Installée dans le Sahel depuis 2013, l’armée française est en passe de plier bagage. De l’implosion du sentiment anti-français aux accusations de collaboration avec les terroristes, les militaires français sont à un pas d’un départ forcé après dix-ans de présence dans le Sahel.
En effet, après son départ en catastrophe du Mali le 15 aout 2022, l’armée française s’est très vite redéployée au Niger avec le soutien et la bénédiction de l’Union européenne (UE). Un déploiement qui s’est effectué dans un contexte de forte tension entre l’Elysée et les nouvelles autorités de Bamako issues d’un double coup d’Etat.
Concrétisé à la suite d’un débat public au parlement nigérien, le redéploiement des forces françaises au Niger avait été perçu comme une alternative pérenne et bien plus solide. Plusieurs éléments d’analyse confortaient ce point de vue. Le premier élément dans ce sens était lié au fait que ce redéploiement reposait sur le consentement des autorités politiques des deux pays ; et ensuite, le second élément qui était de l’ordre des valeurs, faisait référence au fait que le Niger était un pays gouverné par un pouvoir démocratique contrairement au Mali où des militaires avait pris possession du pouvoir.
Toutefois, la donne a changé depuis que le président nigérien Mohamed Bazoum est renversé par un coup d’état survenu le lundi 26 juillet 2023. Un coup d’état opéré par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) dirigé par le général Abdourahamane Tiani, chef de la garde présidentielle du Niger. Jusqu’alors, ce militaire âgé de 59 ans et commandant de la garde présidentielle s’était fait discret sur la scène politique. Cependant, plusieurs sources affirment qu’il n’était plus en phase avec le président Mohamed Bazoum et que ce dernier devait procéder bientôt à son remplacement. Mais entre temps, un coup d’état a lieu, et le destin de l’armée française dans le Sahel bascule désormais.
Quand la présence militaire devient un facteur de trouble
C’est bien assez bizarre de le dire ainsi, mais la présence militaire, plutôt que d’atténuer l’insécurité dans le Sahel est devenu un facteur de déstabilisation des régimes. A la suite de la victoire en pompe de l’opération Serval (2013) qui s’est ensuite transformée en opération Barkhane avec comme ultime objectif de lutter contre le terrorisme dans toute la région, la France s’est enlisée dans les sables mouvants du Sahel. Pendant ce temps, l’insécurité persistait et continuait de gagner du terrain. Une situation qui a sans doute exaspéré plus d’un, tant dans le rang des armées régaliennes locales que dans l’opinion publique nationale des Etats du Sahel.
Au Mali comme au Burkina, les populations s’interrogent et ne comprennent pas comment avec autant d’arsenal militaire, les forces françaises ne parviennent pas à déloger les terroristes. Ce paradoxe flagrant a lourdement contribué à nourrir dans l’opinion publique nationale l’idée que la France serait complice des terroristes dans le Sahel.
L’immobilisme de l’armée française combiné aux bavures dont elle s’est rendue coupable notamment à Bouty, au Mali, le 3 janvier 2021 où 19 civils sont morts dans des bombardements français alors qu’ils assistaient à un mariage, selon des sources locales et un rapport des Nations Unies (ONU), ont renforcé la méfiance des populations locales vis-à-vis des troupes françaises.
Pourtant, comme le soutenait à juste titre le philosophe anglais Thomas Hobbes, dans son célèbre ouvrage Le Léviathan, « de la méfiance nait la guerre ». Ainsi, au fur et à mesure que la méfiance s’installait entre les populations et les forces étrangères, la coopération militaire entre la France et les Etats du Sahel traversait des soubresauts et des moments de crise. Ce qui allait aussi compliquer la collaboration en termes de transmission de l’information et du renseignement. Toutes choses qui frustrent l’armée régulière engagé sur le terrain qui, à son tour, se rebellera contre les pouvoirs politiques en perpétuant des coups d’état à chaque fois que l’occasion était favorable. C’est le scénario type qui s’est produit au Mali et qui s’est répété presque de la même manière au Niger.
Une France paternaliste et néocoloniale au Sahel
L’une des grandes difficultés de la France dans le Sahel a été son incapacité à percevoir tout le changement opéré par les populations africaines durant les vingt dernières années. La nature de la politique française en Afrique donne l’impression que nous sommes toujours aux années 1960. L’ère du béni-oui-ouisme est révolue il y a bien longtemps. La jeunesse africaine actuelle, née à l’époque de l’internet et bercée par les réseaux sociaux n’entend point faire la courbette devant aucune puissance étrangère. Consciente de son rôle dans le jeu de la mondialisation, cette jeunesse africaine ne souffre d’aucun complexe d’infériorité et entend participer pleinement à la vie politique de la nation. Pourtant, c’est bien cette jeunesse qui a bousculé la France vers la sortie et avoir été la première à dénoncer la posture paternaliste du président français Emmanuel Macron.
On se souvient de la visite du président Emmanuel Macron au Mali au lendemain de son élection lorsqu’il s’est rendu directement à Kidal sans passer par Bamako où réside pourtant le président de la république malienne. Il a fallu que le président du Mali à l’époque, Ibrahim Boubacar Keita (IBK) le rejoigne à Kidal pour s’entretenir avec lui sur la situation sécuritaire du pays. Mais ce n’est pas tout.
On se souvient aussi de grand sommet organisé à Pau où Emmanuel Macron avait invité l’ensemble des chefs d’Etat du Sahel pour les inviter à prendre leur responsabilité vis-à-vis de la situation sécuritaire au Sahel devenu le nid du terrorisme et du djihadisme de tout genre. Ces actes posés par le président français ne sont passés inaperçus sous l’œil vigilant d’une jeunesse africaine engagée politiquement. C’est pourquoi elle s’est organisée au Mali, au Burkina-Faso, tout comme au Niger pour dire non, non pas aux citoyens français vivant en Afrique, mais à la politique africaine de la France qui s’assimile plus à l’ingérence ou à un néocolonialisme qui ne dirait pas son nom.
Apprendre des erreurs du passé
Le double jeu de la France a sauté aux yeux de tous lorsque l’Elysée a condamnée de toutes ses forces le coup d’état au Mali tout en appuyant solidement les putschistes du Tchad. Aux uns les blâmes et les insultes, et aux autres, les éloges et les applaudissements. Il faudrait que cela cesse si la France souhaite rester en cohérence avec ses propres valeurs que sont celles de la liberté et de la démocratie. En outre, la cessation de ce double jeu est aussi la condition indispensable pour un partenariat sein et équitable.
Ce qui est sure, avec la chute de Mohamed Bazoum, c’est toute une région qui bascule dans des régimes militaires. Ce qui change complètement la donne dans le Sahel. Les cartes sont désormais rebattues et la France semble être de plus en plus éjecter vers la sortie. L’UE et les Etats-Unis (USA) de Joe Biden associent leur voix à celle de la Communauté Economique Des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour exiger la libération de Mohamed Bazoum et le retour rapide à l’ordre constitutionnel. A défaut de quoi, une intervention militaire de l’Organisation sous-régionale serait l’unique et la dernière option à envisager. A ce titre, la CEDEAO a donné aux putschistes un ultimatum qui arrive à terme le dimanche 6 aout 2023.
Une déclaration de guerre « commune » ?
A la suite du communiqué de la CEDEAO, le Burkina-Faso et le Mali ont laissé entendre dans un communiqué officiel que, toute intervention militaire au Niger s’assimilerait à une déclaration de guerre au Burkina-Faso et au Mali. Cette déclaration commune du Mali et Burkina-Faso suscite beaucoup d’interrogations tant sur la viabilité de la CEDEAO sur les prochaines années que sur la sincérité des militaires à laisser au plus vite le pouvoir aux civils.
Ballan DIAKITE, chef de la Rédaction L’Analyse de la Semaine, Politologue