Figure importante de la vie politique malienne, l’ancien Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maiga est décédé lundi 21 mars 2022 dans une Clinique de Bamako où il a été admis depuis près de quatre mois. Sa disparition a suscité de nombreuses interrogations, tant au Mali (opposition) qu’en Afrique de l’Ouest, en raison de sa non-évacuation sanitaire en dépit des alertes tous azimuts.
Une biographie flamboyante
Né le 8 juin 1954 à Gao (nord du Mali), Soumeylou Boubèye Maiga (SBM), alias le « Tigre », effectuera une partie de ses études à Gao (septième région administrative du Mali), avant de venir au Lycée de Badalabougou, à Bamako. Avec le Baccalauréat en Lettres Classiques en poche, il choisira d’aller étudier le journalisme au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI) de l’Université Cheickh Anta Diop, à Dakar, au Sénégal, une des écoles de journalisme les plus réputées en Afrique francophones. Ensuite, il se rendra à l’Université de Paris-Sud, en France où il obtiendra un Diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) de diplomatie et administration des organisations internationales en 1987 et un diplôme de relations économiques internationales à l’institut d’administration de Paris. De retour à Bamako, il a d’abord exercé le métier de journaliste à l’Essor (quotidien national), puis au mensuel Sunjata où il fut le rédacteur en chef de 1981 à 1990. Ce n’est pas tout. SBM a également été un grand artisan de l’avènement de la démocratie au Mali.
Carrière politique mouvementée
Au cours d’une carrière politique remarquable, mais assez mouvementée, SBM a occupé plusieurs hauts postes dans l’appareil d’État, notamment chef des services de renseignement, ministre des Affaires étrangères, ministre de la Défense et des Anciens Combattants et secrétaire général de la présidence. Le 31 décembre 2017, il est nommé Premier ministre sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keita, avant d’être contraint à la démission le 18 avril 2019, après le massacre de quelque 160 civils peuls à Ogossagou (centre) et après une série de manifestations dénonçant la mauvaise gestion du pays.
Proche d’Alpha Oumar Konaré, premier Président démocratique du Mali, cet ancien journaliste avait participé à la fondation de ce qui fut longtemps le premier parti du pays, Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ).
En 2002, cette formation optera pour la candidature à la présidentielle de Soumaila Cissé au détriment de la sienne, un choix qu’il a du mal à accepter. En 2007, SBM décidera de se porter candidat à la présidentielle, mais pas sous la bannière de l’Adema, avec laquelle sa position se divergeait une nouvelle fois sur le choix de la personne à soutenir. Il sera candidat malheureux lors de ce scrutin. Pour l’occasion, le natif de Gao avait créé le mouvement Alternance en 2007 et se fera pour cela exclure du Parti.
C’est en 2013 qu’il démissionne de l’Adema pour créer sa propre formation politique, l’Alliance pour la solidarité au Mali-Convergence des forces patriotiques (Asma-CFP). À la présidentielle de la même année, il décidera de soutenir Ibrahim Boubacar Keita pour le premier mandat de celui-ci.
Incarcération et détérioration de sa santé
Tout a commencé le 19 août 2021, lorsque le « Tigre » annonçait dans une émission télévisée que le dossier de « l’acquisition des équipements militaires et d’avion présidentiel » était clos. Le 24 août, c’est-à-dire cinq jours après, le procureur général de la Cour suprême a fait une sortie pour démentir cette annonce, avant de procéder le 26 août, à sa convocation puis au placement sous mandat de dépôt. Dès lors, SBM était détenu le 26 août 2021, par la Chambre d’accusation de la Cour suprême dans l’affaire dite « acquisition des équipements militaires et d’avion présidentiel ».
En effet, des audits de la Cour suprême et du Bureau du vérificateur général (BVG) ont été menés et rendus publics à la demande du Fonds monétaire international (FMI). Les rapports d’enquête officiels ont établi des surfacturations de quarante milliards FCFA, soit soixante-douze millions de dollars.
Le natif de Gao était notamment poursuivi pour « faux en écriture, usage de faux et falsification de documents », ainsi que pour « atteinte aux biens publics par détournements ». Il était également accusé d’avoir « cédé à des sollicitations qui tendent à la corruption », « abus d’influence réelle ou supposée en vue d’obtenir des avantages » et d’avoir fait des « montages pour percevoir des avantages indus » dans l’exercice de ses fonctions, rapporte Jeune Afrique.
Depuis son incarcération à la Maison centrale d’arrêt de Bamako, son état de santé s’était nettement dégradé. Toute chose qui avait nécessité son transfèrement le 16 décembre dernier, à la Clinique Pasteur de Bamako.
Malgré la détérioration constante de son état de santé, SBM n’a pas pu bénéficier d’une évacuation sanitaire, pour des soins efficaces. Cela, malgré les alertes de sa famille et de ses médecins.
Il est finalement décédé le 21 mars 2022, à l’âge de 67 ans, dans cette Clinique bamakoise où il était soigné depuis près de quatre mois. Cela, sans jamais avoir été jugé ou du moins, reconnu coupable. Il laisse ainsi sa formation politique, l’Asma-CFP orpheline. Oui, cette disparition sera marquée par un exercice difficile pour l’Asma-CFP. Surtout lorsqu’il s’agit de celle de son père fondateur et leader charismatique. Exercice souvent périlleux, comme l’ont démontré les guerres de succession actuellement en cours au sein de l’URD de Soumaila Cissé et du RPM d’Ibrahim Boubacar Keita, devenus des conflits ouverts après leur disparition.
Si SBM n’avait pas préparé sa relève, il est fort probable que l’Asma-CFP suive la même logique de structuration générale des partis politiques au Mali. Il s’agit notamment de ceux cités précédemment.
Des interrogations et indignations persistent…
Cette disparition, au regard de tous ces obstacles qui l’entourent, a suscité de nombreuses interrogations et de frustrations, tant au Mali que dans la sous-région ouest-africaine.
Pourquoi le pouvoir actuel n’a pas ordonné l’évacuation du « Tigre » dans un centre de santé approprié pour faire soigner cette pathologie qui le rongeait et lui a fait perdre 27 kilogrammes, selon son épouse, dans une lettre ouverte au Colonel Goita ? SBM méritait-il un tel sort ? Autant de questions et encore beaucoup de questions qui suscitent cette fin tragique de ce pilier de la politique malienne.
« Soumeylou est finalement mort, fatigué d’attendre, d’espérer. Rongé par la maladie que ses geôliers ont laissée prospérer avec lucidité et cynisme », a noté Tieman Hubert Coulibaly, ancien ministre et membre du Cadre d’échange des partis et regroupements politiques pour une Transition réussie.
Dans un communiqué daté du 21 mars dernier, le Cadre a estimé qu’il « était mort en détenu politique, dans des conditions très troublantes » et « exigé l’ouverture d’une enquête indépendante pour faire la lumière sur les circonstances de ce décès et situer les responsabilités ». Outre, « on a comme l’impression que c’est un assassinat programmé. Soit ils voulaient le tuer, soit le rendre impotent à vie », a estimé Tiègoun Boubèye Maiga, frère de SBM, sur l’AFP.
Pour sa part, le Président nigérien, Mohamed Bazoum, a indiqué avoir appris avec « consternation la mort de Soumeylou Boubèye Maiga, ancien Prmier ministre malien ». « Sa mort en prison rappelle celle du Président Modibo Keita en 1977 », a-t-il ajouté.
Quoi qu’il en soit, cette disparition doit servir de leçon à tous les dirigeants africains, surtout lorsqu’ils font subir les pires horreurs à leurs adversaires politiques, qu’ils considèrent d’ailleurs comme des ennemis à abattre.
Le « Tigre » a été accompagné à sa dernière demeure, le jeudi 24 mars 2022, au cimetière de Niarela, vieux quartier commerçant du centre-ville de Bamako.
Repose en paix, SBM !
Bakary Fomba, journaliste