Entretien avec Nassirou Bodo, essayiste et acteur politique nigérien. Avec lui, nous revenons sur les tensions diplomatiques entre le Mali et le Niger et sur la visite récente du Général nigérien Salifou Mody au Mali.
ADS : D’abord, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Nassirou Bodo: Je m’appelle Nassirou Bodo, je suis juriste de formation, essayiste et jeune acteur politique nigérien. Je suis membre du Directoire du Mouvement Politique Indépendant – Tous Pour La République, Secrétaire chargé de la communication du Comité Exécutif de ladite instance.
ADS : Que vous inspire la visite du Chef d’état-major du Niger, le Général Salifou Mody, au Mali cette semaine ?
Nassirou Bodo: La visite du chef d’état-major du Niger, le Général Salifou Modi au Mali le 09 mars 2023, nous conforte dans notre position et dans notre conviction depuis le début de cette crise. Cette position et conviction, largement partagées au sein de nos opinions, ont pour source le réalisme politique que nous impose la situation sécuritaire difficile dans notre zone commune, la zone dite des trois frontières et ses conséquences à l’intérieur de nos pays respectifs.
En effet, dès le début de cette crise entre nos deux pays, née de l’hostilité par procuration, développée et entretenue contre le Mali et ses autorités par les autorités nigériennes en particulier et la CEDEAO en général, qui, au lieu d’avoir le comportement que l’on peut légitimement attendre d’un frère lorsque l’on est en difficulté, se sont faites porteuses de la «haine» et du narratif des autorités françaises vis à vis des autorités maliennes.
Cette haine et ce narratif des autorités françaises contre le Mali sont faits au nom des principes de démocratie dont ces même autorités françaises en soutiennent les violations pour leurs intérêts au Tchad, et même au Niger avec les élections passées qui n’ont rien à envier à un coup d’État militaire en termes de violation des principes démocratiques de prise de pouvoir, comme c’est le cas d’ailleurs dans la plupart des pays francophones membres de la CEDEAO, la seule différence étant dans l’usage des armes et la tenue que portent les acteurs.
Cette visite prouve qu’il y’a une certaine prise de conscience à saluer à sa juste valeur, des autorités nigériennes. Elle est salutaire parce qu’elle vient rétablir ne serait-ce que la «diplomatie militaire» entre nos deux pays frères, condamnés à travailler la main dans la main, à mutualiser leurs forces pour faire face à l’hydre terroriste créée par des puissances qui ne s’en cachent plus, pour leurs intérêts géopolitiques et géostratégiques au nom desquels elles se sont elles- mêmes montrées capables de piétiner les droits de l’Homme, les principes de la démocratie et de l’État de Droit ailleurs.
Les récents résultats salutaires et spectaculaires des Forces Armées Nigériennes suite à des opérations et des frappes en territoire malien contre des groupes terroristes sont à mettre à l’actif de cette ouverture entre nos deux pays, et ces résultats prouvent à suffisance si besoin, l’importance de sortir par réalisme, des débats académiques autour de la démocratie, pour faire véritablement face et ensemble à la situation sécuritaire qui menace l’existence même de nos États car, il faut bien des États viables pour que la démocratie elle-même puisse exister et s’appliquer.
ADS : Cette coopération militaire en perspective entre le Mali et le Niger est-elle viable au regard des tensions diplomatiques qui ont caractérisé les relations entre les deux pays ?
Nassirou Bodo: Elle est bien viable si les autorités des deux pays pour l’intérêt de nos populations respectives, le veulent bien, prennent de la hauteur et jouent franc-jeu dans le cadre de ladite coopération en perspective.
Cependant, la présence d’autres acteurs, notamment de puissances étrangères dans la coopération militaire globale de la zone va compliquer les choses et peut- être même émousser cet élan de coopération. Il faut rappeler et reconnaître que ces tensions diplomatiques ne viennent pas des deux pays, mais du Niger dont les autorités ont fait le choix de la continuité d’un partenariat avec la France qui porte une haine viscérale contre les autorités maliennes. Et ce choix des autorités nigériennes, il faut être réaliste, n’est pas de nature à faciliter la coopération en perspective.
Vous ne pouvez pas être ami à celui qui a choisi d’être mon ennemi juré, jusqu’à le loger chez vous et espérer que je vous fasse pleinement confiance. Je ne demande pas que vous en fassiez aussi votre ennemi ou que vous renonciez à votre amitié avec lui, mais vous comprendrez quand-même que je ne puisse pas vous faire pleinement confiance dans ces conditions. Or, ce genre de partenariat, pour être durable, a pour socle la confiance.
Si les autorités nigériennes et maliennes et même burkinabés le veulent bien, elles peuvent mettre en avant la fraternité qui nous lie, et elles le doivent même. Pour ce faire, elles peuvent mettre en place un cadre commun de lutte qui soit sincère et qui va capitaliser l’apport de leurs partenaires respectifs, notamment français, européens et occidentaux d’un côté, Russes et autres, de l’autre, sans avoir à s’imposer mutuellement lesdits partenaires et surtout à éviter de porter la «bagarre» ou la «haine» de leurs partenaires les uns contre les autres.
Dans d’autres circonstances, on aura même pas à un débat de choix entre partenaires, amis et frères tellement le choix est évident, clair et net.
ADS : Le retrait du Mali du G5-Sahel n’aurait-il pas des implications sur la dynamique des relations entre Bamako et Niamey en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme ?
Nassirou Bodo: Je ne pense pas que le retrait du Mali du G5-Sahel puisse avoir des implications sur la dynamique des relations entre Bamako et Niamey. D’abord parce que le G5-Sahel lui-même n’a jamais pu être opérationnel. Il est resté un instrument, un appât pour simplement capter des financements des partenaires. Sinon, il y’a longtemps qu’il aurait fait ses preuves sur le terrain opérationnel. Mais comme l’idée de base était plus d’en faire un moyen de mobilisation des financements, il est resté théorique alors qu’on aurait pu en faire un vrai cadre autonome de lutte en y affectant simplement nos soldats avec leurs moyens et les rubriques budgétaires de nos États affectés à nos armées nationales au lieu de toujours attendre des partenaires.
Ensuite, parce qu’il est bien possible qu’il y ait entre nous, une coopération bilatérale indépendamment de nos partenaires respectifs et de leurs idéologies, pourvu que ça se fasse dans un cadre commun mais surtout sincère de lutte.
Avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont les pays du Sahel dont les espaces sont infestés par ces terroristes. Il est bien possible que nous nous mettons ensemble, que nous mutualisons nos forces et nos moyens dans un cadre tripartite pour faire face à la situation.
Enfin, le Mali étant désormais dans une logique de coopération bilatérale conformément aux orientations déclinées par les autorités de transition, nous pouvons faire économie du débat sur un G5-Sahel dans tous les cas inopérationnel même lorsque le Mali y était encore et jusqu›à aujourd›hui, et saisir toutes les opportunités de partenariat et de coopération bilatérale que nous offre le Mali pour nous mettre véritablement au travail d›une lutte efficace contre le terrorisme.
ADS : Que pouvons-nous attendre de ce rapprochement militaire entre le Niger et le Mali ?
Nassirou Bodo: De ce rapprochement militaire entre le Niger et le Mali, nous pouvons attendre des résultats efficaces, probants et concluants dans la lutte contre le terrorisme, c’est évident. Pour s’en convaincre, il suffit de voir les récents résultats salutaires engrangés par les Forces Armées Nigériennes certainement autorisées par le Mali à procéder sur son territoire, à des frappes contre des bases terroristes.
Si la dynamique se maintient, et en attendant qu’une vision politique intégrée suive, c’est déjà bien que les autorités maliennes et nigériennes, laissent nos deux armées travailler ensemble sur les stratégies de défense commune et sur les aspects militaires de la lutte contre le terrorisme. C’est comme on dit, ensemble nous sommes plus forts. Alors il serait bien d’élargir cette coopération militaire au Burkina Faso aussi afin que nos armées puissent serrer l’étau autour des terroristes et leur rendre invivable la zone des trois frontières qu’ils occupent et dont ils terrorisent et tuent les populations.
ADS : M. Nassirou Bodo, nous vous remercions.