Le Mali est-il en passe de devenir, dans un futur proche, un autre « État islamique ». Il s’agit bien d’une thèse que certains voudraient ne jamais entendre et ne jamais penser à l’idée qu’elle puisse se réaliser.
Dans la guerre contre le terrorisme, déclenchée par les pays occidentaux après les attentats du 11 septembre 2001, à New York, l’une des erreurs fatales commises est certainement la mort du colonel Mouammar Kadhafi. En mettant fin au règne du guide libyen, la France et ses alliés pensaient avoir cassé le rythme d’un contre-pouvoir géopolitique en balbutiement et pensaient également avoir réduit une base-arrière dans la guerre contre le terrorisme.
Certes, la Libye aurait pu être une base-arrière d’une grande efficacité pour les groupes terroristes, que ce soit sur le plan logistique ou financier. Mais, finalement, l’incapacité de la coalition autour de la France à maintenir l’ordre après Kadhafi a réduit drastiquement les espoirs de la coalition. La guerre contre Mouammar Kadhafi n’aura finalement servi presque à « pas grand-chose », car la Turquie et ses alliés ont pu finalement bien exploiter la tragédie libyenne.
Qui a gagné en Libye ? Ce n’est sans doute pas la bonne question qui serait « qui a perdu ? ». Et la réponse, à ce jour, est suffisamment claire : c’est le « bloc islamiste » et non les Occidentaux. En s’inscrivant dans une logique anticipatrice sur le plan géopolitique, la France et ses alliés ont finalement commis une grande erreur stratégique avec la mort du colonel Mouammar Kadhafi et la déstabilisation de la Libye. La coalition aurait gagné avec une maitrise de la Libye. Mais la Libye baigne dans l’instabilité, ce qui profite inéluctablement au « bloc islamiste ».
La défaite de la coalition en Libye, les difficultés américaines en Afghanistan dès les premières heures de l’intervention ont eu, par ailleurs, un écho international dans les cercles islamistes. On pourrait sans doute partir de ces deux postulats pour évoquer le début d’une véritable prise de confiance dans le « bloc islamiste » à travers le monde. Boko Haram va alors prendre de l’ampleur, l’Etat islamique se fonde et les autres groupes extrémistes se fortifient dans l’obscurité.
La faiblesse de l’État et le populisme : les véritables problèmes
Après l’échec libyen, la déstabilisation du Mali était inévitable. Mais, en réalité, rien n’était encore joué quant au sort futur du pays. En intervenant au Mali en 2012, la France a voulu surtout que le pays garde sa consistance démocratique avec une pratique islamique modérée. Mais le problème était bien la faiblesse de l’État malien et des hommes chargés d’assurer la gestion. L’instabilité du pays, la pression populaire et la posture populiste de certains opposants et leaders d’opinion ont empêché les responsables politiques, à tour de rôle, de percevoir une « opposition civilisationnelle » sur le territoire malien et de s’inscrire dans logique prospective.
Longtemps bloqué sur la maitrise de Kidal par les forces françaises et les conflits contractuels avec la France, le réveil malien pourrait être brutal, car la France n’est pas là pour un simple « plaisir » et elle n’a jamais été là uniquement pour bénéficier des faveurs économiques du Mali. Cette lecture démagogique est celle des « populistes maliens » qui véhiculent un souverainisme insensé à l’aube d’une « guerre civilisationnelle ».
L’Etat islamique en perspective ?
Le gouvernement de transition actuel pense maitriser la situation avec une guerre contre le terrorisme et un front souverainiste contre une France décrite comme « incontrôlable ». En aucun cas, on ne perçoit, ni dans les décisions, ni dans les analyses, encore moins dans les projections l’hypothèse d’une République islamique du Mali. Ce, alors même que l’une des hypothèses les plus sérieuses pour l’avenir proche du pays. Cette hypothèse a été rendue plausible avec la « victoire » du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) sur le régime de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta. Ce régime n’aurait, en réalité, jamais dû gagner car la France a œuvré dans ce sens. La France était convaincue que les leaders « non religieux » de ce mouvement hétéroclite n’allaient jamais pouvoir garder le leadership du mouvement, ce qui représentait un risque important dans le basculement du pays vers un futur État islamique du Mali.
Le M5 RFP : deux objectifs dans un même mouvement
Cette perspective n’a jamais été perçue, au début du mouvement, par les leaders « non religieux » du mouvement. Ces derniers se battaient contre les dérives et l’incapacité de l’ancien régime à trouver des solutions adéquates alors que l’imam Mahmoud Dicko et ses alliés luttaient pour un idéal beaucoup plus lointain et qui avaient beaucoup plus de consistance. Au final, c’est bien l’imam qui gagne et la France qui perd encore. Une perte davantage plus importante, car elle va obliger la France et ses alliés présents au Mali à totalement changer de posture à l’égard du Mali.
Le Mali a vocation à devenir un État islamique si le processus lancé arrive à bout. Dans le moindre des cas, le pays pourra être gouverné à travers un « deal » entre des démocrates « sans consistance » et des extrémistes.
Quant à la régionalisation ou au fédéralisme, il sera incontournable car il faudra bien distinguer les lois qui s’appliquent aux contrées. Il s’agit bien, ici, de deux postulats que la France et les alliés étaient sensés combattre. Mais il y a échec, le pays a basculé. Pour les souverainistes maliens, les autorités militaires au pouvoir et les civils du M5-RFP qui gouvernent le pays, la France doit lâcher prise et peut-être même partir du Mali.
L’équation finale semble être assez simple : si la France et ses alliés qui bloquent encore des armes échouent, ils combattront ouvertement l’ensemble d’un système malien vaincu par les groupes extrémistes.