« Jub Jubal Jubanti », le cri de ralliement du Président Bassirou Diomaye FAYE lors de l’élection présidentielle de mars 2024 commence à opérer sur le plan de la Justice. Depuis le début de l’année, plus de deux personnes ont été convoquées devant les enquêteurs du Pool judiciaire financier pour s’expliquer sur de présumés détournements ou sur l’origine supposée illicite de leur enrichissement. Il devient évident, comme le pressentaient la plupart des observateurs que la lutte contre la corruption et les détournements de fonds publics est l’une des grandes priorités du gouvernement.
En vertu de la bonne gouvernance
De sa création en 2014 à son accession au pouvoir en 2024, le PASTEF n’a de cesse de marteler sa préoccupation quant à la manière dont l’argent public est géré au Sénégal. Son leader Ousmane SONKO a été porté à l’Assemblée nationale en 2017 en grande partie grâce au discours de fermeté contre la corruption des politiques et de l’administration publique. En lanceur d’alerte, il avait soulevé plusieurs affaires de malversations financières ou foncières. Son activisme lui avait d’ailleurs valu la radiation de la fonction publique en 2016.
En mars 2024, à peine libéré de prison, Bassirou Diomaye FAYE entame une tournée nationale, en guise de campagne électorale, un balaie africain à la main, symbole de propreté de l’espace domestique et public. Il lance alors son mot d’ordre de campagne, Jub Jubal Jubanti, droiture, justice, redressement en wolof, fait référence à la probité morale et intellectuelle, à la transparence dans la direction des affaires de l’État et l’exemplarité en toute circonstance. Ce slogan scandé partout lors des meetings de campagne a eu l’adhésion de la majorité des électeurs Sénégalais qui ont voté à plus de 54% pour le candidat de PASTEF manifestant leur désir de rupture avec les pratiques du passé, considérées comme l’une des causes profondes du sous-développement chronique du Sénégal.
Le Pool Judiciaire Financier entre en action
Le PJF a été créée vers la fin du second mandat de Macky SALL par la loi n° 2023-14 du 27 juillet 2023 modifiant la loi n° 65-61 du 21 juillet 1965 portant Code de Procédure pénale. Cette loi a supprimé la loi n° 81-54 du 10 juillet 1981 créant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) mise sur pieds quelques mois après l’arrivée au pour de Abdou Diouf, qui comptait marquer le coup d’une nouvelle gouvernance qui préserve le bien public face à la prévarication des ressources qui commençait à faire ressentir ses effets négatifs dans un contexte de crise économique et d’ajustement structurel imposé par les bailleurs de fonds internationaux. La CREI n’a malheureusement pas eu les résultats escomptés. Elle fut réactivée 30 ans plus tard par Macky SALL qui souhaitait organiser une reddition des comptes visant ses anciens camarades du Parti démocratique sénégalais sous la gouvernance de Abdoulaye WADE. Karim WADE est l’un des rares à avoir été condamné par la CREI. Les principales critiques contre la CREI résidaient le fait que la cour emprisonnait des suspects avant de chercher des preuves. Dans le cas Karim Wade des commissions rogatoires ont été envoyées dans plusieurs pays (Luxemburg, Monaco, Singapour, etc.). Le PJF entend appliquer une autre méthode. En effet, il se base avant tout sur les rapports produits par les organes de l’État (Cour des Comptes, Inspection générale des finances (IGF), l’Office National de lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC), la Cellule nationale de Traitement des Informations financières (CENTIF) etc.). Selon le juriste Adama TRAORE, « il exerce une compétence concurrente à celle des juridictions de droit commun dans la poursuite, l’instruction et le jugement des infractions à caractère économique ou financier présentant une grande complexité en raison notamment du nombre important d’auteurs, de complices ou de victimes, de l’importance du préjudice ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent. » Le PJF est une juridiction à compétence nationale créée au sein du tribunal de grande instance hors classe de Dakar et de la cour d’appel de Dakar. Elle est notamment chargée d’examiner les plaintes pour corruption, détournement de deniers publics, blanchiment d’argent et financement du terrorisme. Il a été officiellement installé 17 septembre 2024, par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, Ousmane Diagne. Il est constitué de 27 magistrats spécialisés dans la lutte contre la corruption et les crimes économiques qui composent cette juridiction, notamment : de membres du parquet du tribunal de grande instance Hors Classe de Dakar, de membres du collège des juges d’instruction au tribunal de grande instance Hors Classe de Dakar, de membres de la chambre de jugement financière au tribunal de grande instance Hors Classe de Dakar, de membres de la chambre d’accusation financière de la cour d’appel de Dakar, et de membres de la chambre des appels financiers de la cour d’appel de Dakar.
Rapport accablant de la Cour des Comptes sur la gestion du Fonds Force Covid-19
En janvier, le PJF annonçait déjà, 4 mois après son installation, avoir traité 91 dossiers, dont 87 transmis aux juges qui ont mené 162 arrestations et permis de saisir 2,5 milliards de francs CFA. Le 17 avril, le PJF faisait de nouveau face à la presse pour faire le point sur ses actions. Elle estime que plus de 250 personnes ont été arrêté et 15 milliards de francs CFA récupérés depuis septembre 2024. Les enquêtes ouvertes ou transmises au parquet financier ont en effet abouti à l’arrestation de 262 personnes impliquées dans 292 dossiers, selon El Hadji Alioune Abdoulaye SYLLA, procureur du PJF. Elles ont aussi permis la saisie de 92 véhicules, de 11 titres fonciers entre Thiès et Mbour et de 2 autres titres fonciers qui ont été provisoirement inscrits au nom de l’Etat du Sénégal.
L’une des figures les plus connues de cette vague d’arrestation est Mouhamadou Ngom plus connu sous le nom de Farba NGOM, ancien griot de Macky Sall, élu et réélu député depuis 2012. Son immunité parlementaire a été levée le 24 janvier par l’Assemblée nationale pour pouvoir le mettre à la disposition de la justice. Farba NGOM est l’un des personnages les plus fantasques de la gouvernance de Macky SALL. Hyperpuissant, on lui créditait le pouvoir de faire ou de défaire des rois. Il s’attribuait notamment le pouvoir de nommer ou de révoquer des ministres ou des DG. Il se revendiquait lui-même devant les plateaux télé et même à l’Assemblée nationale « comme un grand corrupteur » A plusieurs égards, il est perçu comme une personne arrogante, un agitateur, une des symboles les plus marquantes des dérives autoritaires et de la gabegie financière du régime de Macky SALL. Farba NGOM a été arrêté puis inculpé suite à des rapports de la CENTIF. Selon le parquet du PJF « les investigations menées révèlent des mécanismes sophistiqués de blanchiment de capitaux par le biais de sociétés écrans qui auraient été utilisées pour des transactions suspectes d’une valeur estimée provisoirement à plus de 125 milliards de francs CFA » Il serait notamment lié à plusieurs malversations sur le foncier et l’immobilier, dont certaines en relation avec l’homme d’affaires Tahirou SARR (un autre proche de Macky SALL), également arrêté dans le cadre de cette enquête ; il est notamment accusé d’escroquerie sur les deniers publics et de blanchiment de capitaux.
Mais le fait majeur est l’activation de la procédure judiciaire concernant le Fonds Force Covid-19 lancé par Macky SALL en 2020 en pleine crise de la pandémie du coronavirus pour lutter contre la maladie et ses impacts négatifs sur la société et sur l’économie. L’Etat avait reçu des contributions publiques et privées, nationales et étrangères, d’associations et de particuliers. Le Khalif Général de la confrérie mouride avait octroyé un montant de 200 millions au Fonds. Au final l’État avait mobilisé mille milliards de francs CFA. La mauvaise utilisation de cet argent a été pointée du doigt par un rapport de la Cour des Compte, datant de 2022, démontrant un certain nombre d’anomalies et des soupçons d’enrichissement illicite. La vaste opération qui a conduit à l’arrestation de plusieurs personnalités de l’administration, du monde des sports, de la culture ou des médias, s’inscrit dans le cadre de la clarification du rôle de certains protagonistes dans des détournements présumés. Pour l’heure la plupart des personnes interpellées sont laissées en liberté provisoire souvent en contrepartie de cautionnement de de sommes importante ou après avoir restitué tout ou partie. Cette procédure du cautionnement choque certains sénégalais qui y trouvent une justice à deux vitesses garantissant aux délinquants en cols blancs le pouvoir d’être libre là où les pauvres n’ont d’autres choix que de subir la prison. Mais le principe du PJF n’est pas de remplir les prisons, il est plutôt de recouvrer par la médiation, l’argent détourné.
Le tandem Diomaye-Sonko comme on l’appelle, a résolument opté pour la transparence dans la gestion des affaires publiques. La publication de la dette cachée par l’Etat du Sénégal de 2019 à 2023 durant le second mandat de Macky SALL, montre la volonté des nouveaux dirigeants à dire la vérité aux Sénégalais et aux partenaires financiers. Malgré les difficultés budgétaires, le gouvernement tient sa ligne de conduite. Le franc succès récent de l’emprunt obligataire sur le marché de l’UEMOA montre que la confiance des citoyens est intacte à leur égard et à leur mode de gestion. Sur le plan de la justice, la reddition des comptes, mais aussi la remise en question de l’impunité par la loi interprétative su l’amnistie, autant de choses tant réclamées par les Sénégalais, surtout à la suite d’alternance politique, semble cette fois-ci être sur un chemin irréversible. La rupture souhaitée par les Sénégalais, réaffirmée par le Président Bassirou Diomaye Faye le 4 avril, fête de l’Indépendance, est en marche. Il fera certes des malheureux. Mais pour beaucoup d’observateurs c’est le prix à payer pour stopper définitivement l’hémorragie causée par la corruption endémique et le détournement de deniers publics, restés depuis l’indépendance du Sénégal sans conséquence pour les concernés, mais ayant fait subir beaucoup de dommage au Sénégal en termes de retard de développement économique et social.
Dr. Youssouph Sané, enseignant-chercheur à l’Université Amadou Mahtar Mbow, pour L’Analyse de la semaine – ADS