A la suite de l’adoption récente du projet de loi relatif à la création de nouvelles circonscriptions territoriales au Mali, Alhoudourou Maiga, porte- parole de la plateforme Bourem Région, a accepté de répondre à nos questions tout en expliquant les raisons profondes de son opposition à cette nouvelle réforme administrative…
ADS : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis le porte-parole de la Plateforme Bourem Région à Bamako. Je suis journaliste de profession et analyste en stratégie internationale. Je suis en fin de cycle de thèse doctorale en prévention de conflits par l’influence des technologies intelligentes (Intelligence artificielle adaptée aux sciences humaines et sociales).
ADS : Que vous inspire la dernière réforme administrative engagée par les autorités de la transition ?
La dernière réforme administrative a déjà montré ses limites à cause de la non adhésion des communautés à la base. En témoignent les multiples manifestations dans le pays du nord au sud pour contester son caractère discriminatoire et injuste. Bourem fait partie des premiers cercles du Mali et ses ressources économiques, démographiques, socio-culturelles et historiques, pour ne citer que celles-ci, sont immenses et inestimables. En 1964, Bourem fut le deuxième cercle le plus peuplé de l’ancienne région de Gao après Goundam. La région de Kidal, les cercles d’Almoustrat, de Bamba, de Kassambéré, de Tabankort, d’Ersane y sont tous sortis.
Bourem, c’est entre autres le barrage hydro-agricole de Taoussa (aménagement de plaines, développement de la pêche et de l’élevage) ; Bourem, c’est la route transsaharienne et le commerce transsaharien, la RN33 ; Bourem, c’est les calcaires d’Almoustrat, le grand Tilemsi et les schistes bitumineux d’Agamahor ; Bourem, c’est la diversité, le savoir-vivre, une diaspora dynamique, c’est des sites historiques et touristiques.
ADS : Avez-vous (votre plateforme) été associé à cette réforme ? Sinon, pourquoi ?
La Plateforme Bourem Region n’est pas une organisation créée de toutes pièces. Elle est la volonté de toutes les forces vives de Bourem pour demander l’élection de Bourem en région et de toutes ses communes en cercles. Nous nous félicitons de l’élection de la commune de Bamba en cercle – Bamba étant une commune de Bourem. C’est déjà un résultat obtenu. Ce n’est pas nous seulement qui dénonçons ce projet de loi, plusieurs localités dont Ansongo et Gourma Rharouss le contestent vigoureusement. Ce qui signifie clairement que la démarche et la méthode ont manqué à ce projet qui était censé renforcer la décentralisation au Mali, permettre aux communautés à la base d’être plus proches de l’administration publique et, mieux encore, de la gestion de leurs affaires propres à travers les conseils communaux.
Ce projet aurait pu gagner le cœur des Maliens s’il avait été inclusif et participatif. Au-delà des concertations préliminaires, chaque étape devrait être validée par les acteurs locaux, notamment les versions finales des rapports établis au niveau de chaque région.
À ce niveau, la Plateforme Bourem Région interpelle les anciens élus de Bourem qui n’ont clairement pas joué leur rôle de lobbying. La Plateforme s’est battue jusqu’au bout la première fois, parce qu’elle a pu obtenir une réponse du Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation qui a motivé le rejet par le fait que la réforme en cours ne prévoit pas la création de nouvelles régions. Mais la question qui demeure posée, c’est pourquoi dans ce cas les communes de Taboye et de Temera n’ont pas été érigées en cercles ; et pourquoi d’autres communes n’ont pas été créées comme on l’a vu pour d’autres localités.
ADS : Pensez-vous que cette nouvelle réforme administrative pourrait être utile au processus de décentralisation en cours au Mali ?
Cette réforme peut être utile à la décentralisation, parce qu’elle va permettre l’occupation de l’espace, un espace très vaste sans administration et sans infrastructures qu’est le Mali. Elle aurait pu être efficace pour la décentralisation si elle avait été inclusive, comprise de tous. Parce qu’elle est faite pour les communautés et non contre les communautés. Elle est contestée dans son fond (discriminatoire et source de conflictualité) et dans sa forme (caractère et démarche exclusifs). ADS : Ne voyez-vous pas en cette réforme une occasion nouvelle d’alourdir les dépenses publiques de l’Etat ?
Absolument. Un État, c’est la prévision, c’est l’anticipation. On considère que si l’Etat central décide de faire cette réforme, il a certainement les moyens de son application. Il est clair que la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu d’une processus d’Alger demandée par les autres parties signataires et la médiation internationale est une pression supplémentaire sur l’Etat pour montrer sa bonne foi d’aller vers une décentralisation poussée. Il faut que les partenaires ayant pris des engagements vis-à-vis de cet Accord jouent leurs rôles en respectant leurs engagements financiers.
Il faudrait noter aussi que les communautés à la base exigent de plus en plus un transfert des ressources financières et des compétences pour déconcentrer la gestion des affaires publiques. Parce que les capitales
régionales et la capitale centrale ont montré leurs limites dans la gouvernance des ressources qui arrivent à compte-gouttes aux communes, et les services publics se raréfient.
ADS : En quoi, selon vous, cette réforme pourrait avoir des impacts sur les prochaines échéances électorales ?
Cette réforme était très attendue pour la mise en place effective de l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE). C’est l’une des raisons avancées par l’Etat malien pour reporter l’organisation de l’élection référendaire. C’est une réforme qui change la carte électorale du Mali et fera émerger de nouveaux acteurs. L’enjeu est donc là certainement.
ADS : Au regard de votre engagement sur le terrain, voyez-vous en cette réforme administrative un gage de sécurité et de paix pour le Mali ?
Au contraire, si elle est appliquée en l’état, elle pourrait engendrer un nouveau conflit territorial. Les communautés sédentaires se retrouvent minoritaires territorialement et en termes de représentativité dans les instances publiques de prise de décision. Elles sont défavorisées par le nombre de cercles et de communes obtenus créés au profit des communautés semi- nomades. On a l’impression que ceux qui ont pris les armes sont plus chouchoutés que ceux qui ont décidé de soutenir le pouvoir central, l’Etat malien dans son entièreté et son intégrité.
ADS : Un appel à l’endroit des autorités de la transition ?
Nous lançons un appel aux autorités maliennes à écouter le Peuple souverain, à privilégier l’intérêt supérieur du Peuple malien, ça en va de leur crédibilité et c’est surtout soutenir l’un des trois principes de souveraineté édictés par le président de Transition, le Col. Assimi Goïta. La Plateforme Bourem Région, au nom de toutes les communautés vivant à Bourem, exhorte le président de Transition à ne pas promulguer ce projet de loi en l’état. La Plateforme demande l’érection du cercle de Bourem en région, ses communes en cercles. La Plateforme envisage d’utiliser tous les moyens légaux pour obtenir gain de cause.
ADS : Un dernier mot ?
La Plateforme lance un appel aux entités territoriales qui contestent ce projet de loi à se joindre à elle pour faire ce combat ensemble. Elle invite les autorités locales qui soutiennent déjà l’initiative à tenir des sessions extraordinaires pour statuer sur la démarche. Elle remercie toutes les forces vives pour leur soutien inconditionnel à cette lutte.
Entretien conduit pas Issa DJIGUIBA pour l’ADS