Par Bakary Fomba – ADS
Le 20 septembre 2025, au Centre international de conférences de Bamako (CICB), la scène de la Nuit de la Renaissance a offert bien plus qu’un spectacle musical. Elle a été le théâtre d’un moment historique : la réconciliation publique entre deux figures majeures de la chanson malienne, Mariam Bah, connue sous le sobriquet de « Dougouwili », et Biguini Baghaga, surnommée affectueusement « Atè gring gring ». Leur duo inédit, aux côtés du vénérable Abdoulaye Diabaté, a marqué un tournant symbolique dans un conflit qui, au-delà des rivalités artistiques, menaçait de fissurer le tissu social malien.
Une crise qui résonnait au-delà de la scène
Les tensions entre les deux chanteuses, alimentées par des échanges virulents sur les réseaux sociaux et des prestations scéniques marquées par des allusions blessantes, avaient pris une ampleur inattendue. Leur incarcération conjointe en août 2025 au Centre correctionnel pour femmes de Bamako « Bolé », suite à des débordements liés à leurs querelles publiques, avait révélé l’urgence d’une intervention. Dans un pays où la musique est un pilier identitaire, à la fois mémoire collective, boussole morale et outil de cohésion, voir deux voix aussi influentes s’opposer avec autant d’acrimonie n’était pas qu’un drame personnel : c’était un risque pour la paix sociale.
La réconciliation, un processus mûri
Leur libération, suivie d’excuses publiques et d’appels à la paix adressés à leurs communautés de fans, avait déjà tracé la voie d’un rapprochement. Mais c’est lors de la Nuit de la Renaissance, organisée dans le cadre du 65e anniversaire de l’indépendance du Mali, que cette réconciliation a trouvé sa pleine expression. Vêtues d’uniformes symboliques évoquant l’unité nationale, chantant ensemble sous la direction artistique d’Abdoulaye Diabaté, les deux artistes ont transformé leur conflit en acte de résilience culturelle.
Le choix du morceau « Bin », « Anka bin Fochi te bin bô » (« Rien ne vaut la paix »), n’était pas anodin. En interprétant ce chant emblématique, elles ont puisé dans une tradition mandingue où la musique n’est jamais un simple divertissement, mais un instrument de guérison, de médiation et de rappel aux valeurs fondatrices. Abdoulaye Diabaté, figure tutélaire de la paix au Mali, a ainsi incarné le rôle de passeur, reliant passé et présent, conflit et réconciliation, individu et communauté.
La culture malienne, garante de l’unité
Le Mali, héritier des grands empires du Sahel, possède une tradition où la parole chantée — le donkili, l’art griotique, a toujours eu pour fonction de réguler les conflits, de rappeler les valeurs communes et de renforcer les liens sociaux. Mariam Bah et Biguini Baghaga, malgré leurs différends, sont les héritières de cette tradition. Leur popularité, leur capacité à mobiliser des foules, leur ancrage dans les réalités quotidiennes des Maliens en font des porte-voix puissants.
En choisissant aujourd’hui la paix, elles réactivent un rôle ancestral : celui de réconciliatrices par le chant. Leur geste, amplifié par la présence d’Abdoulaye Diabaté et soutenu par les institutions (ministères de l’Artisanat, de la culture, de l’industrie hôtelière et du tourisme et celui de la Réconciliation, de la paix et de la cohésion nationale), pourrait marquer le début d’une nouvelle ère pour la scène musicale malienne — une ère où l’art sert non plus la division, mais la cohésion.
Cependant, cette réconciliation ne saurait être un simple épisode médiatique. Elle ouvre désormais une responsabilité : celle de la consolider par des actes concrets. Des collaborations artistiques, des projets communs de sensibilisation à la paix, des tournées dans les régions — notamment celles marquées par les conflits — pourraient transformer leur geste symbolique en levier durable de changement social.
Dans un Mali en quête de stabilité, de réconciliation et de renaissance, la culture n’est pas un luxe : elle est une arme de paix. Et le 20 septembre 2025, au CICB, cette arme a brillé de mille feux. Car quand la paix chante, tout le Mali l’écoute.