Marine Le Pen au Sénégal ? L’annonce de la visite de la présidente du Rassemble- ment national (RN) n’a pas du tout été prise au sérieux. Certains ont même cru à un fake-news. Pourtant Marine Le Pen a été belle et bien reçue par le Chef de l’Etat sénégalais, Macky Sall, qu’elle a trouvé « charmant » à sa sortie d’audience.En effet, lorsque l’information sur la visite de Marine Le Pen a été confirmée, il était seulement question pour la cheffe de file de l’extrême droite française, de se rendre sur quelques sites, plus ou moins confidentiels et auprès des forces françaises basées au Sénégal. Or, à la stupéfaction générale de tout le monde, le président Macky Sall a bien reçue Marine Le Pen au palais présidentiel pour des raisons liées à des intérêts politiciens partagés.
Justement, que reste-t-il à Marine Le Pen pour être élue présidente de la république française ? Peut- être une reconnaissance sur le plan international. C’est ce qu’elle est venue chercher au pays de la téranga. Pour sa première sortie à l’étranger depuis sa finale ratée de la présidentielle d’avril 2022, elle a choisi une destination à haute portée symbolique. Les relations entre la France et le Sénégal ont toujours été chaleureuses.
MARINE LE PEN AU SÉNÉGAL POUR SE CONSTRUIRE UNE STATURE INTERNATIONALE
Le Sénégal est souvent présenté par les autorités françaises, de droite comme de gauche, comme un bon élève. Toutefois, le discours de Marine Le Pen et avant elle, de son père Jean Marie Le Pen, a toujours été mal perçu par les sénégalais qui comptent un important contingent de ressortissants en France, qui se sentent doublement victimes de la montée
de l’extrême droite en France et en Europe, d’une part, en tant que noirs et africains, et de l’autre en tant que musulmans pour la plupart. On pouvait donc s’attendre à visite mouvementée. C’est la raison pour laquelle, elle a été tardivement communiquée sur le tas et suggérait une venue somme toute touristique et non politique. Au programme de ce qui était à l’ordre du jour sur l’agenda officiel : visite d’exploitations agricoles, de producteurs de riz et de sucre sur la vallée du fleuve Sénégal à côté de Saint Louis, une visite auprès des forces françaises basées au Sénégal et un centre hospitalier de la capitale sénégalaise. Une tournée en quelque sorte franco-française où il ne serait nullement question des relations France Sénégal, mais seulement d’une visite privée. Il était également prévu une étape sur l’île de Gorée, lieu emblématique de la mémoire de la traite négrière transatlantique. Et contrairement pour ce à quoi on aurait pu s’attendre de la visite d’une cheffe de parti français dont quelques-uns des thèmes majeurs de campagne sont l’immigration et l’islam, Marine Le Pen a été très bien reçue au Sénégal. Elle a eu ce qu’elle voulait, qui dépassait de loin ses attentes d’une simple visite de courtoisie en terre africaine du Sénégal. Elle a en effet été reçue par le Président sénégalais en personne au palais de la République.
Cette rencontre, qui a eu lieu le mercredi 18 janvier au soir, placée sous le sceau du secret, s’est apparemment bien déroulée pour les deux parties. La présidence sénégalaise n’a pas communiqué sur la question.
Aucune photo officielle n’aurait été prise de l’entrevue qui a duré une heure, mais Marine en a fait grand bruit sur les réseaux sociaux. Elle a même publié une dédicace de Macky Sall. Elle a déclaré aux journalistes du journal français Le Point : « Il est très important de ne pas perdre le contact avec l’Afrique. Je voulais commencer par me rendre au Sénégal qui est un pays pivot sur le continent. La vision que je porte n’est pas seulement une vision franco- française. Elle est aussi une vision de la France dans le monde. Il est important de pouvoir la confronter à l’étranger. » L’ambition de Marine Le Pen est claire, elle veut porter la voix et l’image de la France dans le monde. Le Sénégal constitue une bonne entrée en matière. En tout cas, elle semble avoir apprécié sa rencontre avec le président sénégalais : « C’est un homme charmant. Nous avons eu une conversation intéressante et chaleureuse. Nous avons abordé la nécessaire coopération entre le Sénégal et la France, la francophonie ainsi que l’ensemble des perspectives de développement du Sénégal. Sur le plan énergétique aussi bien que sur celui de la souveraineté alimentaire. » a-t-elle confié au Point.
QU’EST-CE QUE LE SÉNÉGAL A À GAGNER À RECEVOIR L’EXTRÊME DROITE FRANÇAISE ?
Du point de vue de Marine Le Pen et du Rassemblement national cette visite au Sénégal constitue une excellente affaire. Le parti d’extrême français souffre d’un défaut de reconnaissance à l’étranger, et d’une mauvaise image, souvent associée au racisme, à la xénophobie et à l’islamophobie. Ces dernières années, l’héritière du fondateur du Front national, a adopté de nouvelles initiatives pour polir son image auprès de l’électorat français. Elle a renié la posture antisémite et raciste qui étaient l’ADN du Front national, pour adopter une attitude plus nationaliste. Marine Le Pen ne fait pas aussi peur que son père comme le démontre ses résultats en 2017 et 2022, mais comme le rappelle le journaliste et historien Dominique Vidal, le RN n’a pas fondamentalement changé par rapport au FN, seule la forme a évolué pour des raisons électoralistes. Toujours est-il que les étrangers et l’islam demeurent encore ses sujets de prédilection.
Qu’en est-il pour le Chef de l’Etat sénégalais et pour le Sénégal ? Quel est l’intérêt de Macky Sall de recevoir une personnalité aussi controversée pour ses propos envers les étrangers, singulièrement les africains ? Le risque est grand de choquer davantage les sénégalais vivant en France dont le vote lors des dernières législatives s’est fortement exprimé en faveur de l’opposition. Mais il semblerait que Macky Sall aie son propre calendrier qui lui impose des calculs. Le fameux troisième mandat qui serait de toute évidence illégal et illégitime lui pose une équation qui le pousse à s’allier avec des gens peu recommandables, ou tout au moins aux intérêts contraires à ceux d’une bonne partie de ses concitoyens. Ceci dans un contexte socio-politique flou. En effet, l’opposition sénégalaise subit depuis quelques mois des arrestations pour des motifs parfois incompréhensibles pour une démocratie qui se prétend majeure, notamment le détournement satirique de la Une de journaux de la place ou la publication d’emojis. PASTEF, le parti du principal opposant au régime actuel, Ousmane Sonko, est en train de subir le contrecoup de la judiciarisation de la vie politique avec des arrestations tous azimuts. La dernière série en date, l’arrestation puis la condamnation ce mercredi 8 février de militants qui distribuaient des flyers de sensibilisation sur l’inscription sur les listes électorales. Mais le régime veut aller plus loin, en « traquant » les sénégalais qui auraient des « activités subversives » à l’étranger, notamment en France. En effet, le parlement français devait étudier quelques jours après la visite de Marine le Pen au Sénégal, le mercredi 1er février, un projet de Conventions d’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition entre la France et le Sénégal, proposé par le Sénégal. N’étant pas sûr de convaincre la majorité des députés français, en particulier la gauche, le Président sénégalais a cru bon de devoir s’appuyer sur le vote du Rassemblement national qui a effectivement voté pour l’adoption des conventions, contrairement aux députés de la France insoumise. Des parlementaires ont attirés l’attention sur le risque de dérives du gouvernement sénégalais qui serait en mesure, d’attraire en justice ou en demandant l’extradition de citoyens sénégalais vivants en France pour motifs supposés de terrorisme.
Le Sénégal est à la croisée des chemins. A un an de l’élection présidentielle, la tension monte. Le président Macky Sall, tentera-t-il de briguer un troisième mandat comme le voudraient plusieurs responsables de son parti ? Poursuivra-t-il la chasse aux opposants en instrumentalisant la justice ? Ou comme le demande Alioune Tine de AfrikaJom Center, appellera-t-il à l’union sacrée de tous les sénégalais pour préserver les intérêts supérieurs du Sénégal ? Cette visite de Marine, n’est certainement pas un bon signe pour la démocratie sénégalaise et pour l’esprit de téranga. Le tweet de Madame Aminata Touré, ancienne première ministre en dit long sur le malaise des sénégalais en réaction à la réception de la cheffe de file de l’extrême droite française par le président de la république : « je n’ose pas croire que cette information est vraie. Si c’est le cas, nos compatriotes sénégalais et africains vivant en France et qui subissent depuis des décennies les attaques racistes et xénophobes du Front national apprécieront. », là où Boubacar Seye, fondateur de Horizons sans frontières, ONG de défense des sénégalais de la diaspora, estime sans ambigüité que « ceux qui reçoivent Marine Le Pen au Sénégal auront une lourde responsabilité devant l’histoire si l’on sait que tout son discours est uniquement basé sur le racisme, la haine du noir et contre l’islam. » « C’est de la haute trahison. C’est une question de dignité africaine », ajoute-t-il.