Aujourd’hui, sur la scène internationale, tous les Etats sont unanimes sur la nécessité d’adapter le Conseil de Sécurité à l’impérieuse mission de pré- vention des crises, à une gestion de crises de plus en plus complexes, aux besoins de la construction de la paix. Mais comment y arriver sans réduire sa capa- cité à agir rapidement aux nouvelles menaces telles que la lutte contre le terrorisme ? Telle est la problématique majeure qui se pose.
Le Conseil de Sécurité est l’un des six organes principaux des Nations unies et l’organe le plus important du système des Nations unies dans la mesure où l’article 24 de la Charte de l’ONU en fait le principal responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Autrement dit il est le seul organe compétent pour apprécier la violation par un Etat de ses obligations en matière de respect de la paix et de la sécurité internationales, par ricochet, le seul à décider de l’usage de la force pour le maintien ou le rétablissement de la paix.
LA PREMIÈRE RÉFORME MARQUÉE PAR LA DÉCOLONISATION
De 1945 à 1963, il comptait 11 membres dont 5 permanents avec le droit de veto (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie). A partir de 1963, les membres non permanents sont passés de 6 à 10, élus pour 2 ans par l’Assemblée générale, 5 sièges étant renouvelables chaque année. Cet organe restreint a été pensé pour des raisons d’efficacité et de rapidité d’action en cas d’atteinte ou de menace à la paix et à la sécurité internationales. Sa configuration d’origine se justifiait par un contexte marqué par la victoire des cinq membres permanents lors de la seconde guerre mondiale et représentant par ailleurs, la moitié de la population mondiale d’alors (période pré- décolonisation).
Toutefois, depuis l’éclatement du bloc soviétique consacrant la fin de la guerre froide dans les années 1990, les critiques se font de plus en plus nombreuses contre le Conseil de Sécurité dont l’ossature apparaît comme obsolète, car ne correspondant plus aux réalités géopolitiques, économiques et démographique du monde. En effet, les mouvements de décolonisation ont considérablement réduit le poids démographique de la France et du Royaume-Uni, et plus largement de l’Europe dans le monde. L’Inde, le Brésil, le Japon, l’Afrique du Sud ou le Mexique figurent à l’évidence (sur les plans démographique, économique et culturel) parmi les puissances mondiales d’aujourd’hui. Il en est de même du monde arabo-musulman.
LA GUERRE EN UKRAINE, UNE NOUVELLE DONNE
La crise ukrainienne, à l’instar d’autres conflits dans le monde qui perdurent, a relancé le débat sur l’inefficacité du Conseil de Sécurité à maintenir la paix et la sécurité internationale. Une réforme à travers un élargissement et un rééquilibrage s’impose incontestablement. L’Afrique, premier continent à occuper le plus le processus de décision du Conseil de sécurité et l’action des Nations unies dans le monde, non moins annoncée comme représentant la moitié de la population mondiale à l’horizon 2050, entend jouer un rôle primordial par le biais de l’Union africaine, pour corriger ce que les africains considèrent comme une injustice historique : l’absence de membre permanent au Conseil de Sécurité. A ce propos, Macky SALL, président de la république du Sénégal et président en exercice de l’Union africaine (jusqu’à ce mois de février 2023), lors de son allocution à la 77ème session de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le 20 septembre 2022, a une nouvelle fois demandé une réforme du Conseil de Sécurité pour que l’Afrique soit mieux représentée. Il a déclaré : « Près de quatre-vingts ans après la naissance du système des Nations unies et des Institutions de Bretton Woods, il est temps d’instaurer une gouvernance mondiale plus juste, plus inclusive et plus adaptée aux réalités de notre temps… Il est temps de vaincre les réticences et déconstruire les narratifs qui persistent à confiner l’Afrique à la marge des cercles décisionnels. Il est temps de faire droit à la juste et légitime revendication africaine sur la réforme du Conseil de Sécurité, telle que reflétée dans le Consensus d’Ezulwini.».
UNE BATAILLE SANS FIN SUR FOND DE RIVALITÉ ENTRE ETATS AFRICAINS
A titre de rappel, depuis plus d’une vingtaine d’années, plusieurs propositions d’élargissement du Conseil de sécurité ont été suggérées sans jamais parvenir à un consensus au niveau des Etats membres, en particulier les membres permanents du Conseil. Ce blocage du processus de réforme s’explique d’une part par la volonté des membres permanents à garder exclusivement les principaux privilèges, à savoir le droit de véto et la permanence au Conseil de Sécurité, garants de leur grande capacité d’influence dans le monde et d’autre part la crainte d’une paralysie du Conseil qui résulterait d’un élargissement trop important des membres ou d’une augmentation de sièges permanents avec droit de veto, ce qui alourdirait le processus de décision en son sein et le rendrait davantage inefficace.
Pour tenter d’apporter une réponse à cette problématique, l’Assemblée générale des Nations unies a créé en 1994 un « Groupe de travail », chargé d’examiner la question de la représentation équitable au Conseil de Sécurité et de l’augmentation du nombre de ses membres ainsi que d’autres questions ayant trait au Conseil de Sécurité. Mais force est de constater que depuis plusieurs années, les travaux de ce groupe piétinent.
LES PRINCIPALES TENDANCES DANS LE PROCESSUS DE RÉFORME SONT LES SUIVANTES :
- Le « Groupe des 4 (G4) », est composé du Brésil, de l’Allemagne, de l’Inde et du Japon. Il a pour but la création de nouveaux sièges de membres, proposant un Conseil composé de 25 membres, dont 6 nouveaux membres permanents (les 4 membres du G4 et 2 pays africains) et de 4 non-permanents. Ce groupe a mené une véritable campagne pour convaincre les États membres de la validité de leur candidature. Il est le plus structuré et le plus déterminé à prendre le leadership de la réforme du Conseil de Sécurité. Il est opposé au groupe appelé « Unis pour le consensus ».
- Le « Groupe Uni pour le consensus » dont l’Italie est Cheffe de file, vise à élargir le Conseil de Sécurité par une simple augmentation des membres non permanents avec un mandat longue-durée (9 nouveaux membres non permanents avec un mandat longue-durée et deux sièges d’observateurs avec un mandat de 2 ans). Leur proposition permettrait à l’Afrique d’obtenir 3 sièges supplémentaires : au total 6 sièges de membres non permanents avec un mandat longue-durée, faisant ainsi du groupe africain le plus important au Conseil de Sécurité. Outre les 3 sièges supplémentaires de l’Afrique, le groupe Asie-Pacifique passera de 2 à 5 sièges, l’Amérique latine et les Caraïbes passeront de 2 à 4, les Etats d’Europe occidentale et autres Etats passeront de 2 à 3, et 2 sièges supplémentaires d’un mandat de deux ans seront prévus, soit un pour le Groupe des Etats d’Europe orientale et un, en tant que siège tournant, pour les petits Etats insulaires en développement et les petits Etats. A côté de l’Italie, les tenants de cette proposition sont l’Espagne, le Pakistan, le Mexique, l’Argentine, la République de Corée, la Nouvelle- Zélande et la Suède.
- La position africaine est exprimée par l’Union africaine. En effet, les 7 et 8 mars 2005, les Etats membres de l’Union africaine ont adopté une position commune sur la réforme des Nations unies, dite « consensus d’Ezulwini » qui consiste à obtenir, pour une pleine représentation de l’Afrique au Conseil de Sécurité, l’attribution de deux sièges de membres permanents, ayant un droit de veto et de cinq sièges non permanents. L’Union africaine sélectionnera les représentants de l’Afrique. Le problème de la positionafricainerésidedanslesrivalitésentrepays africains. Ainsi, les premiers pays qui ont prétendu depuis longtemps pouvoir légitimement représenter l’Afrique sont : l’Afrique du Sud, l’Égypte et le Nigeria. D’autres candidats se sont également déclarés : le Kenya, le Sénégal, la Libye et l’Algérie. Cette concurrence officieuse entre ces pays, nourrie par la volonté de jouer un rôle majeur sur la scène politique africaine n’est pas de nature à privilégier la cohésion entre les Etats du continent, chacun déterminé à faire prévaloir ses propres intérêts.
Par ailleurs, contrairement au « Groupe des 4 (G4) » qui acceptent d’envisager des sièges de membres permanents sans droit de véto, la volonté africaine de disposer d’un droit de veto amène les pays africains à constituer un groupe à part sur cette question au sein de l’Assemblée générale. Aussi, le fait que les candidats africains souhaitent être désignés par leur organisation régionale, constitue aussi une singularité de la position africaine.
Au demeurant, au niveau de l’ONU, des débats ont eu lieu sur 5 thèmes principaux de la réforme : les catégories des membres, le droit de véto, la dimension de l’élargissement, les méthodes de travail et la relation avec l’Assemblée générale des Nations Unies.
Il convient de souligner que tous les Etats sont unanimes sur la nécessité d’adapter le Conseil de Sécurité à l’impérieuse mission de prévention des crises, à une gestion de crises de plus en plus complexes, aux besoins de la construction de la paix. Mais comment y arriver sans réduire sa capacité à agir rapidement aux nouvelles menaces telles que la lutte contre le terrorisme. En d’autres termes, la clef de la réforme réside dans la recherche d’un équilibre entre d’une part, consolider la légitimité du Conseil de sécurité.
M. Traoré, expert des questions internationales pour l’ADS