L’Afrique est le théâtre des coups d’Etat depuis maintenant trois ans. D’aucuns parlent même d’épidémie de coups d’Etat en faisant allusion à une espèce de contagion du phénomène. Comment expliquer ce phénomène ? Peut-on y voir la main invisible d’une puissance étrangère ? Analysons.
En effet, depuis aout 2020, date du renversement du régime de l’ancien président du Mali Ibrahim Boubacar Keita (IBK), le continent africain a connu une suite de coups d’Etat allant du Burkina-Faso au Gabon en passant par la Guinée et le Niger. Si tout cela semble être de trop, gardons à l’esprit qu’il existe bien des facteurs communs à ces situations de coups d’Etat, mais aussi des facteurs endogènes propres à la dynamique politique interne de chaque pays.
Les facteurs communs
Le Mali, le Burkina-Faso et le Niger partagent le même écosystème géographique du grand Sahel et avec des configurations démographiques presque similaires. Les peulhs, les touarègues et les arabes sont présents dans les trois pays qui demeurent d’ailleurs tous confrontés à la menace terroriste djihadiste et à la rébellion touarègue. Ces dénominateurs communs font que le destin de ces Etats sont plus ou moins liés.
Toutefois, la question sécuritaire reste l’élément majeur et surtout le prétexte avancé par les militaires pour justifier les coups d’Etat. Pourtant, objectivement, on ne peut pas dire que les civiles qui étaient au pouvoir jusqu’à une époque récente manquaient de volonté pour renforcer la sécurité dans ces pays. Pour preuve, le budget alloué à la défense et à la sécurité a été multiplié par trois dans les trois pays.
Ainsi, au Mali par exemple, l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) avait initié depuis 2015 la loi d’orientation et de programmation militaire pour un budget de 1230 milliards de FCFA sur cinq ans. Face un tel budget aussi colossal, on ne parler de manque de volonté, mais plutôt de mauvaise gestion. Le manque de transparence entretenu par la corruption et le détournement de fonds publics ont finalement engendré une situation de frustration populaire généralisée.
Et tout comme au Gabon récemment avec des résultats d’élections truqués, au Mali également en 2020, c’est à la suite des fraudes électorales aux législatives que des manifestions de rue ont créé les conditions favorables à l’intervention de l’armée dans le champ politique. Le reste appartient à l’histoire.
En bref, il est clair que l’insécurité, la mauvaise gouvernance, les fraudes électorales sont principalement les causes communes de l’épidémie de coups d’Etat en Afrique.
La situation pré-coups d’état spécifique de chaque pays
La ressemblance ne doit pas faire perdre de vue les spécificités particulières de chaque pays. Certes, le cas malien a produit un effet domino indéniable. Toutefois, le cas malien est resté spécifique dans la mesure où le putsch a eu lieu à la suite d’une série de mobilisation populaire.
Par contre en Guinée, c’est plutôt la volonté suicidaire du président du président Alpha Condé de briguer un troisième mandat qui a eu comme conséquence immédiate le coup d’Etat.
Au Niger et au Gabon, c’est plutôt des chefs de la garde présidentielle qui sont emparés du pouvoir en prenant en otage les chefs d’Etat Mohamed Bazoum et Ali Bongo.
Nonobstant, il y a lieu de prendre en compte un dernier d’analyse, celui relatif à l’influence des puissances étrangères.
Les enjeux géopolitiques du continent
Nul n’ignore que l’Afrique est devenu un enjeu géopolitique majeur durant les quinze dernières années. L’intérêt que le présente le continent à l’échelle internationale est si important qu’elle est devenue le théâtre des confrontations entre les puissances.
Les Etats-Unis (Usa), la Chine, la Russie etc. veulent tous avoir le monopole du continent et assoir leur influence de façon autant durable que possible. Avec des stratégies et des visions certes différentes, ces puissances ne peuvent pas rentrer dans un rapport conflictuel sur le continent.
Longtemps considéré comme un pré-carré de la France, l’Afrique francophone s’émancipe et fait face aujourd’hui à un des plus grands basculements de son histoire contemporaine. La Russie, décidé à faire déloger vaille que vaille la France, se trouve faciliter le travail par l’action souterraine menée par le groupe paramilitaire Wagner sur le continent.
D’après plusieurs sources, le groupe Wagner serait présent au Mali, au Burkina-Faso, au Niger, en Centrafrique, au Soudan et en Lybie. Jusqu’à sa mort récemment dans un crash d’avion, le chef du groupe Wagner Evguéni Prigogine avait à la fois sur le continent africain une double mission de diplomatie et de business. C’était un véritable « Etat profond » qui se dessinait entre les capitales africaines et dont le but était de renforcer l’influence russe sur le continent.
Au-delà de la Russie, les Usa ; la Chine ; la Turquie et l’Inde…
Le continent africain fait l’objet d’un grand investissement de la part des puissances mondiales. Au-delà de la Russie qui est de plus en plus très visible sur le plan politique et sécuritaire, d’autres puissances à l’instar de la Chine, des Usa, de l’Inde et de la Turquie sont bien présentes.
Contrairement à la France et aux Usa qui se sont engagés sur le terrain militaire, la Chine a fait le choix stratégique de s’inscrire principalement dans le domaine des infrastructures et du commerce. Aujourd’hui, la Chine a des relations commerciales bilatérales avec presque tous les Etats d’Afrique. A titre illustratif, le volume du commerce entre la Chine et l’Afrique s’élève à près de 282 milliards de dollars (en 2022). Face à cette grande opportunité, la Chine n’a visiblement aucun intérêt que l’instabilité et les coups d’Etat prospèrent en Afrique.
C’est pratiquement la même situation pour la Turquie et l’Inde qui, en outre du commerce, développe et renforce chaque jour leur relation diplomatique avec le continent africain.
Ballan DIAKITE, rédacteur en chef de L’Analyse de la semaine, Politologue.