La tension est montée crescendo ces dernières semaines dans les quartiers de Dakar et dans plusieurs villes du Sénégal. La tenue du procès d’Ousmane Sonko aura créé plus de peur que de mal. S’agirait-il un procès politique ? Tout porte à croire que Macky veut par tous les moyens, écarter Sonko des prochaines élections présidentielles.
Ce 30 mars, se tenait le procès intenté par le ministre du Tourisme contre le principal opposant au président Macky Sall, Ousmane Sonko. Après trois renvois, le procès a pu enfin se tenir dans une atmosphère tendue dans la capitale sénégalaise encerclée par un impressionnant dispositif sécuritaire. Ousmane Sonko est condamné à deux ans de prison avec sursis et 200 millions de dommages et intérêts. « Les juges ont rendu verdict d’apaisement » selon Me Olivier Sur, avocat de Mame Mbaye Niang.
UN PROCÈS POUR INVALIDER LA CANDIDATURE DE OUSMANE SONKO À LA PRÉSIDENTIELLE DE 2024 ?
La tension est montée crescendo ces dernières semaines dans les quartiers de Dakar et dans plusieurs villes du Sénégal. Les écoles et universités avaient anticipé les vacances de Pâques, les banques et plusieurs services avaient annoncé leur fermeture pour 36 h, les transports publics suspendus. Pour dire que le 30 mars était redouté par tous les Sénégalais. Le 16 mars, le procès en diffamation intenté par Mame Mbaye Niang, ministre du Tourisme contre Ousmane Sonko, l’un des principaux favoris à la prochaine présidentielle a tourné à la tragédie. Trois morts ont été décomptés suite aux heurts entre forces de l’ordre et les manifestants de l’opposition, avec l’intrusion de gros bras armés supposément payés par des personnalités politiques du pouvoir, appelés « nervis ». L’enjeu était clair. Pour beaucoup d’observateurs, il s’agissait d’un procès politique puisqu’il n’était pas uniquement question de rétablir la dignité d’un citoyen qui se serait senti diffamé. Si Ousmane Sonko était condamné à une certaine peine de prison, il pourrait perdre ses droits civiques et politiques. Ce qui constituait une menace pour la conservation de son poste de maire de Ziguinchor dans le sud du pays, mais plus grave, l’éliminerait de facto de la course à la présidentielle de 2024.
L’affaire PRODAC a pourtant été largement traitée dans les médias depuis plusieurs années. Plusieurs personnalités, y compris de la mouvance présidentielle, ont accusé Mbaye Mbaye Niang d’être impliqué dans le massacre financier à hauteur de 29 milliards de francs CFA, lorsqu’il était ministre de la jeunesse dont dépendait le PRODAC. L’ancien ministre de l’économie et des finances a reconnu l’existence d’un rapport d’enquête « épinglant » la gestion du PRODAC.Birahim Seck, le coordonnateur du Forum Civil, section sénégalaise de Transparency International a d’ailleurs consacré un livre à cette affaire, estimant que le montant estimé serait de 35 milliards et non 29 comme souvent annoncé. Il a demandé à plusieurs reprises à être entendu par la justice, en vain. L’essayiste Mody Niang a également produit plusieurs articles de presse dénonçant la gestion du PRODAC, dont le fameux « Rapport de l’IGF sur le PRODAC. La bamboula des aigrefins » paru en 2018. Plusieurs autres articles avaient suivi. Il se demande lors de sa dernière publication parue cette semaine « affaire PRODAC : combien de fois l’occasion a-t-elle été donnée à Mame Mbaye de porter plainte ? » contre lui.
Comme les personnes citées plus haut, Ousmane Sonko a aussi affirmé que le ministre a été « épinglé » par un rapport de l’Inspection générale de l’Etat, là où selon plusieurs spécialistes, il s’agirait non pas d’un rapport de l’IGE, mais plutôt de l’IGF (Inspection générale des finances). Le seul problème, c’est que ce rapport n’a pas été « publié » officiellement. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, le Procureur de la République, s’est arrogé le droit en plus de la plainte pour diffamation du ministre, d’ajouter d’autres chefs d’accusation, notamment « injures à autorité publique » et « faux et usage de faux ».
Le paradoxe de la justice sénégalaise, est que finalement, Mame Mbaye Niang, accusé de mauvaise gestion des finances publiques n’est nullement inquiété par une enquête judiciaire pour chercher à connaître la vérité. Birahim Seck, cité au tribunal par la défense de Ousmane Sonko, interrogé par la presse estime que « ce dossier PRODAC n’a pas encore connu son épilogue » fustigeant le manque de transparence dans la gestion des affaires publiques. Le coordonnateur du Forum Civil rappelle par ailleurs périodiquement à l’Etat que les rapports annuels 2018, 2019, 2020 et 2021 de la Cour des Comptes ne sont toujours pas publiés.
LA VOLONTÉ DE MACKY SALL DE BRIGUER UNE TROISIÈME CANDIDATURE : LA POUDRE D’ESCAMPETTE
Ousmane Sonko ne perd pas pour le moment ses droits civiques et politiques, mais ses soutiens veulent rester vigilants. Ils estiment que Macky Sall avait besoin d’une pause pour la fête d’indépendance du 4 avril, avant de mieux sauter au moment opportun. En effet, le Procureur peut faire appel du verdict, renvoyant les parties en cassation. Par ailleurs, le dossier pour viol présumé n’est toujours pas encore jugé par la Chambre criminelle.
Cette agitation du débat politique et la violence latente constatée dernièrement interviennent quelques jours après une interview polémique du président Macky Sall accordée au journal français L’Express dans lequel il estime que sa candidature serait recevable par le Conseil Constitutionnel. Le président ajoute qu’il n’a pas encore pris sa décision, même si son camp politique souhaite qu’il se représente. Aminata Touré, son ancienne Première ministre est immédiatement monté au créneau pour fustiger cette déclaration du président et rappelé le contexte du référendum de 2016, confirmant la limitation des mandats déjà actée dans la Constitution de 2001. De nouveaux éléments de langage sont choisis avec soin par le camp présidentiel pour faire passer l’éventuel reniement du président de la République sur cette question. Macky Sall avait en effet déclaré que s’il était réélu en 2019, il en serait à son deuxième et dernier mandat, puisque la Constitution ne lui permettrait pas d’être candidat pour 2024. Ses thuriféraires parlent maintenant de « deuxième quinquennat », en référence à sa réélection en 2019 qui correspondait au retour du quinquennat, après son premier mandat de sept ans (2012-2019). Pourtant la Constitution est explicite, en son article 27 : « Le mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Les spécialistes s’évertuent à démontrer qu’il est question du nombre de mandats, limités à deux maximum et non de la durée. Selon Maurice Soudieck Dionne, professeur de sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, il suffit de remplacer « nul » par Macky Sall, pour clore le débat. Macky Sall s’était battu contre la candidature du président Abdoulaye Wade en 2012, qu’il jugea anticonstitutionnelle. Il avait promis une révision de la Constitution votée en 2016 par référendum, qui « clorait à jamais le débat sur le troisième mandat ».
Les Sénégalais croyaient avoir définitivement tourné le dos à ce débat après les violents affrontements en 2011-2012 suite à la candidature de Wade pour un troisième mandat, puis les assurances de Macky Sall une fois élu, ensuite la révision de 2016 qui était considérée comme une « réforme consolidante » par Ismaila Madior Fall a confié la mission de « verrouiller » (c’était le terme utilisé à l’époque) les dispositions concernant la limitation des mandats, enfin les différentes déclarations du président de la République lui-même. C’est donc un retour en arrière qui engendre beaucoup de tension. Les vifs échanges dans les médias témoignent d’un retour en arrière de 10 ans de la démocratie sénégalaise. C’est une des raisons pour lesquelles il planait sur ce procès contre Ousmane Sonko la suspicion d’élimination du principal « fauteur de trouble », « le seul qui peut empêcher » selon ses partisans, la candidature de Macky Sall pour un troisième mandat. Macky Sall a déjà utilisé la justice pour « éliminer » des adversaires politiques :
Karim Wade littéralement exilé du Sénégal où il peine à revenir et Khalifa Sall, ancien maire de Dakar. Les deux espèrent une amnistie pour prétendre participer à la présidentielle de 2024.
Le Sénégal est à la croisée des chemins. Macky Sall a une responsabilité historique pour tout ce qu’il adviendra les prochains mois. Il a le choix, soit de respecter la Constitution, de ne pas interférer dans les décisions de justice, tout en stoppant les arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes, soit suivre une partie de son bord politique, la plus radicale, qui lui suggère de violer la Constitution et de réprimer toute voix dissidente. Les Sénégalais sont très jaloux de leurs acquis démocratiques. Leurs réactions montrent clairement qu’ils s’opposeront à une tentative de conservation du pouvoir par quelque moyen que ce soit. Les alertes et les appels à la raison se multiplient du côté de la société civile. Macky Sall saura-t-il les entendre et en tirer toutes les conséquences idoines pour garantir la paix et la stabilité du Sénégal, lui qui disait à juste titre lors de son adresse à la Nation du 31 décembre dernier « Le Sénégal est plus important que chacun d’entre nous. » ?
Dr. Youssouph Sané, enseignant chercheur à l’Université Amadou Mahtar Mbow