploient suivant le même modèle notamment la négociation des accords de paix, de déploiement des forces de maintien de la paix par l’ONU et la supervision internationale des élections ont atteint un niveau d’ingérence qui fait perdre à l’Etat toute assise. Le retour de l’Etat n’est pas possible avec une gestion commune du crédit de l’ Etat par l’ autorité légale et légitime et l’ autorité de tutelle constitué par la communauté internationale.
Dans un contexte géopolitique en plein bouleversement et face à l’échec des interventions internationales, il est urgent de changer d’approche pour tenter de résoudre les conflits d’aujourd’hui. Le retour de l’Etat aura un sens quand les acteurs internationaux laisseront de la place à la pleine souveraineté de l’Etat aussi en temps de crise.
Dr Nouhoum Salif MOUNKORO, Chef DER Droit international et Relations Internationales à la Faculté de Droit Public de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB)