La création d’une seconde chambre, un Sénat, semble faire la part belle au parlementarisme dans le projet de Constitution remis début mars 2023 au président de la Transition, Assimi Goïta. Le nouveau droit de destituer le chef de l’État conforte cette impression. Pourtant, au regard de certaines dispositions de la nouvelle constitution, il y a bien lieu de craindre un renforcement abusif des pouvoirs du président de la République.
En effet, le texte de la nouvelle constitution devant être soumis prochainement à un référendum populaire, assure déjà au président de la République la mainmise sur le gouvernement et le Parlement, la maîtrise de la Constitution elle-même et l’appropriation des institutions. Toutes choses qui laissent croire que la IVe République fonde un régime présidentialiste entre les mains d’une oligarchie militaire.
LA MAINMISE DU PRÉSIDENT SUR LE GOUVERNEMENT ET SUR LE PARLEMENT
Dans le cadre de la nouvelle Constitution, le président de la République fera et défera les carrières politiques. Il pourra nommer le Premier ministre, les ministres (article 57), et conduira la politique de la Nation (article 44). Qu’un opposant cherche à l’affaiblir, il lui sera possible, comme aujourd’hui où la corruption fonctionne à fond, de lui remettre un maroquin pour éteindre sa contestation – la limitation du nombre de ministres, prévue dans l’avant-projet, ayant disparu. C’est aussi devant lui et lui seul que le gouvernement sera responsable : aucune crainte, donc, que le parlement ne renverse ce dernier, cette disposition n’étant pas prévue. Ainsi, la présentation du plan d’action du gouvernement par le Premier ministre ne sera-t-elle suivie, « le cas échéant », que de « débats assortis de recommandations sans vote » ! Si les parlementaires exprimaient leur désaccord, le président aurait tout moyen de les faire taire pour de bon, c’est-à-dire en usant de l’article 69, donc de prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale. Certains commentateurs affirment que la destitution du président de la République (article 73) par le parlement rééquilibre les pouvoirs… Mascarade, que tout cela ! Car la motion de destitution « n’est recevable que si elle est signée par au moins les deux tiers des membres », dont le nombre est élevé, puisqu’un Sénat est instauré – pour empêcher cette initiative, diront les mauvaises langues –, et si une commission ad hoc décide de poursuivre l’intéressé. Autant dire que l’aboutissement de la procédure tiendrait donc de l’exploit, surtout si le président, se sentant menacé, envisageait de dissoudre l’Assemblée nationale…
L’EMPRISE DU PRÉSIDENT SUR LA CONSTITUTION
Avant d’employer telles manœuvres, le président de la République, ce « gardien de la Constitution » (article 43), n’aura pas manqué de « faire respecter la Constitution » (article 55). Il a pour cela les mains déliées. Par son statut, il nomme les conseillers de la Cour constitutionnelle (article 144), ce qui lui donne tacitement le droit de s’opposer aux désignations de certains membres ne lui convenant pas. Le pouvoir judiciaire alors sous sa coupe, le chef de l’État aurait tout loisir de réviser la norme fondamentale sans se soucier que ce même droit dont disposent l’Assemblée nationale et le Sénat ne fragilisent son pouvoir : les conditions de révision sont si drastiques pour ces deux chambres que leur action en ce domaine est pure fiction. Qu’on en juge ainsi d’après l’article 184 : « Le projet ou la proposition de révision doit être adopté en termes identiques par les deux chambres du Parlement à la majorité des deux tiers de leurs membres. » Enfin, les Dispositions particulières du titre XII autorisent, en creux, le président de la République à agir comme lui plaît pour conserver son siège, puisque « le Peuple », dont il fait partie et de la volonté duquel il est l’émanation, « a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’État » (article 186).
L’APPROPRIATION DES INSTITUTIONS
Ces dispositions font écho à l’article 70 : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national, l’exécution des engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation du Premier ministre, des présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et de la Cour constitutionnelle. » Avec ce texte, il apparaît que le chef de l’État disposera des pleins pouvoirs dès que la Constitution entrera en vigueur, étant donné les menaces graves qui touchent le Mali depuis des années, consécutives à l’avancée des islamistes notamment. Enfin, la vacance de la présidence de la République – épineuse question qui avait donné lieu à des mesures fantaisistes après la destitution de Bah N’Daw en 2021 – est traitée par l’article 53. Cependant, le texte est obscur, car si le président ne peut assurer ses fonctions en cas d’empêchement temporaire, « ses pouvoirs sont provisoirement exercés par le Premier ministre », mais ils sont remis au président de l’Assemblée nationale en cas de vacance de la Présidence. Or, l’histoire récente a confirmé que le manque de clarté en matière constitutionnelle débouchait toujours sur la prévalence de la force et de l’injustice. Mais, avec les putschistes qui se prétendent juristes, on n’est pas à une défaillance près. La preuve : le français n’est plus la langue officielle du Mali (article 31), mais c’est elle que les rédacteurs du projet de Constitution ont utilisée ! Finalement, il en va de la place du français comme celle de la dictature : comme on dit, « Chassez le naturel, il revient au galop ! ».
Balla CISSÉ, Docteur en droit public
Avocat au Barreau de Paris, Diplômé en administration électorale