Après plusieurs mois de questionnements, le président sénégalais, Macky Sall, s’est finalement adressé aux Sénégalais, le lundi 3 juillet 2023. À la télévision nationale du pays, le président sortant Macky Sall a annoncé qu’il ne briguera pas un troisième mandat à la tête du Sénégal.
À huit mois des élections présidentielles, prévues pour le 25 février 2024, le suspense est enfin levé sur un éventuel troisième mandat de Macky Sall. Le président sénégalais a déclaré le 3 juillet dernier qu’il ne briguerait pas un troisième mandat. « Ma décision, longuement réfléchie, est de ne pas être candidat à l’élection, même si la Constitution m’en donne le droit », a-t-il déclaré dans une allocution à la Radiotélévision sénégalaise (RTS). Cette décision a largement été saluée à travers le monde au point que d’aucuns estiment que le Sénégal reste le modèle de la démocratie dans la région ouest-africaine. Cette sortie médiatique a lieu après tant de manifestations, de pillages et ou d’atrocités commises dans le seul but de dissuader le chef de l’État sénégalais à renoncer à se présenter, pour la troisième fois consécutive, à sa propre succession.
Par ailleurs, cette décision du président Macky Sall mérite d’être prise avec des pincettes connaissant la nature obscure des hommes politiques, notamment dans les pays de l’Afrique de l’Ouest. En d’autres termes, cette décision de ne pas briguer un troisième mandat n’a rien d’extraordinaire en soi, d’autant plus qu’il s’agit juste du respect de la Constitution sénégalaise, qui prévoit que nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs.
Mobilisation populaire
Depuis de nombreux mois, le débat sur un éventuel troisième mandat de Macky Sall cristallisait les tensions au Sénégal.
En effet, suite à la condamnation le 1er juin dernier, de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme dans une affaire de mœurs, le climat était explosif dans le pays, ces dernières semaines. Cette condamnation qui rend, en l’état actuel inéligible l’opposant Sonko pour la prochaine présidentielle, a engendré dans la foulée les troubles les plus graves depuis plusieurs années dans ce pays ouest-africain, faisant ainsi plusieurs dizaines de morts. Le président du Pastef, qui jouit d’une grande popularité auprès de la jeunesse, n’a cessé de crier au complot du pouvoir pour l’écarter de l’élection présidentielle de février 2024.
Selon des observateurs de la scène politique sénégalaise, cette décision du président Macky Sall est due à la mobilisation populaire de l’opposition sénégalaise contre son troisième mandat.
Quel dauphin ?
À quelques mois des élections présidentielles, Macky Sall n’a toujours pas nommé un dauphin, sensé le succéder à la tête du pays. Même si certains noms circulent, aucune déclaration de la part de la coalition au pouvoir, ni même de date prévue pour annoncer qui va remplacer Macky Sall encore moins sur quel format. De même, les déclarations de ses ministres et partisans, qui en ont fait depuis plusieurs mois le candidat du parti présidentiel (APR), poussent l’ensemble de ses adversaires à être convaincus qu’il n’a pas vraiment renoncé à se représenter. De même, Macky Sall a fait réviser la Constitution sénégalaise en 2016, avant d’être réélu en 2019. Celle-ci stipule que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Malgré tout, ses soutiens ne cessent de le présenter comme leur candidat en 2024, arguant que la révision a remis les compteurs à zéro.
Cette situation floue autour de la candidature de Macky Sall pour un troisième mandat, pourrait bien maintenir le pays dans un entredeux complexe, d’autant que dans une vidéo publiée le dimanche soir 2 juillet 2023 sur les réseaux sociaux, l’opposant Ousmane Sonko a appelé les Sénégalais à manifester « massivement » les prochains jours, quelle que soit l’annonce du président. « Nous devons sortir pour affronter le régime de Macky Sall et dire que ce ne sera pas à lui de choisir les candidats qui devront s’affronter pour la prochaine élection présidentielle. » Selon Ousmane Sonko, le choix du président Macky Sall de ne pas se présenter vise également à mieux l’éliminer.
Le scénario d’Alassane Ouattara ?
Les politiciens sont généralement des marionnettistes. Ils manipulent le peuple selon la direction qu’ils souhaitent emprunter. En annonçant avoir renoncé à un troisième mandat, Macky Sall essaie de créer la différence. C’est comme s’il traitait ses opposants de « mauvais troglodytes » et lui-même de « bon troglodyte ».
Pour quelques billets de francs CFA, le peuple des démocraties francophones d’Afrique de l’Ouest est capable de vendre son âme au diable. Ce jeu politique de Macky Sall n’a d’autre finalité majeure que de neutraliser ses adversaires politiques et toutes les actions qu’ils tentent contre lui.
À l’analyse de ce discours tenu par Macky Sall, on se rend clairement compte qu’il fait exactement ce qu’Alassane Ouattara a fait en 2020. On se souvient de la démarche de celui-ci en 2020, pour briguer un troisième mandat. À travers un discours qui a été applaudi partout à travers le monde, le président Ouattara avait annoncé qu’il ne serait pas candidat à l’élection présidentielle ivoirienne de 2020. Mais quand il le disait, il a pris le soin d’affirmer que la nouvelle Constitution lui donnait le droit d’être candidat, mais lui personnellement il renonçait à ce droit, pour des raisons politiques.
Si on écoute le discours de Macky Sall, tenu le 3 juillet dernier, il semble avoir photocopié l’argument du président Ouattara. « Pour des raisons politiques, je préfère ne pas être candidat », a-t-il laissé entendre. Macky Sall a tout de même pris le soin de faire savoir qu’il avait le droit d’être candidat à la prochaine élection présidentielle du Sénégal.
Il ne faut donc pas trop aller vite en besogne. Aux yeux des analystes politiques, Macky Sall n’a vraiment pas renoncé à un troisième mandat, au regard des parties d’ombres dans son discours. Il s’agirait plutôt d’un recul pour mieux sauter.
Par ailleurs, il peut à tout moment créer la circonstance qui lui permettra de revenir sur sa décision. Les appréciations de cette décision du président sénégalais doivent attendre la clôture des dépôts de candidature. Car un homme à la recherche de voies et moyens pour rehausser sa cote de popularité, considérablement chuté, mettra en œuvre toute sorte de stratégies pour y arriver.
Bakary Fomba, journaliste à l’ADS